John Williams et la musique de "Star Wars", le retour en force des grands orchestres dans le cinéma hollywoodien
La bande originale de "Star Wars" a non seulement contribué à la légende de la saga, elle a aussi marqué un retour à une tradition en vogue du temps de l'âge d'or de Hollywood, nous rappelle Thierry Jousse, critique de cinéma, réalisateur et producteur sur France Musique.
Reconnaissable entre toutes, la musique de Star Wars, son générique épique, sa marche entêtante associée à Dark Vador, entre autres éléments gravés dans notre mémoire collective, est associée à jamais à l'immense succès de la saga. Au moment de la sortie du premier film de la trilogie historique de George Lucas en 1977, son compositeur John Williams n'en était pas à son tour d'essai en termes de partition orchestrale obsédante puisqu'il avait déjà marqué les esprits deux ans plus tôt en signant la musique des Dents de la mer de Steven Spielberg.
À la veille de la sortie en salle du neuvième et tout dernier volet de la saga, L'Ascension de Skywalker, Thierry Jousse, critique de cinéma, réalisateur et producteur sur France Musique de l'émission Ciné Tempo consacrée à la musique de film, nous parle de la genèse de la bande originale la plus populaire et certainement la plus rentable de l'histoire du cinéma et de son influence dans l'écriture des musiques de fillms.
Franceinfo Culture : Quel impact le travail et le succès de John Williams ont-ils eu sur l'écriture de la musique de film à partir de la seconde moitié des années 70 ?
Thierry Jousse : John Williams réhabilite une sorte de vocabulaire du grand orchestre qui avait été ultra dominant à Hollywood dans les années 30, 40, 50. On trouvait cette conception très américaine, avec une musique omniprésente, notamment chez le compositeur Max Steiner. Entre-temps il y a eu une période, dans les années 60 et la première moitié des années 70, où le jazz, la pop et des vocabulaires variés ont transformé les partitions en des essais qui allaient dans des directions très différentes, y compris chez John Williams lui-même. Quand vous regardez ce qu'il a fait avant Les dents de la mer et Star Wars, c'est assez varié. Vous trouvez des choses orchestrales, d'autres plus proches de la musique contemporaine mais aussi des choses un peu jazz à la Henry Mancini. Et à partir de 1976-77, il y a en effet un changement. En tout cas, Star Wars est plutôt considéré, en tant que film et en tant que musique, comme un "retour à". Les paramètres étant un peu différents de ceux du son hollywoodien, je parlerais d'une sorte de néoclassicisme. Ça donne le signal d'une nouvelle tradition.
Quelles grandes influences de John Williams retrouve-t-on dans la musique de Star Wars ?
C'est vaste. John Williams connaît très bien le vocabulaire classique. Ce qui est assez curieux, c'est qu'à la base, c'est un musicien de jazz. Il a été pianiste de jazz avant d'être compositeur à part entière. Je dirais de manière informelle que l'œuvre Les Planètes de Gustav Holst [ndlr : pièce de 1914-1916, écoutez le mouvement Mars] constitue la grande influence de Williams. D'autres compositeurs de musiques de films s'en sont aussi inspirés. Il y a peut-être aussi Prokofiev pour une part, voire parfois Mahler, Bruckner, avec ce côté grande forme orchestrale. Mais tout dépend des partitions : dans la musique que John Williams a écrite pour Les dents de la mer, on peut percevoir une influence de Stravinsky et de son Sacre du Printemps.
Que savez-vous de la façon dont la partition musicale de Star Wars s'est mise en place ?
Ce que je sais, c'est qu'à la base, George Lucas ne voulait pas forcément mettre de musique ; et s'il envisageait d'en mettre, c'était plutôt à la façon de 2001, l'Odyssée de l'espace avec des partitions préexistantes ou un peu contemporaines. Quand on entend la bande originale de THX 1138, le premier long métrage de Lucas [ndlr : sorti en 1971] qui était un film de science-fiction expérimental on va dire, on découvre une partition de Lalo Schifrin assez dissonante, pas très proche de ce qu'a fait John Williams. Donc au départ, Lucas n'était pas parti sur cette idée de grande forme orchestrale mais cela s'est mis en place finalement. Il faut dire que Star Wars n'a pas coûté aussi cher qu'on pourrait le croire. C'était presque une série B à la base et son succès a constitué une relative surprise. Par ailleurs, à l'origine, Lucas envisageait une mise en scène liée au cinéma muet mais il y a visiblement renoncé !
Les influences notamment musicales de George Lucas ont-elles pu donner une orientation au travail de John Williams ?
Il y a beaucoup de musique dans Star Wars. Manifestement, si Lucas avait lui aussi quelques références classiques, Richard Wagner constitue une bonne piste, étant donné que le réalisateur s'inspire beaucoup des mythologies nordiques, allemandes. Je pense qu'il a plutôt donné ce genre de direction à Williams, ce qui a abouti par exemple aux leitmotivs, ces thèmes spécifiques aux personnages à l'instar de ce que fait Wagner dans le Ring [surnom de sa Tétralogie inspirée de mythes germaniques]. Je crois que ça s'est joué dans une réflexion, un échange mutuel car je ne suis pas certain que Lucas était en mesure de formuler ce type de demande de manière aussi précise. Le compositeur a son mot à dire et à l'époque, John Williams n'était pas un débutant, il avait derrière lui une quinzaine d'années de composition. En tout cas, au bout du compte, on trouve un mélange entre des inspirations de musiciens classiques de la fin du 19e siècle et une certaine esthétique de l'âge d'or de Hollywood.
Est-ce qu'on trouve dans l'histoire du cinéma d'autres exemples de leitmotivs aussi iconiques avant Star Wars et Les dents de la mer ?
Je pense tout de suite à l'exemple très connu du Troisième homme (réalisation : Carol Reed, 1949) avec le fameux thème de la cythare qui accompagne le personnage d'Orson Welles. Donc je ne pense pas que Williams ait inventé ce concept. Mais en tout cas, il a systématisé l'emploi des leitmotivs et leur a donné une dimension plus marquée dans la façon de les composer et celle de les utiliser à l'écran.
Quelles sont les autres caractéristiques de la musique de Star Wars ?
Je vois la partition de Star Wars comme de grandes masses orchestrales qui viennent la plupart du temps se heurter les unes aux autres. Il y a un côté guerrier, très marqué. C'est la renaissance de la forme épique. Ensuite, il y a des éléments un peu plus parodiques, décalés, comme le thème des Ewoks. Il y a donc des choses assez contrastées. Il m'est arrivé d'écouter des musiques des différents Star Wars indépendamment des films, et l'impression que je ressens est celle d'une sorte d'opéra. La force de la partition de John Williams, c'est qu'il a réussi à garder quelque chose de cinégénique avec une dimension mélodique très importante. Il a le sens du thème. Ça restait important à l'époque dans la musique de film, alors que ça l'est moins aujourd'hui de façon générale. John Williams est un peu le dernier représentant d'une esthétique orchestrale qu'il a poussée à son point d'incandescence le plus grand.
Ce qui est intéressant dans Star Wars, et qui peut aussi être asphyxiant dans certains cas, c'est que la musique y joue un rôle presque aussi important que les autres éléments du film, ce qui n'est pas si fréquent dans le cinéma. Dans Star Wars, la musique, c'est plus qu'une couleur, c'est un personnage dramatique. C'est impressionnant. D'ailleurs, d'après ce que j'ai pu lire, la bande originale écrite pour l'ultime volet de la saga est assez monumentale - à l'image de toute la série ! - puisque Williams a enregistré plus de deux heures de musique. On y retrouve tous les thèmes de Star Wars, redéveloppés différemment. John Williams, qui a 87 ans, et qui a été malade pendant un moment au point où on pensait qu'il arrêterait complètement la musique, est peut-être en train de signer sa dernière partition importante.
Quels sont les grands héritiers de John Williams en matière de musique de film ?
L'héritier le plus direct, c'est le compositeur canadien Howard Shore pour la trilogie du Seigneur des anneaux, dans un style différent, un peu moins mélodique. Mais on retrouve le même type de projet pharaonique, très épique, avec un côté un peu gothique. Aujourd'hui, ce type de projet est impensable sans une grande partition orchestrale. C'est l'apport de John Williams par rapport à ce qui a suivi Star Wars. Il a imposé - sans l'avoir prémédité - une certaine esthétique du monumental, de la grande forme orchestrale, de l'opéra. Et tout le monde se réclame de près ou de loin de lui. Alexandre Desplat, qui a fait de la grande forme orchestrale et qui a travaillé sur un Harry Potter - dont Williams a signé les musiques des premiers films - cite le compositeur américain parmi ses plus grandes influences.
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