"Une famille" : Christine Angot frappe aux portes de son passé marqué par l'inceste dans un film documentaire bouleversant

Après avoir raconté dans plusieurs livres l'inceste qu'elle a subi adolescente de la part de son père, Christine Angot revient sur cet épisode dans un premier film tranchant, et bouleversant, avec la force d'une tragédie antique.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6min
"Une famille", de Christine Angot, sortie le 20 mars 2024. (NOUR FILMS)

Vingt-cinq ans après L'inceste, et plusieurs livres consacrés à ce sujet, comme Un amour impossible, (Flammarion, 2015), ou Le Voyage dans l'Est (Flammarion, 2021), Christine Angot revient cette fois sur cette question avec un film documentaire, Une famille, dans les salles le 20 mars 2024.

En 2021, pour la promotion de son livre Le voyage dans l'Est. Christine Angot doit se rendre à Nancy, Metz et Strasbourg. Strasbourg, c'est la ville où elle a été violée adolescente par son père. La ville où habite toujours Elisabeth, sa belle-mère, la femme de son père, disparu il y a vingt ans. Elle décide alors de s'y rendre avec une caméra, qui la suivra dans ce voyage.

Le pied dans la porte

Le 12 septembre 2021, à l'arrivée dans cette ville où elle a rencontré son père pour la première fois à l'âge de 13 ans, la ville où il a commencé à la violer, l'émotion la submerge. Des larmes. Puis c'est la colère qui prend le dessus. Christine Angot monte dans un taxi. Après quelques hésitations, elle appuie sur le bouton de la sonnette, met le pied dans la porte, et entre chez sa belle-mère.

La scène qui suit est renversante. Chirstine Angot est en colère, submergée par l'émotion. En face, sa belle-mère, cabrée. Après un moment d'affrontement, les deux femmes se posent dans cet intérieur bourgeois, la belle-mère pantalon jaune assorti à la toile accrochée dans son dos. Une femme qui se révèle au fil de la conversation incapable d'entendre, incapable de dire, incapable de reconnaître qu'elle "fait partie de l'histoire"

C'est la première scène forte du film. Il y en aura d'autres : un échange de Christine Angot avec sa mère. Une autre avec Claude, son ex-mari. Un autre avec Charly, son compagnon. Et enfin un dernier, libérateur, avec sa fille. Ces scènes sont entrecoupées d'extraits de films de famille, où on la voit avec sa fille enfant, avec son mari, ou écrivant. Ces images renvoient à un temps passé qui perdure. Elles projettent aussi sans commentaires un autre temps qui s'est ouvert, où la maternité, la famille, se réinventent malgré tout. Des images dont le sens se déploie hors champs, à la disposition du spectateur. 

Ici et là, aussi, des d'archives, des photos d'enfance, de jeunesse, de famille, commentées, un plateau télévisé animé par Ardisson,que la romancière finit par quitter, des sons, des archives de l'émission Le Masque et la plume, réhabilitant tardivement une écrivaine longtemps méprisée par la critique. Autant de moments qui révèlent à quel point pendant toutes ces années, Christine Angot a hurlé dans le désert. Depuis, il y a eu La famillia grande, de Camille Kouchner, et plus récemment Triste tigre, de Neige Sinno.

"La phrase qui a rompu ma solitude"

Il arrive qu'une caméra agisse sur le réel, qu'elle serve à la fois de soutien, de médiateur, et d'agent libérateur. Christine Angot revisite par ce biais la tragédie dont elle est la victime, et la caméra devient l'outil qui lui permet de faire entendre aux protagonistes de cette histoire sans fin ses sentiments, sa colère, sa douleur, celle du viol, celle de ne pas avoir été entendue, celle de sa solitude. C'est ce même outil qui les force à l'écouter, à l'entendre, à lui répondre.

"Une caméra, c’est quelque chose qui accompagne, qui soutient, qui voit la même chose que soi", explique Christine Angot dans la présentation du film. Elle ajoute que l'idée de faire un film, plutôt qu'un livre est née de cette "envie qu’il y ait une caméra dans la main de quelqu’un, quelqu’un qui est là, qui voit et entend la même chose que soi, qui fait la même expérience visuelle, sensorielle, sensible et même hyper sensible".

"Une famille", de Christine Angot, sortie le 20 mars 2024. (NOUR FILMS)

Le film apparaît ainsi comme la chambre d'échos d'une douleur, d'une colère à faire entendre et d'un désir d'entendre ce que les autres ont à dire. En cela le film est au démarrage suffocant. Angot ne lâche pas l'affaire, avec un courage remarquable. "Se parler, avant de tous disparaître, je pense que ça serait une bonne chose" dit la romancière à sa belle-mère au début du film, dans un message téléphonique. Voilà au fond ce que la caméra permet de faire advenir, et c'est déchirant.

Ainsi au fil des séquences, et des mots prononcés par les uns et par les autres, c'est vers un apaisement que chemine le film, qui s'achève sur cette scène bouleversante : "Un jour tu m'as dit je suis désolée qu'il te soit arrivé ça", dit Christine Angot à sa fille. "C'est la phrase qui a rompu ma solitude", souffle-t-elle. On les quitte là-dessus, la mère et la fille, au bord de la mer, tournées vers l'horizon. Une petite brise agite leurs cheveux, le soleil éclaire leurs sourires. La famille est là.

"J'en ai marre de parler de l'inceste. J'en ai marre que mon travail soit envahi par ça", dit Christine Angot. Avec Une famille, elle interroge une fois encore cette question, d'une manière plus directe, qui fait surgir et donne à voir une vérité, sans détours, sans filtre et sans littérature. 

Affiche du film "Une famille", de Christine Angot, sortie le 20 mars 2024. (NOUR FILMS)

La fiche :

Genre :  documentaire
Réalisateur : Christine Angot
Pays : France
Durée : 
1h22 min
Sortie : 
20 mars 2024
Distributeur : 
Nour Films

Synopsis : L’écrivaine Christine Angot est invitée pour des raisons professionnelles à Strasbourg, où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme et ses enfants y vivent toujours. Angot prend une caméra, et frappe aux portes de la famille.

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