Cet article date de plus de sept ans.

"Après la guerre" d’Annarita Zambrano dans la sélection Un certain regard : cathartique, puissant

La réalisatrice italienne installée à Paris, Annarita Zambrano présente en sélection officielle Un certain regard le très beau "Après la guerre", sur les répercussions du terrorisme d’extrême gauche en Italie vingt ans après. Un film humain, subtil, d’une puissante sobriété.
Article rédigé par franceinfo - Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
"Dopo la guerra", un film de Annarita Zambrano, qui plonge le spectateur dans une histoire familiale prise en étau par un conflit franco-italien.
 (Pyramide Distribution)

Le film d’Annarita Zambrano, "Après la guerre", présenté dans la sélection officielle Un certain regard, marque une étape importante dans la représentation au cinéma du thème du terrorisme des années de plomb en Italie. Depuis une dizaine d’années, plusieurs films, dont certains de grande qualité, s’y sont intéressés mais en restituant l’époque même des événements : ainsi "Buongiorno notte" de Bellocchio sur l’enlèvement d’Aldo Moro et son assassinat, et d’autres à la thématique plus vaste, comme "Le rêve italien" de Placido, "Mon frère est fils unique" de Lucchetti, "Nos plus belles années" de Giordana. Bref : le cinéma italien a su relire cette page sombre de l’histoire très récente. Mais de manière donc exclusivement historique.

Mise à jour

Seul, jusqu’à présent, "La seconda volta", de Calopresti, avec Nanni Moretti et Valeria Bruni-Tedeschi, en 1996, a cherché à mettre à jour ce regard, par la confrontation d’une ancienne terroriste en liberté conditionnelle avec sa victime rescapée.
Annarita Zambrano à Cannes le 23 mai.
 (Lorenzo Ciavarini Azzi / Culturebox)
Vingt ans plus tard, ce film d’Annarita Zambrano "Après la guerre", évoque lui aussi l’"après". C’est un vrai sujet. Comment recoller les morceaux les années passant ? "Après la guerre" s’est intéressé à ceux, parmi les anciens terroristes, qui se sont installés en France au début des années 1980 grâce à la Doctrine Mitterrand qui leur promettait de ne pas être extradés malgré leur condamnation. C’est le cas du personnage principal du film, Marco, condamné pour meurtre mais "réfugié" à Paris et ayant refait sa vie. En 2002, l’assassinat à Bologne d’un juge (l’histoire est inspirée de faits réels), le remet sur le devant de la scène car le meurtre est revendiqué par un groupe portant le même nom que celui de Marco vingt ans plus tôt. Le gouvernement italien demande son extradition, l’homme décide de prendre la fuite avec sa fille de 16 ans, Viola.

Romantisme mal placé

Pour Annarita Zambrano, intellectuelle et cinéaste italienne installée à Paris depuis vingt ans, le film était une nécessité. Enfant à l’époque des années de plomb, elle était adulte en 2002, quand l’homicide de Marco Biagi (professeur du droit du travail, conseiller économique du gouvernement de l’époque), revendiqué par des nouvelles Brigades Rouges, a ré-ouvert une réflexion sur les terroristes installés en France : "D’un côté je me demandais pourquoi les Italiens avaient attendu si longtemps pour les rechercher. Qu’ont-ils fait pendant ces vingt ans ?", nous dit Annarita Zambrano, ici à Cannes, ravie de pouvoir expliquer les raisons de ce film qu’elle a mis sept ans à fabriquer.  "D’un autre côté", poursuit-elle, "vivant déjà à Paris, je ne comprenais pas le romantisme dont jouissait la figure de l’ex-terroriste italien en France : il devait être beau, cultivé, intelligent… Quelque chose m’échappait et me mettait en colère. Comment ne pas comprendre ce qu’a été la douleur de ces années ? J’ai eu besoin de remettre les choses à leur place, ne fût-ce qu’humainement : ces personnes ont détruit des vies et la leur en même temps".
Le film est le récit de la fuite de Marco avec sa fille (on suppose orpheline de sa mère). Grâce à des connexions de l’époque du militantisme, il trouve refuge quelque part dans une maison au milieu d’une forêt, d’où il prépare son départ pour l’Amérique latine. Mais rien ne se passe : l’homme se confie à une journaliste pour expliquer sa lutte d’autrefois, ressasse le vieux discours de la guerre civile, mais ne prête aucune attention à sa fille qui, en pleine adolescence, voit avec horreur sa vie basculer. Annarita Zambrano montre très bien la confrontation entre la froide logique intellectuelle et politique de l’ancien terroriste et les conséquences humaines de ses actes. Une confrontation très ancienne, comme si rien ne s’était passé depuis l’époque. "C’est parce que l’ancien terroriste est dans le passé !", explique la réalisatrice. "Ce qui lui arrive est une tragédie mais aussi un souffle de vie qui le ramène à l’époque et à une possibilité de s’exprimer à nouveau. Mais il est fini le temps des meetings : Marco parle tout seul. Il n’y a plus rien à combattre, tout est fini. Son attachement au passé est ridicule, pathétique".

L'ex-terroriste, un homme banal

Le film est conçu, selon Annarita Zambrano, comme la relecture d’une tragédie grecque autour d’une histoire privée qui se trouve mêlée à une histoire d’intérêt public. Le sujet est tragique, humain, avant d’être politique. La mise en scène est d’une sobriété exemplaire, faisant reposer la narration essentiellement sur l’écriture des personnages. Le premier, Marco : "il devait, dans mon film, avoir une certaine banalité" dit la réalisatrice : "pas un héros incroyable, brillant. La vérité est que le mal que ces terroristes ont fait (et que font également les terroristes d’aujourd’hui) est immensément plus grand qu’eux". Marco est campé par Giuseppe Battiston, l’un des comédiens les plus intéressants de sa génération en Italie, homme épais, "imposant, à la Orson Welles", ajoute Annarita Zambrano.

Deuxième personnage clé, celui de la fille Viola, brillamment tenu par la Française Charlotte Cétaire, incarne l’espoir d’un renouveau. Fille de son temps, fille de la France davantage que d’une Italie dont elle ne connaît même pas la langue, elle doit pourtant se réinventer en tenant compte de cette culture d’origine. "C’est une catharsis, comme dans toutes les tragédies, née ici d’un sacrifice. Sa nouvelle vie ne sera pas nécessairement la plus belle vie au monde, car elle y perd sa jeunesse et son innocence", dit la réalisatrice. Enfin, le dernier personnage est un ensemble composé des membres de la famille italienne de Marco, confrontée à la séparation et au deuil (déjà d’un premier enfant, toujours pour cause de terrorisme) hier comme aujourd’hui. Repliée sur elle-même, elle ne respire ni la santé ni la joie de vivre. Elle est pourtant essentielle dans la narration, seul lien pour Viola : "c’est le lien du sang, qui fait partie des éléments constitutifs d’une tragédie, et qui est fondamental pour comprendre sa propre histoire", conclut Annarita Zambrotti. Et pour se reconstruire.

LA FICHE

Genre : Drame
Réalisateur : Annarita Zambrano
Pays : Italie, France
Acteurs : Barbora Bobulova, Giuseppe Battiston, Fabrizio Ferracane
Durée : 1h33

Synopsis : Bologne, 2002. Le refus de la loi travail explose dans les universités. L’assassinat d’un juge ouvre des vieilles blessures politiques entre l’Italie et la France. Marco, ex-militant de gauche, condamné pour meurtre et réfugié en France depuis 20 ans grâce à la doctrine Mitterrand, est soupçonné d’avoir commandité l'attentat. Le gouvernement italien demande son extradition. Obligé de prendre la fuite avec Viola, sa fille de 15 ans, sa vie bascule à tout jamais, ainsi que celle de sa famille en Italie, qui se retrouve à payer pour ses fautes passées

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