Reprise : "La Fille de Ryan", l'avant-dernier film de David Lean
Chant du cygne
« La Fille de Ryan » est le dernier film a avoir été tourné en 70 mm, dans sa phase historique. Ce format, le double de la pellicule classique 35 mm, s’est désormais réfugié dans les salles IMAX ou dans les parcs d’attractions. Mais cette notion fait maintenant partie de l’histoire, puisque la numérisation a pris le dessus. Il n’empêche qu’en 1970 cela voulait encore dire quelque chose, le format apportant une définition de l’image inégalable, très propice à restituer toute la beauté des paysages irlandais de « La Fille de Ryan ».
Cet avant-dernier film de David Lean, précédant « La Route des Indes » (1985), relève d’un romanesque achevé tout en évoquant un pic de la lutte pour l’indépendance irlandaise en pleine première guerre mondiale en 1916. Aussi, le drame amoureux au cœur du film transcrit les tensions entre l’île et l’Angleterre, Rosy (Sarah Miles), mariée à un instituteur local (Robert Mitchum), s’amourachant d’un soldat britannique blessé au front, en garde d’une garnison voisine. Il n’en reste pas moins que David Lean, alors en fin de carrière, traduit comme le chant du cygne d’un cinéma en phase de disparaître, mais qui regagne en force, vu aujourd’hui, par son classicisme éblouissant. Un Polanski ou un Spielberg ne le démentiraient pas, sans pour autant paraître réactionnaires.
Une alchimie rare
C’est sans doute le seul film où Robert Mitchum, figure habituelle de bad boy à la réputation sulfureuse, incarne un personnage mis en faiblesse. C’est également le dernier film marquant de Sarah Miles, vue auparavant dans « The Servant » (1963, Joseph Losey), ou « Blow Up » (1966, Michelangelo Antonioni), mais qui ne tournera que des films de seconde zone par la suite. Il faut dire que « La Fille de Ryan », qui a le souffle d’une grande fresque historique, n’a pas rencontré le succès escompté à l’époque, égratigné par une critique assassine. La dichotomie entre son drame intimiste et sa dimension épique, propre à Lean, est sans doute à l’origine du malentendu qui, aujourd’hui, ne devrait plus avoir cours.
Car quelle beauté dans les premières scènes du film, avec cette fameuse ombrelle qui vole au-dessus de la plage, moment magique, où la magnifique musique de Maurice Jarre transmet toute la vivacité du personnage de Rosy, insouciante, encore rattachée à l’enfance, bientôt à l’aube de sentiments et d’un drame qui vont la dépasser. Sarah Miles est bouleversante dans l’interprétation de cette femme enfant qui va basculer dans l’opprobre alimentée par une plèbe injuste. Mitchum est à sa mesure dans un registre inattendu, John Mills campe un fou du village inoubliable, ce qui lui valut un Golden Globe. Récompense ex aequo avec Trevor Howard, dans le rôle du prêtre du village. Christopher Jones, plus discret, joue le commandant anglais, tout en retenu, touchant par cette interprétation rentrée, traduction du traumatisme connu au front.
La cause irlandaise reste enfin au cœur du film, avec notamment cette scène épique du naufrage, lors d’une tempête nocturne, où tout le village se rassemble pour sauver les armes destinées à la lutte. Il demeure que le public de 1970, sans doute orienté vers d’autres rives, l’arrivée d’un cinéma aux sujets plus contemporains avec le « new Hollywood », se désintéressa complètement de ce film sublime, sans doute trop classique pour l’époque, et pourtant si en phase avec elle (la cause irlandaise alors en plein essor, mais aussi le féminisme). Une injustice réparable grâce à cette reprise en copie restaurée de toute beauté.
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