"On a senti qu'on avait tout intérêt à jouer la même partition, à s'accorder" : Benjamin Lavernhe et Pierre Lottin "au diapason" dans le film "En fanfare"

Les deux acteurs confient à franceinfo Culture leur rencontre et leur complicité de travail sur ce troisième film d'Emmanuel Courcol.
Article rédigé par Laurence Houot - propos reccueillis par
France Télévisions - Rédaction Culture
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Temps de lecture : 14min
Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe, à Paris, le 18 novembre 2024, sont à l'affiche du film "En fanfare" d'Emmanuel Courcol, sortie le 27 novembre 2024. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO CULTURE)

En fanfare, le troisième film d'Emmanuel Courcol qui sort le 27 novembre 2024, raconte les retrouvailles de deux frères séparés par la vie. Thibaut (Benjamin Lavernhe) a grandi dans une famille bourgeoise et est devenu un grand chef d'orchestre. Jimmy (Pierre Lottin) a navigué de foyer en foyer avant d'être adopté par Claudine. Il est, lui aussi, musicien, tromboniste dans la fanfare de l'usine locale sur le point d'être liquidée.

Cette comédie émouvante, dans la veine du cinéma social britannique, est portée par deux figures du cinéma français d'aujourd'hui. Pierre Lottin, 35 ans, est venu à la comédie après avoir pensé à s'engager dans l'armée à l'âge de 16 ans. Révélé dans Les Tuches, l'acteur est aujourd'hui souvent sur le devant de la scène, notamment dans Quand vient l'automne, dernier long-métrage de François Ozon.

Son frère de scène, Benjamin Lavernhe, 40 ans, formé au conservatoire et pensionnaire de la Comédie-Française depuis 2012, jongle depuis entre cinéma et théâtre, de Scapin dans Les Fourberies sur les planches de la Comédie-française, à Pierre, l'insupportable jeune marié dans Le Sens de la fête, en passant par l'abbé Pierre, un rôle à propos duquel il a récemment déclaré s'être senti "trahi".

Les deux acteurs s'installent dans le canapé pour l'interview en se chamaillant comme de vrais frères. Aussi différents dans la vie que Thibaut et Jimmy le sont dans le film d'Emmanuel Courcol, ils semblent avoir trouvé un terrain de jeu commun, une complicité et une joie à travailler ensemble qu'ils racontent dans la bonne humeur à franceinfo Culture.

Franceinfo Culture : Pourquoi avez-vous accepté ce film, l'un et l'autre ?

Pierre Lottin : Pour le cachet ! (rires) et pour jouer avec Benjamin Lavernhe, clairement !

Benjamin Lavernhe (ému) : Non, ce n'est pas que ça, arrête !

Pierre Lottin : Mais si, bien sûr que si ! J'avais aussi envie de retravailler avec Emmanuel Courcol. On avait déjà bossé ensemble sur Un triomphe, ça s'était super bien passé, mais là, le petit cadeau en plus, c'était de jouer avec Benjamin.

Et vous Benjamin ?

Pierre Lottin : (à Benjamin Lavernhe) Pour jouer avec Pierre Lottin !

Benjamin Lavernhe : Moi, j'ai été séduit par cette histoire qui diffuse beaucoup d'élégance, de lumière, de pudeur. Il y avait aussi quelque chose d'un mélange des genres qui me plaisait bien. Je me suis complètement pris à la lecture du scénario. Je suis rentré en empathie avec les personnages. Et j'ai eu l'impression que ça allait être une aventure singulière...

Pierre Lottin : (chuchotant) pour jouer avec Pierre Lottin !

Benjamin Lavernhe : (à Pierre Lottin) Oui, non mais ça, je vais le dire après ! Pour récapituler, c'était l'envie d'appartenir à un style de cinéma d'auteur grand public. C'est un cinéma très difficile à réussir, c'est rare. Et là, je me suis tout de suite dit que ça allait plaire. D'abord parce que ça me plaisait à moi, mais aussi parce que j'ai senti que ça allait être un film pour tout le monde. D'appartenir à ce cinéma-là, un grand cinéma populaire et exigeant, je trouve que c'est une chance.

Pierre Lottin : (insistant) Et pour jouer avec Pierre Lottin !

Benjamin Lavernhe : (imperturbable) C'est un film qui n'est pas formaté. C'est un film libre, qui n'est pas un film de commande, où on a une idée préconçue de ce qui pourrait plaire au public. J'ai aussi eu envie de faire ce film parce que c'était Emmanuel Courcol aux manettes. J'avais adoré Un triomphe et donc, j'avais une idée de ce qu'il allait faire de ce scénario. Et enfin, j'ai aussi accepté parce que j'allais avoir comme partenaire mon camarade Pierre Lottin (regard en coin, large sourire).

Pierre Lottin : Ah, quand même ! (triomphant)

Benjamin Lavernhe : Non mais sérieusement, ça a compté énormément, parce que d'avoir à jouer deux frères et d'avoir autant de scènes ensemble... Je peux vous garantir que ça compte dans le choix et dans l'enthousiasme.

Vous vous connaissiez avant de tourner ?

Pierre Lottin : Artistiquement parlant, oui, mais on ne s'était jamais rencontrés, et on n'avait jamais travaillé ensemble.

Benjamin Lavernhe : Je l'avais vu au Cours Florent dans un spectacle pour le Prix Olga Horstig.

Pierre Lottin : Que j'ai eu !

Benjamin Lavernhe : Tu l'as eu ? C'est vrai ? Moi, je l'ai passé quelques années avant toi et je ne l'ai pas eu...

Pierre Lottin : Haut la main ! (Pierre Lottin a en effet été élu à l'unanimité par le jury du Prix Olga Horstig en 2009, un prix qui lui a permis d'être repéré et de tourner dans Les Tuches, son premier rôle dans un long-métrage).

Est-ce que vous êtes musicien l'un et l'autre ?

Pierre Lottin : Oui.

Benjamin Lavernhe : Moi, j'ai un piano, mais je suis un peu limité dans mes gammes. Je connais la gamme de blues en do, je connais quelques accords, mais ça s'arrête là. Mais toi, comment t'as appris la musique ? Je suis assez éberlué. Je suis un peu ahuri par le talent de Pierre.

Pierre Lottin : Il n'est pas ahuri par le talent, mais par le contraste, en fait, entre ce que je représente et la manière dont je joue du piano.

Benjamin Lavernhe : Mais pas du tout !

Un peu comme le personnage de Thibaut dans le film, un grand chef d'orchestre, qui est très surpris de voir le talent musical de son frère qui joue dans la fanfare ?

Benjamin Lavernhe : C'est vrai, oui, c'est intéressant, ces clichés, ces idées qu'on se fait de quelqu'un en le voyant, en voyant comment il parle, comment il est habillé. (Pierre Lottin jetant un œil sur son pull, quoi, je ne suis pas bien habillé ?"). On se dit, lui, il n'écoute pas du jazz, alors qu'en fait si, non seulement il écoute du jazz, mais il te met la misère, parce qu'il a dix fois plus de références que toi...

Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe dans "En fanfare" d'Emmanuel Courcol, sortie le 27 novembre 2024. (THIBAULT GRABHERR / AGAT FILMS)

Donc Thibaut et Jimmy, c'est un peu vous deux en fait ?

Pierre Lottin : Non, dans la vie, c'est plutôt l'inverse ! (Très sérieux)

Benjamin Lavernhe : Oui, on a des points communs avec nos personnages, on est déjà un peu ces personnages. Et ça, on n'a pas eu à le jouer, on n'a pas eu à le prendre en charge. Des gens nous disent qu'on aurait dû peut-être jouer l'inverse. Mais je ne crois pas. On n'est pas forcés coûte que coûte de jouer l'inverse de ce qu'on est. Mais je pense aussi qu'on est quand même assez différents de nos rôles. Quand on voit Pierre comme ça, on se dit, c'est un coriace, mais en vrai, il est bien plus sensible qu'on ne le croit.

Pierre Lottin : Oui, et pareil, on peut penser que Benjamin est un peu snob, un peu coincé (éclat de rire de Benjamin Lavernhe). Mais en fait, pas du tout, il est beaucoup plus fou que nous tous réunis.

Comment avez-vous travaillé ensemble ?

Benjamin Lavernhe : Assez simplement.

Pierre Lottin : Ça s'est fait assez naturellement. Comme on a beaucoup de talent tous les deux, c'était beaucoup plus simple (rires). Non, je plaisante...

Benjamin Lavernhe : Toi, tu as eu de l'appréhension ?

Pierre Lottin : Non, pas du tout.

Benjamin Lavernhe : Moi, non plus. Pour faire une métaphore musicale, on avait envie de s'accorder. On est toujours curieux de la manière dont l'autre travaille et comment on va pouvoir communiquer et construire ensemble. Parfois, le metteur en scène est obligé de faire l'arbitre, parce que les acteurs ne se parlent pas ou font chacun leur truc de leur côté, sans communiquer entre eux. Là, on a senti qu'on avait tout intérêt à travailler de concert (encore une métaphore musicale !).

Pierre Lottin : Attends, moi aussi, je vais faire une métaphore.

Benjamin Lavernhe : À s'accorder, à jouer la même partition (content de lui).

Pierre Lottin : À se mettre au diapason (ils se regardent en souriant).

On sent au fil du film que les deux personnages se rapprochent, c'est palpable, comment avez-vous fait pour faire sentir l'évolution de ce lien entre les deux frères, ça s'est fait au moment des répétitions ou du tournage ?

Pierre Lottin : Sur ce type de rôle, d'abord, j'apprends le texte. Et puis j'essaie de bien comprendre les scènes. Parce que, parfois, il y a des petites choses qui nous échappent si on ne lit pas les didascalies. Et après, c'est sur le tournage que ça se joue, un peu à l'instinct, au lâcher-prise. C'est aussi simple que ça pour certains types de rôles.

Benjamin Lavernhe : L'idée, c'est d'avoir le minimum de questions sur le moment. Et c'est important d'avoir un metteur en scène qui écoute dans la mesure du possible ses comédiens, qui peuvent parfois l'aider à comprendre son propre scénario. C'est très agréable, le fait de sentir qu'on peut s'emparer du personnage.

Pierre Lottin : Le fait de se sentir compris, c'est bien parfois de sentir qu'on est compris.

Benjamin Lavernhe : Mais attention, parfois, le metteur en scène nous recadrait. Il nous disait : non, le personnage ne ferait pas une blague à ce moment-là par exemple... Quand on allait trop loin, il nous freinait et je pense qu'il avait raison, parce que c'est ça qui plaît au public, c'est que même si on est dans la comédie, il y a quelque chose de pudique, une espèce de finesse, en filigrane. On est tout le temps entre rires et larmes.

Pierre Lottin et Benjamin Lavernhe dans "En Fanfare" d'Emmanuel Courcol, sortie le 27 novembre 2024. (THIBAULT GRABHERR / AGAT FILMS)

Pierre Lottin : Oui, un peu comme dans Little Miss Sunshine...

Benjamin Lavernhe : Oui, dans un entre-deux permanent, avec beaucoup de pudeur, de tendresse et de finesse. Et pour arriver à ça, il y avait un capitaine à bord. Emmanuel Courcol qui, mine de rien, connaissait bien nos personnages, nous a sculptés avec nos propositions. Avec d'autres acteurs, ça n'aurait évidemment pas donné le même film. Avec Pierre, on pouvait se parler, débriefer. On osait même se dire des choses comme : "Ce que tu as fait dans cette prise, c'était bien."

Pierre Lottin : Oui, on a vraiment construit un truc à deux.

Benjamin Lavernhe : Comme on avait confiance dans le regard de l'un sur l'autre, on s'écoutait. C'était agréable. C'est vraiment tout bénef, et ce n'est pas toujours le cas.

C'est un film sur le déterminisme social, qui ne donne ni dans l'angélisme, ni dans la caricature, et qui montre que cette histoire de déterminisme est plus complexe qu'on croit, non ?

Benjamin Lavernhe : C'est vrai, vous avez raison, c'est complexe, comme la vie. Et c'est ce que j'aime dans ce film. On ne ment pas aux spectateurs. Entre être né Meudon et avoir été mis au piano à 3 ans, ou grandir à Tourcoing avec Claudine, même si on aime énormément le personnage de Claudine, interprété par la grande comédienne Clémence Massart, ce n'est pas la même chose. Pas la même capacité à rêver.

Pierre Lottin : Ce n'est pas la même capacité à s'autoriser à rêver, ce n'est pas le même accès au rêve...

Benjamin Lavernhe : Et je crois que le public aime que ça ne soit pas simple, qu'il y ait des échecs. Comme quand Thibaut met dans la tête de son frère qu'il doit être très bon au trombone, et que quand Jimmy se pointe au conservatoire, mon personnage fait machine arrière…

Pierre Lottin : Il est dans une case assez limitée, en fait, Thibaut. J'appellerais ça des réflexes de milieu. Ça peut se traduire par un manque de tact. Mais moins d'un côté que de l'autre.

"Je me suis toujours demandé pourquoi ceux qui sont issus des classes les plus pauvres s’adaptaient mieux aux milieux qui ne sont pas ceux de leurs origines. Peut-être qu’ils comprennent plus vite les codes que ceux qui viennent de milieux plus aisés. Peut-être que la souffrance fait en sorte qu’on perçoit plus de choses. On s’adapte plus vite quand on a traversé des difficultés, il me semble."

Pierre Lottin

à franceinfo Culture

Benjamin Lavernhe : L'intelligence, c'est d'arriver à être caméléon, à se sentir bien dans tous les milieux, à comprendre les codes et à savoir se situer. Et ça passe beaucoup par le cœur, parce que ça, c'est la même langue pour tout le monde.

Est-ce que vous diriez que ce film est un film politique ?

Pierre Lottin : Non.

Benjamin Lavernhe : Oui.

Pierre Lottin : C'est un film social, plutôt, je dirais.

Benjamin Lavernhe : Ce n'est pas un film qui parle concrètement de politique, mais c'est un film qui pourrait inspirer les politiques, parce qu'il est intelligent. Il donne de l'espoir. C'est un film réaliste, mais qui donne de l'espoir en montrant qu'il n'y a pas de fatalité, et qui donne des pistes, qui montre comment la musique, par exemple, peut être un domaine d'émancipation, de mixité, d'espoir... Mais il y a encore du boulot avant que les jeunes qu'on croise dans les conservatoires ne soient pas toujours les mêmes...

Pierre Lottin : C'est un film qui va changer le monde, je pense (pince-sans-rire).

Benjamin Lavernhe : En toute modestie !

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