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Témoignage "Les gens sont très attachés à leur cinéma, car il leur apporte un lien social" : vie d’une salle en Corrèze durant la pandémie

Bout de la chaîne de création du cinéma, les exploitants de salle offrent un enthousiasme et des alternatives que l’on entend peu.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Façade du cinéma Louis Jouvet, à Uzerche (Corrèze) - Mars 2021. (XAVIER DUQUESNOY)

Xavier Duquesnoy est responsable la salle de cinéma municipal Louis Jouvet à Uzerche (3000 habitants), en Corrèze, avec sa collègue Stéphanie. Un "mono-écran" de 187 places, comme il en existe de moins en moins. Touché de plein fouet par les mesures sanitaires, le Louis Jouvet est loin d’en être à sa "dernière séance", tant son responsable est enthousiaste et créatif. Il passe un message lucide, positif et inventif sur la crise qui dure depuis un an.

Franceinfo Culture : Quelle est le rôle d’un responsable de cinéma municipal ?

Xavier Duquesnoy : La salle étant municipale, le maire d’Uzerche en est le véritable exploitant. Mais dans la pratique, je fais le même métier. Je m’occupe avec ma collègue de la programmation, des projections, des comptes et de l’administration, plus lourde que dans le privé. C’est une salle unique de 187 places, refaite entièrement en 2012, et je m’en occupe depuis 2018. On a fait quelques travaux pendant le confinement, le cinéma étant fermé. Un temps dont profitent toutes les salles, pour rénover, il y a même des constructions de nouveaux cinémas en France. Une entreprise risquée, mais qui tombe "bien" aujourd’hui, sans l’inconvénient de devoir fermer, c'est déjà fait. De notre côté, on va rénover la climatisation, en évitant deux semaines de fermeture en temps normal.

Comment se sont passées ces différentes phases de confinement depuis un an ?

En mars 2020, on nous avait confinés pour quatre semaines, ça a duré deux mois, jusqu’en juin. On en a profité pour préparer la réouverture de septembre, surtout les animations avec le jeune public, suspendues l’été, et auxquelles on tient beaucoup. Il fallait aussi prendre les contacts avec les distributeurs pour avoir les films attendus depuis deux mois.

Des enfants à la médiathèque d'Uzerche (Corrèze) créent l'affiche de leur film "Un Pingouin dans la savane" dans le cadre d'un "Ciné-goûter" en février 2020. (XAVIER DUQUESNOY)

Le déconfinement a commencé fin mai, mais tous les établissements culturels sont restés fermés jusqu’au 22 juin. Pour nous, la reprise jusqu’en août a été timide, les gens ne revenaient pas, en raison de la pauvreté de l’offre. Le public art et essai était fidèle, mais ce qui fait le nombre d’entrées pour une salle unique, c’est les ados, les jeunes adultes, et il n’y a avait pas de films pour eux. Entre les deux confinements, on ne les a jamais revus, car tous les films américains, James Bond, Wonder Woman 1984, ou français, comme Kaamelott, ont été annulés, il n’y a que Tenet qui a été un petit succès.

D’autres exploitants disent pourtant que le public est revenu à la réouverture des salles

Pour nous, il n’est revenu qu’en septembre, et on voyait octobre se profiler avec une superbe programmation et une super fin d’année. Notamment pour les animationsavec les enfants, en coopération avec la médiathèque, car on travaille beaucoup avec le jeune public. C’était très prometteur. Sauf que le couperet est tombé de nouveau. Quand on nous a annoncé qu’il ne fallait pas plus de 5 000 cas de contamination par jour, et qu’on en est à 45 000 aujourd’hui, ça laisse rêveur. Quand le coup de massue du couvre-feu du 28 octobre est tombé, tous les cinémas se sont remobilisés pour préparer une nouvelle rentrée en janvier, avec un embouteillage prévisible de films.

Avez-vous perçu des aides ?

Comme on est une salle municipale, c’est la mairie qui finance, et le chômage partiel n’existe pas. Pour le suppléer, on peut être mis en autorisation spéciale d’absence, et être recasé sur un autre poste. Ce qui a été mon cas avec ma collègue lors du deuxième confinement. On a été transférés à la mairie, ou à la surveillance des protocoles sanitaires dans les écoles. Puis on est revenus au cinéma, pour préparer les travaux qui vont commencer. Mais comme on ne voit pas le bout de la crise, il faut aussi un peu relancer les choses, reprendre contact avec les spectateurs, relancer la communication.

On est retournés finalement à médiathèque, avec une animation dans le cadre de la Fête du court-métrage (24-30 mars 2021). Comme on ne pouvait pas la faire dans le cinéma fermé, on l’a transféré dans les locaux de notre partenaire. Car aberration : le cinéma est interdit, mais la salle des fêtes est accessible. On arrive quand même à faire des choses. On a présenté des films du festival aux maternelles, CE2 et CM1, depuis un ordinateur sur un écran assez large pour tous. On a créé des ateliers d’initiation à l’image, au son et à la musique, à partir de quatre films. On a abordé les différences entre court et long métrage, les spécificités de l’animation, et pu décortiquer quelques scènes. Demain on fait un atelier sur le son.

En quoi consistent ces animations avec les enfants ?

Avant le confinement, on avait mis en place une opération sur trois mois, où on faisait réaliser un film d’animation aux enfants, de A à Z, dans le cadre de nos ciné-goûters. Le principe est que les petits voient un film, goûtent, et enchaînent sur un atelier. On a commencé à définir les personnages du film, l’action, le cadre, le décor, avec un vote final, pour choisir quel scénario on allait écrire. Ensuite, ils ont dessiné les personnages, façonné les décors et dessiné l’affiche du film. Les personnages étaient en origami (pliage japonais), il y avait du coloriage, d’autres étaient au collage…

Origami créé par les enfants d'Uzerche (Corrèze). (XAVIER DUQUESNOY)

On voulait faire le film en kamishibai, un art japonais où derrière une fenêtre, un cadre, défilent des décors, avec un conteur. Nous y avons ajouté des marionnettes en origami. On pensait réaliser le film sur ce modèle. Il nous restait la dernière étape du tournage, prévue en mars 2020, avec le travail sur l’image, le son et les dialogues. Ce qu’on n’a pas pu faire avec le confinement. Puis ça a été repoussé à novembre, et rebelote, de nouveau bloqués. Quatre mois après, puisqu’on peut travailler, on s’est dit qu’il fallait finir. J’ai fait les images ce matin, et demain on attaque l’initiation au son, avec seulement quatre enfants, pour respecter les normes sanitaires. Notre film sera présenté, soit à la réouverture, soit un après-midi ouvert au public, un soir s’il fait beau, on verra. Comme les spectateurs ne peuvent pas venir nous voir, c’est nous qui allons vers eux.

Vous êtes très actif, quelles sont les réactions des habitants ?

Uzerche est un village d’à peine 3000 habitants où les gens sont très attachés à leur cinéma. On leur donne des rendez-vous sociaux, avec des opérations telles que celle-là. On invite des équipes qui présentent leurs films. L’idée, c’est de pérenniser ce lien par le cinéma, ce qu’il a toujours fait. Actuellement, on y arrive avec très peu d’enfants, pour éviter la contamination, et sur des opérations ponctuelles, mais on aimerait l’étendre à des ateliers du mercredi après-midi, autour du cinéma. Les enfants sont très demandeurs, les activités étant réduites.

Origami créé par les enfants d'Uzerche (Corrèze) pour leur film "Un pingouin dans la savane". (XAVIER DUQUESNOY)

Mais ce qui manque le plus, c’est de ne plus être dans notre cœur de métier, c’est frustrant. Ne plus voir les images, en parler, partager, échanger, ça manque. Il y a une belle programmation en perspective pour juin-juillet, mais le gouvernement ne va pas rouvrir les salles demain. Ça a été très dur de ne pas pouvoir rouvrir en janvier, mais là, de ne pas avoir de date du tout, c’est encore pire (depuis l’interview, le mois de juin a été avancé, ndlr). On ne peut pas se projeter. Il y a une quantité faramineuse de films en attente de sortie. J’ai entendu 400 films. Entre les annulations, et ceux qui passent sur les plateformes en attendant, ou pas, ça coince comme jamais. Je pense que quand ça rouvrira, les gens viendront, car il y a beaucoup de films attendus, comme Kaamelott, ou le Bond, Dune… On peut avoir une très belle fin d’année, si on rouvre en juin-juillet. Quand je croise nos spectateurs, tous me disent que ça leur manque, le cinéma comme la culture en général.

Quelle impression plus générale vous laisse cette année particulière ?

La tension est en train de monter, car on se sent vraiment exclus. En gros tout le monde travaille, différemment, mais nous sommes les seuls à devoir se reconvertir, comme à la mairie pour nous, alors que tous les autres peuvent travailler, les employés, les supermarchés sont ouverts. Les petits commerces "non essentiels" souffrent aussi, sans parler des bars et restaurants, le tourisme... Pour les musées, c’est pareil que nous, sans parler des théâtres, alors que les jauges sont depuis toujours très surveillées, et les gens ne vont pas se précipiter au musée s’ils rouvraient. Il n’y avait personne dans les expos pendant le déconfinement. Pour notre cinéma, c’est d’autant plus étonnant qu’on fait rarement salle pleine, la jauge n’est pas un problème. En temps normal on a 30-40 personnes sur 187 fauteuils par séance. Les gens ne comprennent pas du tout. Pendant le déconfinement, on a travaillé avec les Ehpad, en démontrant aux personnes âgées que le protocole était respecté pour les faire venir et tout s’est très bien passé.

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