"Martin Eden" : tout l'esprit de Jack London dans une adaptation libre et inventive signée Pietro Marcello
Le réalisateur italien Pietro Marcello a transposé dans l'Italie du XXe siècle l'intrigue de sa version de "Martin Eden".
Après Bella e perduto (2015) ou La bocca del Lupo (2009), Pietro Marcello, figure de la nouvelle garde cinématographique italienne, signe Martin Eden, une adaptation libre du roman de Jack London. Le réalisateur italien a transposé en Italie l'intrigue de ce chef-d'œuvre du romancier américain paru en 1909. En salles le mercredi 16 octobre.
Une adaptation très libre du chef-d'oeuvre de Jack London
L'histoire est celle d'un jeune marin napolitain beau, curieux et ambitieux. Martin (Luca Marinelli) a grandi dans une famille pauvre, a arrêté l'école très tôt. Son destin est de rester pauvre. Mais un jour il rosse un individu pour sortir d'une embrouille un jeune homme de bonne famille. Pour le remercier, la famille Orsini l'invite à déjeuner. Martin découvre un monde insoupçonné, où l'on goûte la musique et la littérature, et surtout, il rencontre Elena (Jessica Cressy), la jeune fille de la famille. Le matelot et la jeune fille en fleur tombent amoureux et le destin de Martin s'en trouve dévié. Il rêve désormais d'appartenir à ce monde et pour lui plaire et en être, il décide qu'il sera écrivain…
Pietro Marcello est un réalisateur au parcours singulier –autodidacte, il a enseigné les beaux-arts en prison, a fondé un centre social autogéré à Naples. Il s'est emparé de cette œuvre majeure de Jack London avec une grande liberté, comme une tentative, dans un geste cinématographique, d'en restituer l'esprit. L'intrigue se déroulait en Californie au début du XXe siècle. Pietro Marcello la transpose en Italie, au XXe siècle, dans une temporalité explosée.
La lutte des classes
Comme le roman, le film pose la question de la lutte des classes par le prisme de la culture. Entre l'écrivain américain et le réalisateur italien se tisse une filiation, traversée par le personnage de Martin Eden, alter-ego de Jack London, issu lui aussi d'une famille pauvre, autodidacte, qui commença sa vie très jeune sur les bateaux, dans les usines, et qui passa sa vie à voyager, au contact des populations les plus démunies, décrivant leur quotidien pour les journaux, avant de devenir un écrivain à succès.
Pietro Marcello est un réalisateur engagé, qui comme London est passé par le travail sur le terrain, notamment avec le documentaire, pour décrire la réalité. "J'ai toujours cherché à focaliser ma recherche créative sur la vie des plus humbles et des opprimés", confie-t-il dans la présentation de son film. Martin Eden est un jeune homme ambitieux, qui revendique son individualisme dans une société engagée dans les grands mouvements politiques socialistes.
Martin Eden est aussi "l'histoire d'une déception" confiait récemment à l'AFP le réalisateur de 43 ans au festival d'Annecy. En effet, après avoir atteint les sommets convoités, Martin Eden se sent comme "un homme qui ne se reconnaît plus, victime du narcissisme de l'industrie culturelle". Un narcissisme culturel toujours d'actualité aujourd'hui, souligne le réalisateur, qui a créé il y a une dizaine d'années sa propre maison de production "L'avventurosa", afin de contrôler l'ensemble du processus de fabrication de ses films."Je crois à l'idée d'un cinéma d'expérimentations, utile et nécessaire. Mais de nos jours, c'est l'industrie du divertissement qui décide".
Une réalisation inventive et poétique
Outre l'adaptation très libre du roman, c'est aussi dans la réalisation formelle du film que Pietro Marcello revendique sa liberté. Des gueules noires et des meetings politiques évoquent la fin du XIXe siècle, d'autres séquences suggèrent les années 70 ou 80. Pietro Marcello distille les anachronismes et explose la temporalité, synthétisant le siècle sans jamais perdre son spectateur.
Le film alterne des plans très classiques, fixes, magnifiquement éclairés et des images plus brutes, avec du grain, du mouvement, passant volontiers dans le flou. Le réalisateur injecte, c'est sa marque de fabrique, des images d'archives, pour une grande part produites par lui-même, qui sont comme des "rustines", des bulles, venant titiller un spectateur habitué, surtout en Italie, déplore-t-il, "à voir un cinéma formaté". La musique est elle aussi utilisée comme une couleur de plus dans cette palette cinématographique riche. Elle sert ici à soutenir la dramaturgie, là, complètement anachronique, à apporter une touche d'humour.
La réinvention d'une oeuvre
De cette liberté dans la réalisation se dégage une poésie qui soutient sans l'alourdir un propos engagé. Le film de Pietro Marcello ne se contente pas d'illustrer le roman de Jack London, il en restitue l'esprit avec une vraie inventivité. Le réalisateur italien refaçonne Martin Eden en langue cinématographique, au service de l'esprit de Jack London et des idées portées par ce grand roman, toujours d'actualité.
Une adaptation exemplaire, dans laquelle Luca Marinelli compose un Martin Eden hypnotisant, très convaincant de bout en bout dans l'incarnation de cette figure changeante, du jeune matelot mal dégrossi et exalté, mu par l'amour et l'ambition de la jeunesse, à la maturité souffrante de l'écrivain désenchanté, au bord de la folie…
La fiche :
Genre : Drame
Réalisateur : Pietro Marcello
Acteurs : Luca Marinelli, Jessica Cressy, Carlo Cecchi
Pays : Italie, France
Durée : 2h08 min
Sortie : 16 octobre 2019
Distributeur : Shellac
Synopsis : À Naples, au cours du 20ème siècle, le parcours initiatique de Martin Eden, un jeune marin prolétaire, individualiste dans une époque traversée par la montée des grands mouvements politiques. Alors qu’il conquiert l’amour et le monde d’une jeune et belle bourgeoise grâce à la philosophie, la littérature et la culture, il est rongé par le sentiment d’avoir trahi ses origines.
Le roman de Jack London est réédité en poche à l'occasion de la sortie du film. Martin Eden, Jack London, trad. de l'anglais (États-Unis) par Philippe Jaworski Collection Folio classique, 592 pages, 7.40 €
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