"Une affaire de principe" : José Bové contre les lobbies du tabac dans un film édifiant sur le fonctionnement des institutions européennes
Adapté de Hold-up à Bruxelles, les lobbies au cœur de l’Europe de José Bové, en collaboration avec Gilles Luneau (Éditions La Découverte, 2015), ce second long-métrage d'Antoine Raimbault revient sur l'enquête menée par le député européen et ses assistants pour démêler une affaire de lobbying des géants du tabac, qui a déstabilisé au plus haut niveau les institutions européennes. Une affaire de principe, un film qui se dévore comme un thriller, sort en salles le 1er mai.
16 octobre 2012, le commissaire à la santé de la commission européenne John Dalli est poussé à la démission pour avoir participé à des rendez-vous secrets, notamment avec un fabricant suédois de Snus, tabac à priser, autorisé uniquement dans ce pays. Il est accusé d'avoir touché un pot-de-vin pour entraver le vote de la directive tabac.
"La Commission doit rendre des comptes au Parlement, et Barroso, je suis désolé, il doit respecter la règle, comme tout le monde."
Le personnage de José Bovédans le film "Une affaire de principe"
Soupçonnant l'existence d'un complot, José Bové (Bouli Lanners), avec l'aide de Patrice (Thomas VDB), son assistant parlementaire, et de Clémence (Céleste Brunnquell), une stagiaire opiniâtre, se lancent dans une contre-enquête qui va les mener jusqu'au plus haut sommet du pouvoir européen. Lobby du tabac, compromissions de la Commission européenne, conflits d'intérêts au sein de l'Olaf (Office européen de lutte anti-fraude). Ce qu'ils découvrent au fil d'une enquête semée d'embûches dépasse de loin une simple affaire de "rendez-vous non déclarés"...
Pour José Bové, toujours la pipe au bec, cette enquête est "une affaire de principe", plus qu'un combat contre les géants du tabac. Ce qui compte, pour lui, et il le répète à l'envi, c'est "la démocratie, le respect et la règle et du droit, au plus haut sommet des institutions européennes".
Dans les coulisses
La prouesse du film est de harponner et de tenir son spectateur en haleine avec une affaire complexe, une somme d'informations pas simples à ingérer, des pelletées d'acronymes, et des tenants et aboutissants peu familiers au commun des mortels… Tout ça dans un cadre extrêmement formel et impersonnel, composé d'hémicycles éclairés aux néons, de halls gigantesques, de couloirs moquettés sans aspérités, de ding-dong d'ascenseurs qui rythment le quotidien de ces institutions.
Ces lieux sans grande valeur ajoutée sur un plan dramaturgique sont transformés, par la magie de la mise en scène, en décor de cinéma. Le réalisateur croque avec ironie ces espaces hors-sol pour souligner le gigantisme et la dépersonnalisation d'institutions tentaculaires, au fonctionnement complexe, pour ne pas dire, occulte, tel un château fort imprenable, regorgeant d'oubliettes et de zones d'ombre difficiles à pénétrer.
En contraste, dans ce décor lisse et feutré, peuplé de figurants uniformisés, costards cravates et bien peignés, José Bové, moustache et veste de velours, et ses deux acolytes, jean baskets et sac à dos Quechua, avec comme seules armes l'enregistreur du téléphone et la photocopieuse, apparaissent comme une équipe de pieds nickelés, dont l'efficacité se révèlera pourtant implacable.
José Bové, en vieux routard punk du combat politique, explique à la jeune et fougueuse Clémence la différence entre la justice et le droit, "qui aide à garder la tête froide". Plus tard, c'est la jeune fille qui poussera toutefois les deux anciens à ne pas baisser les bras, et à mener jusqu'au bout le combat engagé. "Trois générations et trois regards, pour mieux interroger notre foi dans le politique", souligne le réalisateur.
Leur combat a contribué à l'adoption par le Parlement européen, le 19 mai 2014, de la directive sur les produits du tabac, qui avait pour objectif principal de rendre les produits du tabac moins attractifs pour les jeunes, et qui comprend notamment la neutralité du paquet, avec l'affichage d'avertissements liés à la santé sur 65% de leur surface.
"Thriller de bureau"
Faire un film à suspense dans le contexte des institutions européennes relevait du défi. Avec une équipe d'acteurs formidables (la jeune Céleste Brunnquell d'une rare intensité, Bouli Lanners plus vrai que Bové, et Thomas VDB surprenant dans un personnage maladroit et attachant), une mise en scène parfaitement rythmée portée par une musique efficace et bien dosée, plus une touche d'ironie, Antoine Raimbault, tel un funambule perché entre la réalité et la fiction, réalise une prouesse.
Qualifié par le réalisateur de "thriller de bureau", Une affaire de principe montre comment les institutions européennes, quand leur bon fonctionnement est assuré (et c'est le rôle entre autres des députés européens), garantit l'intérêt général contre les intérêts financiers des lobbies, et interroge avec intelligence la question de la démocratie et de l'engagement.
Grâce à ce trio de personnages et aux députés européens qui gravitent autour d'eux, le film donne également une autre image, réelle, à échelle humaine, de cette instance désincarnée, trop souvent appréhendée comme une entité abstraite.
Après Une intime conviction, son excellent premier film, ce deuxième long-métrage d'Antoine Raimbault, une nouvelle réussite, pourrait bien donner envie au spectateur de s'intéresser de plus près à l'Europe et à ses institutions, voire le motiver pour aller élire ses représentants les 6 et 9 juin prochains.
La fiche
Genre : Film d'enquête
Réalisateur : Antoine Raimbault
Acteurs : Bouli Lanners, Thomas VDB, Céleste Brunnquell
Pays : France
Durée : 1h36
Sortie : 2024
Distributeur : Memento Distribution
Synopsis :
Bruxelles, 2012. Quand le commissaire à la santé est limogé du jour au lendemain, dans la plus grande opacité, le député européen José Bové et ses assistants parlementaires décident de mener l’enquête. Ils vont alors découvrir un véritable complot menaçant de déstabiliser les instances européennes, jusqu’à leur sommet. Tiré de faits réels.
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