"Star Wars" : "Baby Yoda", BB-8, Jar Jar Binks, les Ewoks... Comment les personnages mignons se sont imposés dans la saga
Dans une galaxie lointaine, très lointaine, où les Jedi s'opposent aux Sith, ils côtoient Obi-Wan Kenobi, Luke Skywalker et Rey pour apporter une touche de légèreté à cette guerre des étoiles. Mais le rôle des personnages mignons de la saga est aussi commercial.
"Si je n'avais pu être réalisateur, j'aurais sans doute alors fabriqué des jouets", déclarait le jeune George Lucas dans la revue Positif, en 1977. Quatre décennies plus tard, et alors que le nouvel opus de la saga qu'il a créée, L'Ascension de Skywalker, déboule sur les écrans français mercredi 18 décembre, cette phrase sonne toujours terriblement juste. Car Star Wars, ce n'est pas que l'histoire de la famille Skywalker sur trois générations, mais c'est aussi une formidable galerie de personnages destinés aux plus jeunes, qui n'a pas grand chose à envier à Disney – qui a d'ailleurs cassé sa tirelire en 2012 pour obtenir les droits sur l'univers imaginé par George Lucas. De C3PO à "Baby Yoda", en passant par Jar Jar Binks et les Ewoks, retour sur quatre décennies de "mignoncité"... pas totalement désintéressée.
La drôlerie des droïdes
Le succès phénoménal de La Guerre des étoiles en 1977 est essentiellement le fait d'adolescents ou de jeunes adultes attirés par le côté fun du space opera de George Lucas. Mais les plus jeunes s'y retrouvent aussi, notamment par le biais des personnages de C3PO et R2D2, deux droïdes qui vivent de façon décalée les péripéties de l'intrigue et destinés à apporter une dose d'humour. Patrice Girod, alors bambin de 10 ans présent dans la salle, en ressort émerveillé. "La production du film a attendu deux ans pour révéler si C3PO était un vrai robot ou s'il y avait un acteur à l'intérieur", se remémore celui qui a cofondé Lucasfilm Magazine et réalisé plusieurs expositions d'importances sur Star Wars.
"George Lucas a toujours eu au fond de lui l'envie de faire du grand divertissement pour les enfants", poursuit Patrice Girod, qui a rencontré de nombreuses reprises la tête pensante (barbue) de la saga. La 20th Century Fox a eu beau marketer le film en direction des ados, le spectre du public touché est plus large que prévu. La preuve, le fabricant de jouets avec qui a été signé l'accord pour les figurines n'est pas prêt pour Noël, et nombre d'enfants se retrouvent le 25 décembre 1977 avec une boîte vide et un "bon pour" au pied du sapin.
Vous pensiez comme tout le monde que L'Empire contre-attaque n'était pas destiné aux enfants ? Détrompez-vous. "En plus d'être un cinéaste de l'expérimentation qui ose laisser Yoda, qui n'est jamais qu'une marionnette, porter son film, George est un passionné d'éducation, qui n'oublie jamais qu'un enfant se construit entre 8 et 10 ans", martèle Patrice Girod. Le sous-texte éducatif est omniprésent, en atteste la lecture des commentaires du script par George Lucas himself dans le livre Star Wars: The Annotated Screenplays. Par exemple, le passage où Luke, dont le vaisseau s'est crashé sur la planète Dagobah, cherche un maître Jedi tout en essayant de se débarrasser de Yoda n'est pas anodin. "La leçon pour le héros est d'apprendre à respecter tout le monde, et de faire attention aux personnes qui ne paient pas de mine, car c'est peut-être elles qui détiennent la clé du succès."
La tentation obscure des marchands de jouets
Arrive Le Retour du Jedi, sorti en 1984. Georges Lucas est conscient que son public a pris six ans et a peut-être eu des enfants. D'où une volonté d'adoucir le propos du dernier épisode. Le titre initial, La Revanche du Jedi, est ainsi modifié par le terme plus neutre de "retour" après un sondage téléphonique. De même, Han Solo, qui devait passer l'arme à gauche, ne meurt plus – "George pensait qu'il n'y avait pas de potentiel pour les jouets à l'effigie d'un Han Solo mort", persiflera Harrison Ford en 2010. Dans une première mouture du scénario, les Wookies incarnaient ce peuple primitif qui déjoue un retard technologique abyssal pour remporter une improbable victoire militaire contre l'Empire.
Le souci, c'est que le personnage de Chewbacca, qui pilote le Faucon Millenium comme personne et tire plus vite que son ombre pistolaser au poing, risquait de brouiller le message. Va pour les Ewoks, improbable croisement entre Winnie L'Ourson et Thierry La Fronde, et si les enfants s'en amourachent au point de les réclamer comme doudous, ça ne peut pas faire de mal, raconte le journaliste Chris Taylor dans son livre How Star Wars Conquered The Universe.
Les Ewoks, c'est le genre de personnage qui fait entrer le jeune public dans le film.
Patrice Girodà franceinfo
Le succès au box-office et dans les magasins de jouets ne se fait pas attendre : George Lucas et ses équipes établissent dès lors la stratégie marketing toujours suivie aujourd'hui par les grandes majors. "Avant, on produisait des produits dérivés mais c'était quasiment à perte, et souvent avec retard par rapport à la sortie du film, uniquement pour continuer à faire vivre l'œuvre auprès du public", indique Sébastien Durand, spécialiste de pop culture, qui a roulé sa bosse chez Disney. Tout change avec Le Retour du Jedi. "C'est le moment où les marchands de jouets ont pris les commandes de Lucasfilm", attaque dans le Los Angeles Times Gary Kurtz, producteur des deux premiers volets, qui a quitté le navire Star Wars avant l'épisode VI.
De la rancœur mal placée, estime Patrice Girod : "Jamais George Lucas ne se serait fait imposer quoi que ce soit par les fabricants de jouets Mattel ou Hasbro. Tout ce qu'ils pouvaient faire, c'est piocher dans le catalogue de personnages pour fabriquer des produits dérivés, rien de plus." Pour preuve, quand le fabricant de jouet Kenner propose à Lucas au milieu des années 1980 une série de dessins animés clé en main pour écouler de nouveaux personnages – juste assez différents pouvoir utiliser les mêmes moules de figurines – et faire vivre la poule aux œufs d'or, elle se voit opposer une fin de non-recevoir, raconte le site Comic Book Ressources. Les Ewoks, eux, connaîtront deux films, de multiples déclinaisons... et même une chanson signée Dorothée pour le public français.
Le bide de Jar Jar Binks
Quinze ans plus tard, les progrès des effets spéciaux incitent Georges Lucas à échafauder sa prélogie, racontant les origines du personnage de Dark Vador. Reste à inclure le jeune public qui n'a peut-être pas vu les premiers films. C'est là qu'intervient le personnage de Jar Jar Binks. L'horripilant Gungan modélisé par ordinateur se voulait un hommage à Dingo et aux pionniers du slapstick comme Buster Keaton, avec des gags visuels à gogo et des tics de langage pour détendre le jeune public entre deux combats de sabre laser.
Selon la légende, c'est le fils adoptif de George Lucas, Jett, qui a trouvé le nom et validé le choix de l'acteur. Las ! En quelques jours, la communauté des fans se déchaîne. L'acteur qui l'incarnait a récemment avoué avoir songé au suicide devant le déferlement de haine sur internet – et encore, les réseaux sociaux n'existaient pas en 1999, date de la sortie de La Menace fantôme.
"Le cas Jar Jar Binks, c'est l'histoire de la montée en puissance des fans, qui sont devenus copropriétaires des marques. Le mythe échappe complètement à George Lucas", souligne Sébastien Durand. Le créateur de Star Wars a énuméré ses desiderata aux designers sans faire d'étude de marché ou de focus group, raconte le magazine Rolling Stone. "Je n'avais qu'à plaire à une seule personne, George Lucas", se souvient Rob Coleman, superviseur des effets spéciaux sur le film.
Seriously, this is the idea that turned into Jar Jar. Isn't that thing adorable?! #ThePhantomMenace pic.twitter.com/LvX3Mvv4FG
— Bryan Young (@swankmotron) May 17, 2019
Et le papa de Jar Jar Binks fait face à la critique sans se démonter : "Star Wars, c'est avant tout des films pour enfants, et ça, les fans ne veulent pas l'admettre, réplique-t-il sur la BBC. Dans le premier film, ils ont détesté R2D2 et C3PO. Dans le second, Yoda n'était pas à leur goût, et dans le troisième, les Ewoks leur sortaient par les yeux. Jar Jar n'est que le suivant." Même Anthony Daniels, l'acteur à l'intérieur de C3PO justement, ira de son commentaire acerbe : "Vu que j'avais passé 10 ans, pour moi, il était un peu comme les Ewoks."
"Ils prennent le moins de risques possible"
Avec la nouvelle trilogie, terminé la prise de risque pour les nouveaux personnages. Le droïde BB-8 ressemble un R2D2 customisé, avec quarante ans de moins. Directement sorti de l'esprit de J.J. Abrams, le réalisateur du Réveil de la Force, qui a transmis ses brouillons aux designers, le robot tout rond a comme un goût de déjà-vu. "Disney traite ses fans comme ses actionnaires", déplore Bradley Weatherholt, auteur du documentaire The Prequel Strikes Back, qui s'attelle à réhabiliter la prélogie mal-aimée et porte un regard acerbe sur la reprise de la franchise par Mickey. "Ils prennent le moins de risques possible. J'ai tendance à plus pardonner à un film qui se solde par un désastre en ayant eu de nobles intentions qu'à un film qui joue trop la sécurité."
Tout le paradoxe d'un groupe Disney, acquéreur de Lucasfilm en 2014 moyennant la rondelette somme de 4 milliards de dollars. "Avant le rachat de Star Wars et de Marvel, le périmètre de Disney se réduisait dangereusement aux enfants, illustre Alexandre Bohas, professeur à l'Essca et auteur du livre Disney, un capitalisme mondial du rêve. Mais aujourd'hui, alors qu'ils ont des contenus très marqués à destination des adolescents, ils refusent de trop segmenter ces produits pour plaire au plus grand nombre."
D'où l'arrivée de personnages qui peuvent faire penser à des clones tout public des héros des précédents films. Poe succède à Han Solo dans le costume du baroudeur canaille... Et on reprend les bonnes vieilles recettes de George Lucas avec les Porgs, croisement entre une mouette et un hamster, dans le très sombre Les Derniers Jedi.
Ou avec l'arrivée surprise d'un "Baby Yoda" dans Le Mandalorian, la série dérivée de l'univers Star Wars produite pour Disney+. Le secret avait été bien gardé autour de ce personnage et aucun produit dérivé commandé en avance à une entreprise tierce, quitte à s'asseoir sur Noël. De la même façon, un fabricant de jouet comme Hasbro n'a eu accès qu'à un tiers des personnages du dernier film pour ses produits dérivés, et conserver ainsi l'effet de surprise des spectateurs en salles, détaille un responsable de Disney au site Cinema Blend.
Original concept art. #TheMandalorian pic.twitter.com/4VWm6WUzFl
— Jon Favreau (@Jon_Favreau) November 19, 2019
Disney n'a pas acheté qu'une galaxie lointaine, très lointaine avec Lucasfilm, mais un accès à un nouveau public qu'il ne touchait pas forcément par ailleurs. "Les études montrent que ce sont plutôt les familles traditionnelles qui offrent des princesses Disney à leurs enfants, quand le public de Star Wars se situe plutôt chez les progressistes, liberals au sens américain du terme", souligne Alexandre Bohas, qui vient de signer l'ouvrage Les Puissants à l'assaut de la culture. Numéro un des ventes de jouets depuis les années 2010, les personnages de l'univers conçu pour George Lucas auraient pu prendre un tour différent si leur créateur n'avait pas eu l'intention de s'adresser en priorité aux enfants, comme l'avoue Charles Lippincott, l'homme qui a marketé la saga à ses débuts au site américain The Drum. "Je suis sûr que si Star Wars n'était pas 'tous publics', on aurait sous-licencié des capotes et des sextoys."
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