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"Sans frapper" : le nouveau film documentaire audacieux d'Alexe Poukine brise les idées reçues sur le viol

Ce deuxième long-métrage de la réalisatrice Alexe Poukine propose un regard kaléidoscopique sur la question du viol, en mettant en scène à travers plusieurs voix le récit d'une victime. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Affiche du film "Sans frapper", d'Alexe Poukine, mars 2022 (La Vingt-Cinquième Heure)

Le nouveau documentaire d'Alexe Poukine aborde avec un parti pris de réalisation audacieux et éclairant la question du viol et des "zones grises" qui accompagnent très souvent ce "phénomène sociétal de grande ampleur". Le film, en salles le 9 mars 2022, met en scène d'une manière originale et décalée le témoignage d'Ada, une victime.

A l'origine du film, une rencontre d'Ada avec la réalisatrice Alexe Poukine en 2013, à la fin de la projection de son premier long-métrage, Dormir, dormir dans les pierres.  Ada lui raconte ce qui lui est arrivé neuf ans plus tôt.

Quand elle a 18 ans, Ada décide de partir s'installer à Lille avec sa meilleure copine, Mathilde. Les deux jeunes filles rêvent de la grande vie, loin des parents. Ada rencontre Hugo, avec qui elle vit son premier amour. Mathilde elle aussi a rencontré un garçon, prénommé Julien. Mais Hugo quitte Ada, et le petit ami de Mathilde lui avoue qu'il est amoureux de sa colocataire.

Le viol

Mathilde s'en va. Ada accepte de passer une soirée avec Julien pour lever les ambiguïtés, dissiper le "malaise" qu'elle ressent en sa présence. Mais c'est l'inverse qui se produit. Ada, vierge, subit une relation sexuelle non consentie, puis une seconde, et encore une troisième, dans la même semaine. La jeune femme se rend aux trois rendez-vous avec Julien de son plein gré. Il lui faudra du temps pour mettre un mot sur ce qu'elle a subi et vécu comme une honte : un viol.

"Sans frapper", d'Alexe Poukine, mars 2022 (La Vingt-Cinquième Heure)

Le film aborde avec sensibilité toutes les questions qui se posent sur le viol : les faits, la honte, la culpabilité, les dégâts qu'il occasionne. Les mots sont parfois crus, parfois suspendus, tant il est difficile de parler de ce traumatisme. "Je n'étais plus personne", raconte Ada dans la voix d'une comédienne. 

"On peut dire ce qui ne te tue pas te rend plus fort, mais il y a des expériences qui te font désapprendre, essentiellement. Tu désapprends le lien, tu désapprends le désir, tu désapprends la confiance. Est-ce que c'est intéressant ? Non, ça ne l'est pas du tout"

Ada

"Sans frapper"

"On a l'habitude de décrire le violeur comme un monstre, un si grand monstre qui ne peut être comparé à personne de réel, ce qui revient à dire qu'il n'existe pas", dit une des protagonistes. Or, et le film le rappelle, un tiers des viols a lieu à l'intérieur des couples, et dans la majorité des cas, la victime connaît son violeur.

Choeur

Pour mettre en scène le récit d'Ada, la réalisatrice a décidé de faire dire à d'autres les mots écrits par Ada pour raconter son histoire. "J’ai rencontré plusieurs auteurs de viol pour le film, des gens parfois adorables, qui pourraient être mes meilleurs amis ! Au bout d’un moment, j’ai compris que le sujet du film était l’empathie, que c’était la question : comment peut-on s’identifier à quelqu’un qui a vécu ça ? J’ai donc demandé à Ada d’écrire ce texte, je l’ai divisé en plusieurs parties, et j’ai cherché des personnes qui pourraient l’interpréter et le commenter", explique la réalisatrice.

 

Des comédiennes, mais aussi des psychologues, des avocats, des prostitués, ou encore ses amis proches, des femmes et des hommes, de tous âges, s'emparent des mots d'Ada en y mettant un peu de ce qu'ils sont. Puis ils commentent, expriment ce qu'ils ressentent et comprennent (ou pas) de ce récit. Puis le texte d'Ada les emmène peu à peu vers leur propre vécu, leurs propres expériences, douleurs et hontes enfouies, qu'ils soient femmes ou hommes, agresseurs ou agressés.

Cet habile dispositif met en abîme une expérience et permet d'interroger chacun (les protagonistes du film comme les spectateurs) sur son propre rapport à la sexualité, au consentement, à la notion de viol, et d'en déconstruire "l'image fantasmée".

"Un phénomène sociétal de grande ampleur"

L'idée d'incarner le récit d'Ada dans les voix de ce chœur est aussi une manière pour la réalisatrice de montrer que le viol n'est pas seulement un drame individuel, mais aussi un "phénomène sociétal de grande ampleur". Incarnée par une diversité de visages -des femmes, des hommes, vieux, jeunes, blancs, noirs, agresseurs, agressés- cette histoire permet, en brouillant les pistes, de mettre en place des mécanismes d'identification très puissants, tout en interrogeant le spectateur sur les clichés, sur les représentations.

"Sans frapper", d'Alexe Poukine, mars 2022 (La Vingt-Cinquième Heure)

Les interviews se succèdent en plans fixes, presque sans aucune transition, et sont réalisées le plus souvent dans un décor familier, dans les lieux de vie des intervenants, baignés dans une lumière douce. Une atmosphère enveloppante qui contraste avec la violence du sujet, et qui accompagne le spectateur dans l'appréhension d'une problématique compliquée. Autant sur le fond, que sur la forme, Sans frapper est un film fort et éclairant, qui, au-delà de la question du viol, interroge sur la sexualité, le désir, la capacité de chacun à dire son propre désir et à entendre celui de l'autre. 

Affiche du film "Sans frapper", d'Alexe Poukine, mars 2022 (La Vingt-Cinquième Heure)

La fiche

Genre : documentaire
Réalisatrice : Alexe Poukine
Durée : 1h25
Pays : France
Sortie : 9 mars 2022
Distributeur : La Vingt-Cinquième Heure
Synopsis : Ada a dix-neuf ans. Elle accepte d’aller dîner chez un garçon qu’elle connaît. Tout va très vite, elle ne se défend pas. Son corps est meurtri, son esprit diffracté. Le récit d’Ada se mélange à ceux d’autres, tous différents et pourtant semblables. La même sale histoire, insensée et banale, vue sous différents angles.

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