"Petites mains" : le combat des femmes de chambre d'un grand palace parisien dans un film choral émouvant
Après avoir raconté son expérience d'éducateur dans Placés, son premier long-métrage, Nessim Chikhaoui met en scène le combat des femmes de chambre d'un grand palace parisien dans un second film engagé, plein de vie et d'émotion. Hasard de calendrier, Petites mains sort dans les salles le 1er mai, jour de la Fête du travail.
Eva (Lucie Charles-Alfred), la petite vingtaine, n'en est pas à son premier emploi en tant que femme de chambre. Mais quand elle débarque dans l'équipe d'un palace parisien, c'est un tout autre travail qui l'attend. Dans ce grand hôtel où les clients paient leur suite plusieurs milliers d'euros la nuit, tout doit être impeccable. Employée par un sous-traitant, elle intègre l'équipe des "externes", sous-personnel d'un personnel déjà bien exploité…
"Bienvenue au royaume des larbins", lui déclare Ali dans les sous-sols de l'hôtel, véritable deuxième monde caché sous terre, où s'activent les "petites mains du palace". La cheffe d'équipe confie Eva aux bons soins de Simone, la doyenne de l'équipe, une femme au caractère bien trempé, cassée par des années de travail. Sa "superviseuse" se charge de lui expliquer la différence entre l'Ibis et l'esprit palace, et l'initie au fonctionnement millimétré des tâches à accomplir, sous l'œil acéré d'Agnès (Mariama Gueye), la sévère gouvernante chargée de faire appliquer les ordres de la direction…
"Une chambre à 9 800 euros bruts"
Sur le trottoir, devant les portes du palace, une poignée d'employés tient un piquet de grève pour réclamer de meilleures conditions de travail et des salaires décents. Quarante-cinq minutes de "crédit" par chambre, au chronomètre, pas assez d'aspirateurs, des produits d'entretien comptés, des clients peu ragoûtants…
Eva découvre les excentricités d'une clientèle hors-sol, le club sandwich à 75 euros et la chambre à "9 800 euros bruts" pour une nuit, soit dix fois le salaire mensuel de la plupart des employés du palace…
Safiatou (Marie-Sohna Condé), Aïssata (Maïmouna Gueye), Violette (Salimata Kamaté)… Eva se fait vite une place parmi cette petite troupe soudée, composée de femmes joyeuses malgré la dureté de leur travail et de leurs vies. Eva tisse au fil du temps une relation quasi filiale avec la revêche Simone, qui cache un cœur en or.
La jeune femme découvre dans les coulisses du palace fraternité et solidarité, presque une famille, qui finira par tomber l'uniforme et rejoindre la bataille pour gagner de meilleurs salaires, avoir de meilleures conditions de travail, mais surtout, retrouver une dignité.
"La lutte paie"
Le scénario de Petites mains est inspiré par plusieurs mouvements sociaux dans des hôtels, comme celui mené en 2018 par les femmes de chambre du Park Hyatt Paris-Vandôme, qui ont fini par obtenir gain de cause après 87 jours de grève. Dans ces grands hôtels, la hiérarchie, les rapports de domination économique, de genre (pas d'hommes femmes de chambre), culturels, sont à leur paroxysme.
"Ils ne nous écoutent pas. Ils ne nous voient pas, on est leurs petites mains." Ainsi, dans les couloirs feutrés et les chambres luxueuses coexistent sans se croiser les plus riches et les plus pauvres. Nessim Chikhaoui s'empare habilement de ce microcosme contrasté pour en faire un motif emblématique de la fracture sociale. Le film nous place délibérément du côté des "invisibles" sans jamais montrer le moindre client riche ou patron, dans une inversion donnant à voir ceux qu'habituellement sont cachés aux yeux du monde, et invisibilisant ceux qui d'ordinaire sont sur le devant de la scène.
Une idée assumée de bout en bout, qui donne au film sa saveur et son efficacité, résolument engagé du côté des plus "faibles", ceux qui se lèvent tôt le matin, ont souvent des papiers à renouveler, toute une famille à nourrir. Ces "invisibles" sont montrés ici non pas comme des victimes pleurnichardes, mais comme une communauté d'êtres humains dignes de respect et capables de prendre, à l'instar d'Eva, leur destin en mains.
"La lutte paie", déclare Simone. C'est ce que montre ce film choral plein de vie et paradoxalement de joie, représentatif de la société française dans son ensemble (une fois n'est pas coutume). Avec une mise en scène rythmée, sans surprise, mais généreuse, cette chronique sociale dans la veine du cinéma britannique, est servie par une magnifique équipe de comédiennes autour de Corinne Masiero, à contre-emploi en personnage dans le rang limite réac, de Kool Shen en syndicaliste discret, mais opiniâtre, et de Lucie Charles-Alfred, une jeune actrice pleine de promesses dans le rôle de la jeune Eva.
La fiche
Genre : Comédie dramatique
Réalisateur : Nessim Chikhaoui
Acteurs : Corinne Masiero, Lucie Charles-Alfred, Marie-Sohna Condé
Pays : France
Durée : 1h27
Sortie : 1er mai 2024
Distributeur : Le Pacte
Synopsis : Rien n'avait préparé Eva à l'exigence d'un grand hôtel. En intégrant l'équipe des femmes de chambre, elle fait la connaissance de collègues aux fortes personnalités : Safietou, Aissata, Violette et Simone. Entre rires et coups durs, la jeune femme découvre une équipe soudée et solidaire face à l'adversité. Lorsqu'un mouvement social bouscule la vie du palace, chacune de ces "petites mains" se retrouve face à ses choix.
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