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Pour Mathieu Kassovitz et le réalisateur Nicolas Giraud, "L’Astronaute" parle "avant tout de cinéma"

Mathieu Kassovitz et Nicolas Giraud, réalisateur et acteur dans "L'Astronaute", reviennent sur le projet et le tournage d'un film à part. Ils en évoquent l'objectif et la mise en œuvre, et leur rapport à l'espace, au cœur de l'histoire.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz dans "L'Astronaute" de Nicolas Giraud (2023) (2021 NORD-OUEST FILM  - ORANGE STUDIO - ARTEMIS PRODUCTION - FRERES ZAK)

Film de "fiction scientifique" plus que de science-fiction, selon Mathieu Kassovitz, ce qu’approuve son partenaire et réalisateur Nicolas Giraud, L’Astronaute sort en salles mercredi 15 février. Nous les avons rencontrés pour savoir comment s’est monté ce projet autour de l'histoire imaginaire du premier vol spatial habité amateur. Quelle est leur relation à l'espace, sujet du film, quels objectifs voulaient-ils atteindre, et comment ont-ils procédé ? Autant de questions que l'on se pose à la vision de ce film ambitieux,  inattendu dans le paysage cinématographique français.

Franceinfo Culture : Comment vous-êtes vous rencontrés sur ce projet un peu fou ?

Nicolas Giraud : J’ai d’abord écrit ce film pour Mathieu. Le rôle d’Alexandre Ribbot (un vétéran de l’espace) était pour lui, et j’avais un accès direct, puisque le producteur du film est Christophe Rossignon qui a produit notamment La Haine, de Mathieu, et d’autres comme L’Ordre et la morale. Le scénario lui a été soumis et sa passion pour l’espace, liée au plaisir qu’il a eu à la lecture a fait qu’il m’a rejoint tout de suite dans l’aventure.

Vous n’étiez pas nés ou à peine aux moments forts de la conquête spatiale dans les années 60 (Mathieu Kassovitz est né en 1967 et Nicolas Giraud en 1978) : comment vous est venue cette passion pour l’espace ?

Mathieu Kassovitz : Mais nous, on a eu Challenger [la navette spatiale américaine qui a explosé au décollage en 1986 faisant sept morts], et la construction de la station spatiale ISS grâce à la navette spatiale. Ça, c’était la conquête spatiale pour moi.

Il y avait quand même moins d’enthousiasme, aller dans l’espace était devenu quelque chose de normal. Le nom de "navette" est en soit une banalisation, non ?

Mathieu Kassovitz : Ah non ! La navette avait relancé tout le truc, on connaissait la date de lancement des mois à l’avance, c’était un événement international. Ça s’est ralenti sur la fin, à partir de l’explosion de Challenger. Mais jusqu’à Challenger, il y avait un lancement tous les deux ans, à l’époque, il n’y avait pas d’autre lanceur, sauf Arianne, éventuellement, et les Soyouz russes, mais rien d’autre. C’est aujourd’hui qu’il y a des lancements tous les jours. Maintenant c’est plusieurs fois par mois, c’est incroyable.

Nicolas Giraud et Mathieu Kassovitz dans "L'Astronaute" de Nicolas Giraud (2023) (2021 NORD-OUEST FILM  - ORANGE STUDIO - ARTEMIS PRODUCTION - FRERES ZAK)

Nicolas Giraud : Je ne suis pas comme Mathieu passionné par le sujet. Ce qui m’intéresse dans L’Astronaute, c’est de parler de cinéma. J’aime évidemment, non pas ce que l’on nomme la conquête spatiale, mais l’aventure spatiale. L’Astronaute, il me sert surtout à parler de ma passion pour le cinéma, et l’aventure spatiale c’est l’absolu, c’est la quête, non pas la conquête, de l’absolu. Avec cette histoire j’ai les outils parfaits pour parler de cinéma, pour partager le goût du cinéma. Parce qu’il y a du son, une autre dimension à transmettre. À travers la réalisation de son rêve par l’astronaute amateur du film que j’interprète, je parle du processus de réalisation d’un film. C’est une mise en abyme, c’est une aventure humaine. L’Astronaute, c’est d’abord la vision d’un individu, la passion d’un individu et l’ouverture qu’elle procure en la partageant pour réunir des talents et de l’énergie, comme pour un film.

Mathieu Kassovitz : C’est l’accomplissement d’un rêve, que cela soit pour l’astronaute ou le réalisateur.

La participation de l’ESA (Agence spatiale européenne) donne une caution scientifique au film, mais est-il pour autant réaliste, ou le rangeriez-vous plutôt dans le genre de la science-fiction ?

Nicolas Giraud : Il est totalement réaliste, c’était mon souhait premier. C’est vraiment le premier mot qui m’est venu à l’esprit quand j’ai pensé le sujet. Je crois à la motricité du rêve, des choses. Ça a été le moteur du film. Par quoi passe le réalisme ? Ça passe par la présence de Jean-François Clairevoy, astronaute aux trois séjours dans l’espace, qui devient conseiller technique du film, et par l’association à l’entreprise d’ArianeGroup. Autrement dit des décors, un site, des choses qu’on n’avait absolument pas les moyens de recréer avec notre budget et qui existent vraiment.

Concernant la science-fiction, je reprendrai le mot de Mathieu qui dit que c’est une "fiction scientifique". Ce qui signifie que nous avons fait un travail technique en amont pour s’assurer que ce qu’on allait partager avec le public n’était pas un documentaire, mais un film de cinéma, dans lequel j’utilise la lumière, le son, le design… Il est tenu par un propos structuré et qui fonctionne. Même le XB3, le carburant pour propulser la fusée, nom que j’ai inventé, c’est en fait un ergol solide de base qu’on a enrichi au phosphore. Ça, je l’ai demandé à un des pontes d’Ariane. Qu'est-ce que je pouvais bien mettre dans le mélange de base pour avoir assez de puissance afin de lancer une fusée sans étage ? C’est lui qui m’a dit d’ajouter du phosphore. "Ça sera instable, mais t’auras la puissance", m’a-t-il dit. Et tout s'est fait comme ça.

Mathieu Kassovitz, Nicolas Giraud, Bruno Lochet, Hélène Vincent, Ayumi Roux dans "L'Astronaute" de Nicolas Giraud (2023). (2021 NORD-OUEST FILM  - ORANGE STUDIO - ARTEMIS PRODUCTION - FRERES ZAK)

Au-delà de l’aspect scientifique, revenons à l’aventure humaine, avec la dramaturgie du film, le compte à rebours jusqu’à l’expérience ultime, avec toute une palette de personnages, dont la grand-mère de l’astronaute qu’interprète Hélène Vincent.

Nicolas Giraud : La fusée Ariane 6 a deux boosters. Un booster, c’est Alexandre Ribbot (Mathieu Kassovitz), c’est lui qui va me permettre de monter haut en me conseillant. Et l’autre, c’est la grand-mère de Jim, Hélène Vincent. C’est l’amour, c’est la présence. Jim (l’astronaute) sans sa grand-mère n’est pas Jim, et Jim sans Alexandre Ribbot n’est pas Jim non plus. Pareil avec Bruno Lochet (le chimiste), la même chose avec tout le monde. Sans les autres, tu ne peux pas te construire. Une fusée, elle a besoin de ça pour avoir de la force.

Mathieu, auriez-vous aimé interpréter le rôle de Jim tenu par Nicolas ?

Mathieu Kassovitz : Si j’avais réalisé le film oui. Jouer le rôle et réaliser le film, les deux se réunissent dans le projet. L’Astronaute parle de cinéma, comme le disait Nicolas, tous les deux ont le même rêve, celui de faire décoller une fusée et de faire décoller un film. Ça n’aurait pas de sens que ce soit quelqu’un d’autre qui joue le rôle. Pour n’importe quel réalisateur dans le monde, savoir que c’est le réalisateur qui joue dans son film, c’est plié : on parle de cinéma. C’est son combat à lui.

L’Astronaute est une histoire d’hommes, mais les femmes ont beaucoup d’importance dans le film, comment avez-vous conçu leur rôle ?

Nicolas Giraud : Elles ne sont pas en retrait. Pour moi, les hommes du film sont féminins et les femmes du film sont masculines. Et depuis toujours, mon travail est de considérer la féminité dans l’homme et la masculinité dans la femme. Moi-même, quand je n’étais qu’acteur, je chérissais ma féminité et c’était même elle qui m’apportait de la virilité. Ce n’est pas pour rien si je choisis une jeune Franco-Japonaise en lui demandant d’avoir les cheveux très courts (Ayumi Roux dans le rôle d’une mathématicienne). Il n’y a pas de frontière pour moi. La féminité nourrit la masculinité et inversement. C’est comme l’humilité et l’ambition. Il faut de l’humilité quand on réalise L’Astronaute et il faut aussi de l’ambition. Ce n’est pas paradoxal, je soude les deux. On parle aussi de femmes qui dans le film ont des âges différents. L'une a vingt ans et l’autre en a près de quatre-vingt, et les deux sont aussi vivantes et aussi nécessaires à la réussite de l’entreprise. C’est tout ce à quoi je crois : la transmission, le transgénérationnel, le partage, l’hybridation. Tout ça ce sont des termes d’énergie.

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