Cet article date de plus de huit ans.

"Star Wars" a-t-il tout piqué à la BD française ? Le (faux) procès de George Lucas

Toute ressemblance avec des œuvres antérieures à la saga de George Lucas ne seraient pas purement fortuites.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Image extraite du film "L'Empire contre-attaque", sorti en 1980. (LUCASFILM / WALT DISNEY / AFP)

"Merde, on dirait Valérian !" Dans son fauteuil de cinéma, lors de la projection du premier volet de Star Wars, Un nouvel espoir, en 1977, Jean-Claude Mézières s'étrangle. Le dessinateur de la série Valérian, agent spatio-temporel découvre sur grand écran certains des éléments iconiques de sa série. Et ce n'est pas le seul : beaucoup d'amateurs de bande dessinée français ont eu un petit goût de déjà-vu en découvrant les aventures de Luke Skywalker. Plagiat, emprunt ou coïncidence troublante ? Le procès de George Lucas est ouvert.

Des preuves accablantes

Han Solo plongé dans la carbonite ? Une scène déjà vue dans le deuxième tome des aventures de ValérianL'Empire des mille planètes, paru une décennie avant le premier film de la saga. Le bikini métallique de la princesse Leia dans Le Retour du Jedi (1978) est déjà porté par Laureline, la compagne de Valérian, dix ans plus tôt, dans Le Pays sans étoile.

Des personnages secondaires du space opera ressemblent de façon troublante aux Shingouz, l'ethnie marchande qui colle aux basques de Valérian et Laureline dans la BD. Sans parler de la présence d'un vaisseau ressemblant à s'y méprendre au Faucon Millenium au tout début des années 1970.

Vous avez dit coïncidence ? Pas Jean-Claude Mézières, qui a écrit deux fois à George Lucas. Sans réponse. Vexé, il a réglé ses comptes en publiant un dessin dans le magazine Pilote en 1983, représentant Valérian et Laureline conversant avec Luke et Leia dans le bar intergalactique La Cantina de Mos Eisley, autre emprunt à l'univers de la BD. Leia dit : "C'est amusant de vous rencontrer ici !" Réponse pleine de sous-entendus de Laureline : "Oh, nous fréquentons cette boîte depuis longtemps..."

Les emprunts ne s'arrêtent pas à Valérian, qualifiée de "plus importante série de science-fiction dont les Américains n'ont jamais entendu parler" par le prestigieux Hollywood Reporter (en anglais). Le droïde volant désintégré par Luke au début de L'Empire contre-attaque est calqué sur un robot imaginé par Mœbius dans The Long Tomorrow. On retrouve aussi chez Giraud les prémisses de l'Etoile de la mort, ainsi que les landspeeders. L'autre grand de la BD d'anticipation française, Philippe Druillet, n'est pas oublié. Un de ses personnages ressemble fortement à Jabba le Hutt, et la scène dans laquelle Luke baigne dans du liquide amniotique pendant sa convalescence fait fortement penser à cette séquence

L'avis du procureur

Monsieur le président, nous avons affaire à un multirécidiviste. George Lucas n'a jamais fait mystère de son goût pour la bande dessinée européenne. Dans les années 1970, le magazine Métal Hurlant (qui publie Mœbius et Druillet) était diffusé aux Etats-Unis sous le nom de Heavy Metal et faisait un tabac auprès du public underground américain, qui délaissait les comics de super-héros, cadenassés par une loi de protection pour la jeunesse.

A l'époque, un des amis du prévenu, lui aussi cinéaste fauché, ouvre une boutique de BD à Manhattan, Supersnipe, raconte le livre How Star Wars Conquered the Universe. Dans ses rayons, les bandes dessinées européennes introuvables aux Etats-Unis, notamment celles publiées dans Pilote (dont Valérian). Les meilleurs clients du magasin ? Martin Scorsese, Brian de Palma, Robert Zemeckis et le créateur de Star Wars, donc. Le futur gratin d'Hollywood va puiser l'inspiration à la source.

Mais sans la créditer. Ce n'est pas dans les habitudes de George Lucas de reconnaître ses emprunts – ou alors sur le tard. Le scénario de Star Wars ressemble beaucoup à un classique du cinéma japonais, la musique du générique à Kings Row, un film américain d'après-guerre, le costume de Han Solo à un western des années 1950.

Et nous avons un témoin oculaire du forfait. Le chef opérateur du film La Menace fantôme a reconnu que George Lucas a la série complète des Valérian bien en évidence dans son atelier. Un bémol : sa déclaration date de la fin des années 1990. Mais on peut faire le rapprochement avec le fait que lorsque George Lucas a confié le design des personnages à Ralph McQuarrie, le réalisateur lui a montré des modèles piochés dans une grande pile de bandes dessinées, rapporte Dale Pollock, auteur du livre Skywalking.

Enfin, monsieur le président, il existe de forts soupçons que George Lucas ait eu accès au storyboard de Dune, adaptation du roman culte de Frank Herbert, dessiné par Mœbius ? Le projet pharaonique pour l'époque n'a jamais vu le jour faute de financement. "Je crois que ce storyboard a circulé à Hollywood", lâche le patron de Pathé Jérôme Seydoux dans le documentaire Jodorowsky's Dune, qui retrace la genèse du film.

Qu'y avait-il dans ce storyboard ? Rien moins que deux scènes cultes du film Un nouvel espoir ! On y retrouve... des combats au sabre laser, avec la même chorégraphie que celle du combat entre Obi-Wan Kenobi et Dark Vador, moment-clé du film, tout comme la scène du droïde sphérique volant qui entraîne Luke au maniement du sabre laser. "Dune, c'est un film qui ne s'est jamais fait, mais dont on retrouve les empreintes dans beaucoup d'autres", insiste le critique de cinéma Devin Faraci dans le documentaire. 

La parole est à la défense

George Lucas, entouré par deux stormtroopers, le 3 octobre 2007 à Los Angeles (Etats-Unis). (GETTY IMAGES)

Monsieur le président, l'exposé du procureur ne tient pas ! Quand bien même George Lucas reconnaîtrait les emprunts à la BD franco-belge, il ne serait que le bouc-émissaire d'une industrie culturelle américaine qui a allègrement pioché dans l'imaginaire des auteurs européens. Même le grand dessinateur de science-fiction américain Frank Kelly Freas a admis qu'il y avait "tellement de bonnes idées à voler dans la BD européenne...", comme le rappelle le site culturel Dark Roasted Blend (en anglais). Si emprunts il y a, l'identité de l'emprunteur n'est pas forcément George Lucas. Beaucoup de petites mains des studios Lucasfilm étaient embauchées dès leur sortie de l'école parisienne des Gobelins, une référence déjà à l'époque, a justement remarqué le magazine Nouveau Cinéma

Il faudrait aussi faire la part des choses sur qui a influencé qui. Certes, le bikini de Leia ressemble beaucoup à celui de Laureline... qui ressemble beaucoup à celui de cette plantureuse jeune femme secourue par Flash Gordon, en couverture d'un fascicule des années 1960, à moins que ce ne soit celui de cette autre princesse court vêtue. C'est une référence de la science-fiction et/ou un fantasme d'auteur libidineux. Même chose pour le casque de Dark Vador, qu'on peut retrouver chez Valérian. Mark Hamill, l'interprète de Luke, a eu une réaction différente en découvrant le costume du méchant : "Mais c'est Doctor Doom [un personnage de comics très connu, Docteur Fatalis en VF] !"

Condamner ces ressemblances entraînera une cascade de procédures judiciaires. C'est le mode de fonctionnement de la création culturelle qui est remise en cause. Jean-Claude Mézières, sur son site officiel, dépeint lui-même sa série comme "bourrée de références à la science-fiction, à la littérature populaire et aux classiques de la bande dessinée européenne et américaine". Références, emprunts, réinterprétations... Où est la frontière ? Interrogé par le site Konbini, Philippe Druillet, à qui George Lucas a commandé par la suite plusieurs dessins, ne se cache pas : "J’ai démarré comme tout le monde en me servant de mes prédécesseurs. George Lucas a trouvé chez moi des choses qui lui correspondaient. Je trouve ça très bien."

Et entre eux, les auteurs français ne sont pas forcément plus tendres. En 1991, Jean-Claude Mézières reçoit un coup de fil de Luc Besson, lui proposant de travailler sur un film qui deviendra Le Cinquième Element. Son argument choc : "Je pense que les Américains t'ont assez pillé." Mœbius collaborera un peu à l'élaboration des décors du film... avant d'intenter un procès au réalisateur, coupable selon lui d'avoir repompé le scénario de sa BD L'Incal (qui était elle-même inspirée du projet avorté Dune). Comme en physique, dans la culture pop, rien ne se perd, tout se transforme...

Verdict ?

Le tribunal décide de relaxer George Lucas, au motif que le dossier à charge est insuffisant pour mériter plus. Unique sanction prononcée à son égard : devoir regarder en intégralité sans interruption les trois (mauvais) films racontant la jeunesse de Dark Vador, sans bâiller et copier 1 000 fois "plus jamais je ne créerai un personnage comme Jar Jar Binks dans mes films". La séance est levée.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.