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"Lincoln" : Spielberg et Day-Lewis présidents !

Steven Spielberg a plusieurs facettes. Réalisateur de blockbusters, il touche aussi à l’intime et peut passer d’une tonalité des plus sombres, à la comédie. Il s’attaque aujourd’hui pour la première fois au biopic, et pas n’importe lequel, s’agissant d’Abraham Lincoln, sous les traits de l’immense Daniel Day-Lewis.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le film de Steven Spielberg, "Lincoln" est nommé dans 7 catégories
 (Twentieth Century Fox )

De Steven Spielberg (Etats-Unis), avec : Daniel Day-Lewis, Sally Field, David Strathairn, Joseph Gordon-Levitt, Tommy Lee Jones, James Spader - 2h29 - Sortie : 30 janvier

Synopsis : 1865 : les derniers mois tumultueux du mandat du 16e Président des États-Unis. Dans une nation déchirée par la guerre civile, Abraham Lincoln met tout en œuvre pour résoudre le conflit, unifier le pays et abolir l'esclavage. Cet homme doté d'une détermination et d'un courage moral exceptionnels va devoir faire des choix qui bouleverseront le destin des générations à venir.

Sobriété
Après avoir rendu compte de l’histoire récente des Etats-Unis, avec la traque de Ben Laden dans « Zero Dark Thirty », Hollywood s’attaque à un événement fondateur de l’Amérique, l’intégration dans la Constitution de l’abolition de l’esclavage, grâce à l’opiniâtreté du 16e président, Abraham Lincoln. Car c’est sur ce point précis que se penche Steven Spielberg dans « Lincoln » et non sur la vie entière de l’illustre personnage, en traitant des cinq derniers mois de sa vie, entièrement consacrés à l’adoption de ce 13e amendement par le Congrès, avant d’être assassiné.

Vu l’ampleur historique et idéologique du sujet, ainsi que la tendance du réalisateur de « La Couleur pourpre » à faire usage d’un lyrisme emphatique, on pouvait s’attendre au pire. C’est tout l’inverse. Spielberg ne tombe aucunement dans l’excès de reconstitutions des champs de bataille ensanglantés de la guerre de sécession, ni dans la glorification pompeuse de Lincoln, dont la mesure dans l’histoire des Etats-Unis, renvoie à la monumentale statue à son effigie du Lincoln Memorial de Washington.
Lincoln intime
L’atout majeur de Spielberg réside dans son acteur Daniel Day-Lewis, d’une sobriété et stature confondantes, dans l’évocation d’un homme convaincu de son droit et de sa puissance politique, drôle dans ses multiples anecdotes pour étayer ses points de vue, et gardien de l’intimité de sa vie familiale. Cette dernière facette du personnage est particulièrement importante dans l’écriture et recouvre une large part du film, tant dans l’omniprésence de son épouse (Sally Field) que dans celle de son fils (Chase Edmunds).

« Lincoln » est d’autre part servi par une pléiade d’acteurs au diapason : Tommy Lee Jones, James Spader, Hal Holbrook, Joseph Gordon Lewitt… Mais aussi la splendide lumière aux tonalités « anthracite » de Janusz Kaminski (directeur de la photo de tous les films de Spielberg depuis « La Liste de Schindler »), les décors et costumes, que l’on croirait sortis d’un Visconti. Film d’intérieur, « Lincoln » est bavard. Hormis la beauté de l’image, tout passe par le verbe. Logique, puisqu’il s’agit de débattre d’un vote au Congrès, prêt à bouleverser le quotidien des habitants d’un pays laminé par une guerre meurtrière, et destiné à le réunifier.
Daniel Day-Lewis dans "Lincoln" de Steven Spielberg
 (20th Century Fox )

Et l’histoire ?
Reste l’historicité du film. Dans son blog, Tom Phillips, écrivain et journaliste américain, membre de la Writers Guild of America, électeur pour le meilleur scénario de l’année (WGA Awards), cite à propos du film l’historien Eric Foner - Prix Pulitzer pour son ouvrage sur Lincoln et l’esclavage. « Lincoln » (le film) s’avère à ses yeux un « sévère détournement de l’histoire ». Ainsi Spielberg démontrant l’abolition de l’esclavage grâce aux efforts d’un président courageux, oublierait que le terrain était préparé de longue date. Le fameux 13e amendement ne résulterait donc pas uniquement de décisions prises à la Maison Blanche et à la Chambre des Représentants, mais de mouvements sociaux ayant participé au changement des mentalités en amont. Tom Philips ne se limite pas à ce grief. Il dénonce un film déduit d’une vision conçue à l’aulne de valeurs acquises au XXe, voire au XXIe siècle, et non respectueuses de celles en vigueur dans les années 1860. Ainsi, le prologue où Lincoln bavarde avec de simples soldats noirs à propos de leur solde inégale à celle des blancs, est, selon lui, hautement improbable.

Daniel Day Lewis est "Lincoln", dans le nouveau film de Steven Spielberg
 (Twentieth Century Fox France)

La reconstitution historique prête systématiquement le flanc au débat entre historiens. Si Steven Spielberg fait de son « Abe » (surnom donné à Lincoln par les Américains) un 16e président viscéralement abolitionniste - en évinçant une partie de l’histoire -, c’est pour faire avant tout le portrait d’un homme. Il s’y emploie, par le prisme de ce 13e amendement, ce pourquoi l’Histoire l’a retenu. Aussi, le film est titré « Lincoln » et non « L’Abolition de l’esclavage ». De ce point de vue et par sa magnifique mise en scène, « Lincoln » s’avère une des œuvres les plus abouties et maîtrisées de Steven Spielberg.

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