"The Master" : Joaquin Phoenix en force
De Paul Thomas Anderson (Etats-Unis), avec : Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams, Jesse Plemons, Laura Dern - 2h17 - Sortie : 9 janvier
Synopsis : Freddie, un vétéran, revient en Californie après s’être battu dans le Pacifique. Alcoolique, il distille sa propre gnôle et contient difficilement la violence qu’il a en lui… Quand Freddie rencontre Lancaster Dodd – « le Maître », charismatique meneur d’un mouvement nommé la Cause, il tombe rapidement sous sa coupe.
Ce n’est un secret pour personne, Paul Thomas Anderson s’est librement inspiré de Ron Hubbard et sa scientologie, pour son « Master » et « La Cause » qu’il dirige de sa stature charismatique. Cinéaste surdoué, Anderson est épaulé par un duo d’acteurs qui se sont d’ores et déjà affirmés parmi les plus accomplis de leur génération, Joaquin Phoenix, qui retrouve un rôle à sa mesure, et Philip Seymour Hoffman, tous deux Prix d’interprétation à la dernière Mostra de Venise. Tous sont au rendez-vous d’un grand film, à la hauteur de leur réputation.
Anderson trouve toujours des sujets hors des sentiers battus. A l’écriture d’un sujet original s’il en est, et derrière la caméra, il explore avec « The Master » la fascination de l’Amérique pour le mysticisme. Les Etats-Unis sont caractéristiques de ce paradoxe d’être à la pointe d’une société matérialiste, fleuron de l’argent roi, et de connaître un foisonnement d’Eglises déduites du dogme chrétien ou spiritualistes. « La Cause », alter-ego de l’Eglise de scientologie, relève clairement de la deuxième. « The Master » n’est pas pour autant un film sur la scientologie. C’est avant tout l’histoire d’un homme, traumatisé par la guerre (Phoenix), récupéré par un gourou (Seymour Hoffman), sans que pour autant Anderson exprime un jugement sur cette récupération. Anderson : the master
Si le maître inspire de la fascination pour tout son entourage, il est en retour tout autant fasciné par celui qu’il n’hésite pas à qualifier de « cobaye », mais aussi, par déduction, de patient, se disant capable de le guérir de son alcoolisme, dont il semble pourtant lui-même atteint. Si cette fascination existe bien pour le gourou, c’est que son protégé lui échappe. Il reste cet « animal » qu’il veut extraire de la nature humaine, en la « perfectionnant ». Anderson reprend ainsi dans son scénario cette intime relation existant entre le discours mystique et la maladie. Le Christ guérissait (ressuscitait même), Katherine Mansfield, René Daumal ou Luc Dietrich se sont réfugiés chez Gurdjieff, au dernier stade de leur maladie… Autres constances, celle des femmes dans l’entourage du maître, mais aussi l’argent qui plus ou moins bien acquis entache les tendances sectaires.
Paul Thomas Anderson met tout ce programme à plat avec une qualité d’écriture minutieuse sans aucune prise de parti et une mise en scène d’une élégance extrême, comme dans tous ses films. A son habitude, le récit prend son temps, trop diront certains. Les destins de Freddie Quell et de son mentor Lancaster Dodd en valent la peine, en s’attardant sur l’échec sentimental du premier, bien plus traumatisant que son expérience de la guerre, ou la récupération puritaine par sa femme du discours du second. Ou encore la répétition des exercices qui participent de la « thérapie », de l’enseignement du maître. Anderson enlumine de plus son propos d’une mise en images des années 50 juste sans être ostentatoire. La très grande classe.
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