Tchaïkovski : son homosexualité occultée dans un biopic russe
La très controversée loi anti "propagande de l'homosexualité auprès de mineurs" n'a pas fini d'avoir des répercussions et implications, parfois inattendues, dans différents domaines de la société russe. Jusqu'à réécrire l'histoire. Le texte, adopté par la Douma (les députés russes) fin janvier, a été promulgué fin juin par le président Vladimir Poutine, suscitant de vaines protestations dans le monde.
Le futur film consacré à Tchaïkovksi bénéficie d'une aide financière du gouvernement russe. Un soutien obtenu seulement après qu'une première version du scénario a été tout simplement jetée aux orties. Dans cette première mouture, il était fait trop ouvertement référence à une passion platonique et à sens unique que le compositeur du "Lac des cygnes" nourrissait à l'égard d'un jeune homme. Le ministère de la Culture a donc tout simplement repris les choses en main. Du coup, le film ne comportera plus aucune allusion à l'homosexualité du grand musicien.
"Je suis contre l'idée d’aborder le thème de l’homosexualité dans l’art"
Le scénariste Youri Arabov se place clairement du côté des autorités. Sur le site de "La Russie d'aujourd'hui", il déclare : "Il n’est pas prouvé que Tchaïkovski était homosexuel. C’est ce que pensent de nombreuses personnes. Mais ce que croient les gens ne doit pas obligatoirement être montré au cinéma." Balayant d'un revers de main toutes les "légendes" et "mythes", selon ses mots, qui entourent la vie et la mort du musicien, il renchérit : "Je suis contre l’idée d’aborder le thème de l’homosexualité, en particulier dans l’art. Le scénario de Tchaïkovski a déjà connu cinq versions différentes au cinéma, et dans cette dernière, il n’y a aucune trace d’homosexualité. Le film ne porte absolument pas là-dessus. Ce thème m’indiffère totalement."
Or, les tourments endurés toute sa vie durant par Piotr Tchaïkovski, dans une société qui n'aurait jamais toléré de tels penchants, sont indissociables de sa personnalité et rejaillissent dans certaines de ses oeuvres, d'un lyrisme et d'un romantisme poignants. Si la version officielle de sa mort en 1893 est une contamination par le choréra, l'hypothèse d'un "tribunal d'honneur" formé pour contraindre au suicide (et étouffer un scandale) le déviant musicien (qui aurait eu une relation avec un jeune membre de l'aristocratie russe) a traversé le temps. L'écrivain Dominique Fernandez en a fait un excellent livre il y a une quinzaine d'années, dans la lignée de la fameuse biographie de Nina Berberova, réalisée dans les années 30 à partir des souvenirs des derniers témoins contemporains du musicien. Quant au réalisateur Ken Russell, il s'est inspiré de l'homosexualité de Tchaïkovksi pour tourner en 1969 un film baroque et saisissant, pointant toutes les tortures endurées par un musicien qui se forçait à suivre, littéralement à son corps défendant, les convenances et obligations de l'époque.
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