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"Poesía sin fin", Jodorowsky continue l'exploration de sa vie

Ce film d'Alejandro Jodorowsky continue le voyage autobiographique commencé il y a trois ans avec "La Danza de la Realidad". Avec théatralisation et outrances, le cinéaste franco-chilien illustre ici ses premiers pas dans l'âge adulte alors qu'il quitte ses parents pour embrasser une carrière de poète.
Article rédigé par franceinfo - Jean-François Lixon
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Alexandrito (Jeremias Herskovits) et Alejandro Jodorowsky
 (Pascale Montandon-Jodorowsky)

Fin de la projection, le générique n'est pas terminé, le public est déjà debout et applaudit Alejandro Jodorowsky. Un hommage qui durera près de quinze minutes. C'était pour "La Danza de la Realidad", il y a trois ans à la Quinzaine des Réalisateurs. C'était en mai dernier pour "Poesía sin fin". A 87 ans, le cinéaste franco-chilien vient de voir pour la première fois en public ce second opus de son autobiographie. Il se tourne vers son équipe. Parmi ses comédiens, ses producteurs, il y a ses fils. Ils jouent dans son film. Ils interprètent le père du réalisateur et ils interprètent Jodo lui-même à plusieurs âges. Leur ressemblance est frappante et elle sert de manière très symbolique cette saga autobiographique hallucinée.

Son premier volet se terminait quand, à la fin de l'enfance, Alejandro Jodorowsky et sa famille quittaient son village natal de Tocopilla, au Chili, pour partir vivre à la capitale, Santiago. C'est là qu'on le retrouve dans "Poesía sin fin", alors que, grand adolescent, il refuse de suivre les ordres paternels et décide d'embrasser la carrière de poète plutôt que de se lancer dans des études de de médecine.

Passionnant et épuisant. Voilà le monde de Jodorowsky. Aussi bien dans ce qu'il en montre que dans ce qu'il en dit, chaque séquence est paroxystique, outrancière, comme passée par le filtre de rêves sous acide. Très influencé par le courant surréaliste (à la fin du film, il annonce qu'il part pour Paris ressusciter le mouvement avec André Breton), il peuple ses films de monstres, de nains, de personnages déformés, mutilés, outrageusement maquillés. Il plante des décors sous formes de dessins. Dans une gare, il habille sans la cacher une motrice actuelle d'une silhouette de carton, reproduction exacte d'une lomotive à vapeur. Il organise un défilé de diables écarlates qui rencontrent à un croisement de rues un autre défilé, de squelettes celui-là. Tout est symbolique, transposé, exagéré, réinventé. Et tout est vrai.
 

les défilé de diables et de squelettes
 (Pascale Montandon-Jodorowsky)

Au coeur de "Poesía sin fin", la découverte du monde artistique par le jeune Jodo, mais aussi la rupture avec ses parents. Tout au long du film, la douleur est là : celle de l'incompréhension, de l'éloignement, de la disparition du père avant d'avoir eu le temps de renouer. Alors le Jodorowsky de 2016 intervient. Dans ses vieux bras d'homme de 87 ans, il prend son père et Alejandrito, le jeune homme qu'il fut. Et plutôt que de se quitter, comme cela s'est passé, sur des gestes de violence et des paroles de détestation, il réunit, rapproche, réconcilie.

Cette poésie sans fin, c'est aussi cela, faire que le monde soit meilleur, même longtemps après, même trop tard. C'est pour cela que, tout au long du film, sa mère s'exprime en chantant. Toute sa vie, elle avait regretté de ne pas avoir pu être cantatrice. Alors le vieux fils octogénaire lui fait ce cadeau : elle chante. C'est pour cela aussi, sans doute qu'il nous offre le privilège de revoir danser la grande chorégraphe Carolyn Carlson dans une scène bouleversante.
 

La dernière rencontre entre le père (Brontis Jodorowsky) et Alexandro (Adan Jodorowsky) 
 (Pascale Montandon-Jodorowsky)


Le sexe, la religion, la famille, l'amitié, la passion, la mort, tout ce qui fait une vie se retrouve décuplé, colorié, gonflé par Jodorowsky. Est-ce donc cela qu'un poète de 87 ans aperçoit quand il se retourne sur sa vie ? Ce poète-là, oui. Les enthousiasmes deviennent des sommets himalayens et les désespoirs des profondeurs abyssales. En ressortant de ce tourbillon d'images folles, de sentiments hallucinés et de sensations, il prend l'envie de demander (mais à qui ?) "Dis-moi, monsieur, tu ne peux pas la faire un plus colorée ma vie ?". Comme celle de Jodo.
 

Alejandro Jodorowsky face au public de Quinzaine des Réalisateurs, à Cannes
 (Jean-François Lixon)

La fin de "Poesía sin fin" laisse augurer d'un troisième volet de l'autobiographie du cinéaste. Elle devrait le montrer arrivant à Paris en 1953. Jodorowsky y a travaillé avec des gens aussi différents que Roland Topor, Fernando Arrabal, le mime Marceau et Maurice Chevalier !  De la poésie, il passe au théâtre, au cinéma, à la philosophie et à la bande dessinée. Il est aujourd'hui un maître à penser pour une large communauté à travers le monde.

Lors de la présentation de "La Danza de la Realidad", en 2013 à Cannes, nous avions rencontré Alejandro Jodorowsky pour une interview exclusive dans sa chambre d'hôtel à Cannes. Vous pouvez retrouver cet enretien sur ce lien.
 

L'affiche de Poesia sin Fin
 (DR)

La fiche

"Poesía sin fina" - film français, japonais et chilien d'Alejandro Jodorowsky - avec Alexandro Jodorowsky, Adan Jodorowsky, Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Leandro Taub, Jeremias Herskowitz, Carolyn Carlson - durée : 2h08 - sortie : 5 octobre 2016
Synopsis : Dans l’effervescence de la capitale chilienne Santiago, pendant les années 1940 et 50, « Alejandrito » Jodorowsky, âgé d’une vingtaine d’années, décide de devenir poète contre la volonté de sa famille. Il est  introduit dans le cœur de la bohème artistique et intellectuelle de l’époque et y rencontre Enrique Lihn, Stella Diaz, Nicanor Parra et tant d’autres jeunes poètes prometteurs et anonymes qui deviendront les maîtres de la littérature moderne de l’Amérique Latine. Immergé dans cet univers d’expérimentation poétique, il vit à leurs côtés comme peu avant eux avaient osé le faire : sensuellement, authentiquement, follement.

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