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"Winter Sleep" : Nuri Bilge Ceylan décroche sa Palme d'or

Aimé des jurys cannois (Grand prix pour "Uzak" en 2003, Prix de la mise en scène 2008 pour "Les Trois singes", Grand prix 2011 pour "Il était une fois en Anatolie"), le turc Nuri Bilge Ceylan a décroché cette année la récompense suprême avec "Winter Sleep", drame familial où l'ennui fait remonter les rancœurs entre un comédien à la retraite, sa femme et sa belle-sœur, dans une Anatolie hivernale.
Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4min
"Winter Sleep" de Nuri Bilge Ceylan
 (Nuri Bilge Ceylan)
La note Culturebox
2 / 5                  ★★☆☆☆

De Nuri Bilge Ceylan (Turquie), avec : Haluk Bilginer, Melisa Sözen, Demet Akbağ - 3h16 - Sortie : 6 août 2014

Synopsis : Aydin, comédien à la retraite, tient un petit hôtel en Anatolie centrale avec sa jeune épouse Nihal, dont il s’est éloigné sentimentalement, et sa sœur Necla qui souffre encore de son récent divorce. En hiver, à mesure que la neige recouvre la steppe, l’hôtel devient leur refuge mais aussi le théâtre de leurs déchirements...

En être ou pas
Concentrés autour de drames intimes ("Les Climats") ou de groupes restreints amenés à vivre une expérience commune ("Il était une fois en Anatolie"), les films de Nuri Bilge Ceylan dilatent le temps. On adhère, ou pas. Vu l'accueil de ses films précédents sur la Croisette. Sa Palme d'or cette année n'a surpris personne. D'autant que la majorité de la critique le plaçait en tête. D'autant que "Winter Sleep" est un de ses meilleurs films, le cinéaste étant par ailleurs très aimé de Gilles Jacob, président du Festival de Cannes dans la dernière année de sa fonction.

Toujours est-il que nous ne faisons pas partie du sérail, pour s'être profondément ennuyé à chacun de ses films. On en est ou pas. "Winter Sleep" "relate" les dissensions au sein d'une famille hétéroclite, perdue au milieu de nulle-part en Anatolie, et propriétaire d'un hôtel. Lui, écrit des articles dans une sombre revue intellectuelle, pendant que son épouse gère l'établissement, presque réduite à l'état de servante, sa belle-sœur occupant la maison familiale de droit. L'esclandre éclate au cours d'un échange d'idées autour de la responsabilisation des actes de chacun face au "bien" et au "mal".

Haluk Bilginer dans "Winter Sleep" de Nuri Bilge Ceylan
 ( © Nuri Bilge Ceylan)

Du cinéma parlant au cinéma bavard
Le propos du film n'est évidemment aucunement réaliste, mais prétexte à un essai philosophique. Aussi, "Sommeil d'hiver" ("Winter Sleep") enchaîne à un rythme infernal un flot verbal d'une rare ampleur sur le sujet, à l'image de dissertations, selon les protagonistes. Chaque scène s'avère un torrent de dialogues qui alimente des rivières de paroles, venant grossir des fleuves d'idées pour finir dans un océan de voix. Durant 3h16. Pour comparaison, "2001" de Kubrick comprenait à peine vingt minutes de dialogues insignifiants sur une durée totale de 2h21, pour soutenir un des propos philosophiques le plus puissant de l'histoire du cinéma.

Ce qui nous ramène aux origines, pour reprendre le crédo de Chaplin : vive l'universalité du cinéma muet qui parle avec les images ! Sur ce point, Nuri Bilge Ceylan, comme de coutume, concocte des plans d'une grande beauté, très atmosphériques. Les intérieurs boisés aux lumières chaudes, animées par le crépitement d'un feu, s'opposent à des extérieurs glacials, enneigés, avec en leur cœur un magnifique village, dont les habitations sont taillées dans la roche. Superbe ; l'on pense à Bergman. Lors d'une soirée de beuverie virile, où s'échangent les propos les plus absconds, c'est "Husbands" de Cassavetes qui vient en mémoire et dans l'affrontement familiale quasiment clôt, c'est Tchekhov qui remonte à la surface.

Comme souvent chez Ceylan, un thème plus dramatique, comme la résolution d'une intrigue, s'installe pour réveiller le spectateur et synthétiser l'ensemble. Ici, le don d'une grosse somme d'argent à une famille en difficulté. Mais le flot verbal persiste et saoule encore et toujours. Certains sont décidément plus résistants que d'autres à à un tel flot de voix...

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