"Zombi Child" de Bertrand Bonello : un film politique sur le vaudou
"Zombi Child" de Bertrand Bonello, projeté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes, part d'une "histoire vraie" de zombi survenue entre 1962 et les années 80 à Haïti. Il évoque le vaudou, l'esclavage et la persistance des liens étroits qui unissent la France à Haïti.
Pour son septième film, Bertrand Bonello est allé tourner à Haïti, mais aussi en France, une histoire de zombi bien éloignée des opus de morts-vivants de George A. Romero ou des rodeurs de The Walking Dead. Ici, pas de hordes décharnées prêtes à tout pour dévorer des vivants. Le zombi retourne à ses origines afro-caribéennes.
1962, un homme d'une quarantaine d'années (Mackenson Bijou) est zombifié, c'est-à-dire qu'il est empoisonné, qu'il présente toutes les apparences du cadavre, qu'il est pleuré et mis en terre par sa famille. Ceux qui l'ont zombifié viennent le déterrer, le droguent pour le placer dans un un état de semi-conscience afin de l'exploiter, drogué, dans les champs de canne à sucre.Revenu comme par miracle à la conscience normale, il aurait erré treize ans avant de se manifester auprès de sa famille. L'homme s'appelle Clairvius Narcisse et son histoire est bien connue sur l'île. Un livre intitulé Le serpent et l'arc-en-ciel lui a été consacré et Wes Craven en a tiré un film portant le même titre.
Petite-fille de zombi
2019. Mélissa, une jeune Haïtienne (Wislanda Louimat), intègre la prestigieuse Maison d'Éducation de la Légion d'Honneur. Cet établissement ne reçoit que des enfants de personnes décorées. La mère de Mélissa, disparue dans le grand tremblement de terre de 2010, l'avait été pour des faits de résistance à la dictature duvalliériste.
Mélissa n'est autre que la petite-fille de Clairvius Narcisse. Petite-fille de zombie, donc. Ce qu'elle en raconte à Fanny (Louise Labèque) une de ses compagnes d'internat souffrant d'un chagrin sentimental, pousse la jeune fille à rencontrer secrètement la tante de Mélissa pour retrouver l'amour grâce au vaudou.
Le ton juste
Entre croyances, réalité et doute, Bertrand Bonello (Nocturama, Saint-Laurent) a trouvé le ton juste pour mener ce film traitant tout autant des rites vaudous que des relations historiquement passionnelles qui unissent la France à Haïti. À travers le traitement imposé aux "zombis", rendus à l'état animal pour favoriser leur esclavage, il rappelle que les Français n'ont pas eu besoin de droguer les Haïtiens pour parvenir au même résultat.
Le cinéaste a expliqué au public de la Quinzaine des Réalisateurs qu'il avait tenu à tourner son film à Haïti-même, malgré les difficultés et les violences quotidiennes que connait ce pays. "J'aurais pu aller le tourner en République dominicaine comme on me le conseillait, j'ai refusé par souci éthique."
Un projet qui se construit tout seul
En France, son récit nécessitait un internat de jeune filles lui permettant de réunir des lycéennes dans ces sororités très courantes aux États-Unis mais rares dans notre pays.
La Maison d'Éducation de la Légion d'Honneur répondait à ces critères. Bertrand Bonello, remarquant que cette institution avait été créée par Napoléon 1er, s'est dit que son projet se construisait tout seul, l'Empereur ayant rétabli l'esclavage notamment à Haïti.
Transes et zombies
Zombi Child (dont le titre n'est pas sans rappeler le Voodoo Child de Jimi Hendrix) téléscope les époques. Peu à peu l'intrigue haïtienne est éclairée par le récit parisien mené au présent, et vice-versa. Cet entrelacement lui permet de ne pas sombrer dans le pseudo-documentaire voyeur autour des rites vaudous. Ils sont pourtant bien présents, filmés sans effets psychédéliques ni montage précipité.
Plusieurs séquences semblent vouloir accréditer les thèses de l'existence des zombis et des contacts avec l'au-delà lors des scènes de transes vaudoues. Un texte de fin de film va d'ailleurs dans ce sens. À chacun d'être convaincu ou pas.
Wislandat Louismat et Louise Labèque
Pour les rôles principaux tenus en majorité par des adolescentes, Bertrand Bonello a rencontré près d'une centaine de jeunes filles. Son choix s'est arrêté sur Wislandat Louismat (Mélissa) et sur Louise Labèque (Fanny).
Chacune est parfaite dans son rôle, lourde responsabilité pour de jeunes filles sans formation mais capables de trouver toutes les nuances de jeu exigées d'un comédien professionnel.
La Fiche
Genre : Drame
Réalisateur : Bertrand Bonello
Acteurs : Louise Labeque, Wislanda Louimat, Adilé David
Pays : France / Haïti
Durée : 1h43
Sortie : 12 juin 2019
Distributeur : Ad Vitam
Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs
Synopsis : Haïti, 1962. Un homme est ramené d'entre les morts pour être envoyé de force dans l'enfer des plantations de canne à sucre. 55 ans plus tard, au prestigieux pensionnat de la Légion d'honneur à Paris, une adolescente haïtienne confie à ses nouvelles amies le secret qui hante sa famille. Elle est loin de se douter que ces mystères vont persuader l'une d'entre elles, en proie à un chagrin d'amour, à commettre l'irréparable.
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