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"Quai d'Orsay": pamphlet hilarant sur la politique étrangère française

La politique française contemporaine inspire depuis 2011 les cinéastes, avec "La Conquête", puis "L'Exercice de l'Etat" la même année. "Quai d'Orsay", adapté de la bande-dessinée de Christophe Blain et Antonin Baudry poursuit sur cette lancée avec bonheur. C'est Bertrand Tavernier, cinéaste engagé s'il en est, qui s'y colle, en signant du même coup sa première comédie : une réussite.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Raphaël Personnaz et Thierry Lhermitte dans "Quai d'Orsay" de Bertrand Tavernier
 (Etienne George / Pathé)

De Bertrand Tavernier (France), avec : Thierry Lhermitte, Raphaël Personnaz, Niels Arestrup, Bruno Raffaelli, Julie Gayet - 1h53 - Sortie : 6 novembre 2013

Synopsis : Alexandre Taillard de Worms est grand, magnifique, un homme plein de panache qui plait aux femmes et est accessoirement ministre des Affaires Étrangères du pays des Lumières : la France. Le jeune Arthur Vlaminck, jeune diplômé de l’ENA, est embauché en tant que chargé du “langage” au ministère des Affaires Étrangères. En clair, il doit écrire les discours du ministre ! Mais encore faut-il apprendre à composer avec la susceptibilité et l’entourage du prince, se faire une place entre le directeur de cabinet et les conseillers qui gravitent dans un Quai d’Orsay où le stress, l’ambition et les coups fourrés ne sont pas rares... Alors qu’il entrevoit le destin du monde, il est menacé par l’inertie des technocrates.

L’extérieur vu de l’intérieur
Tavernier ne pouvait pas concevoir adapter « Quai d’Orsay » sans la collaboration de Christophe Blain et Antonin Baudry, qui ont signé la bande-dessinée. Il est de notoriété publique que le ministre des Affaires étrangères de la BD et du film, Alexandre Taillard de Worms, est un avatar de Dominique de Villepin, alors aux affaires, Antonin Baudry étant un de ses collaborateurs sous le gouvernement Rafarin de 2002 à 2004. Ayant vécu les choses de l’intérieur, son récit est des plus croustillants en dévoilant les arcanes du pouvoir sous un angle inédit.

Bertrand Tavernier prend un plaisir délectable à réaliser cette adaptation. D’abord en ayant accès aux véritables décors où se déroule l’action : le ministère des Affaires étrangères, au quai d’Orsay à Paris, lieu extrêmement fermé, et de nous faire découvrir les dorures de la République, mais aussi ses combles qui font office de bureau pour les subalternes, mais néanmoins serviteurs de l’Etat. Serviteurs de l’Etat ? Serviteurs d’eux-mêmes pour une grande partie, le milieu, on s’en doutait, faisant office de panier de crabes notoire. Même si le film rend justice à certains d'entre eux, et on peut compter sur Tavernier pour ne pas être complaisant sur le chapitre.

Niels Aretrup et Thierry Lhermitte dans "Quai d'Orsay" de Bertrand Tavernier
 (Etienne George / Pathé)

Petite souris
Si l’écriture est au bénéfice du film, très enlevée, toujours rebondisante et inventive, l’interprétation est ce qui fait décoller le film, du premier aux seconds rôles, tous très savoureux. Thierry Lhermitte est au meilleur de sa forme, peut-être dans son meilleur rôle. Niels Arestrup en directeur de cabinet est une fois de plus d’un talent monstrueux, sans doute le meilleur acteur français actuel, l’équivalent d’un Michel Simon en son temps. Raphaël Personnaz, que l’on voit décidément beaucoup ces temps-ci (« Au bonheur des ogres »,  « Fanny », « Marius »…) est parfait en candide qui s’accroche. Ils sont entourés de grands talents : une perfide Julie Gayet à tomber, Bruno Raffelli, dont les compétences sur le Moyen-Orient sont à peine écoutées et ne pense qu'à manger, où Thierry Frémont qui ne cesse de lancer des vannes salaces, en complet décalage. Ambiance !

L’on s’amuse beaucoup dans ce « Quai d’Orsay » où règne le stress en maître. Le comique de répétition y joue à merveille, avec les portes claquées par le ministre à rythme soutenu, qui sont comme dans des tremblements de terre dans les alcôves du pouvoir, où tout le monde se précipite sur ses dossiers pour empêcher les feuilles de s’envoler (gag récurrent de la BD). Si le service de l’Etat n’est pas ignoré, ce sont les personnalités qui dominent. Et au premier chef, Alexandre Taillard de Worms (Thierry Lhermitte), avec ses références littéraires et philosophiques alambiquées, son obsession du stabilo, ses non lectures des discours qu’on lui soumet, renvoyés sine die… Le film donne l’impression d'avoir été tourné par une petite souris dans les arcanes de la République en assumant sa dimension caricaturiste : drôle et instructif.

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