: Témoignages "Certains acteurs et actrices préfèrent cacher leur orientation sexuelle" : ce qu'il se dit dans le milieu du cinéma français après le témoignage de Muriel Robin sur l'homophobie
Il semble bien que les propos de Muriel Robin aient fait l'effet d'une petite bombe. Lors de l'émission Quelle Époque, sur France 2, la comédienne de 68 ans a estimé qu'elle ne tournait pas ou peu dans des films parce qu'elle est homosexuelle, évoquant "l'homophobie" du milieu. Muriel Robin a, en effet, déclaré que "si on est homosexuelle, on n’est pas désirable, on n’est pas pénétrable. Et dans le cinéma, on ne vaut rien !".
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Au-delà du simple "buzz" médiatique, ces propos très forts ont beaucoup tourné depuis, et sans doute fait s'interroger le secteur du cinéma français, à qui franceinfo a souhaité donner la parole. Nous avons contacté une trentaine de personnes, tous métiers du cinéma confondus (réalisateurs, acteurs, producteurs, distributeurs) pour réagir à ses propos, y compris hors micro s'ils le souhaitaient. Moins d'une dizaine ont répondu, ce qui veut peut-être dire que le sujet reste délicat.
Une vision "vieillotte"
D'autres ont glissé qu’ils n'étaient pas forcément à l'aise pour répondre, n'étant eux-mêmes pas homosexuels, et de contacter plutôt des comédiens LGBTQI+... Mais c'est justement une partie du problème : selon Muriel Robin, aujourd'hui très peu en parlent, de peur de moins tourner. "Elle a totalement raison", assure le réalisateur Pierre Salvadori.
"Certains acteurs et actrices préfèrent cacher leur orientation sexuelle plutôt que de se voir privés de la possibilité d'accéder à des rôles, sachant que les trois-quarts des récits ont des protagonistes hétéros, dont les miens d'ailleurs."
Le réalisateur Pierre Salvadorià franceinfo
"Mais ça me paraît indiscutable, c'est très compliqué d'être transparent dans ce milieu, regrette le réalisateur nommé pour le César du meilleur réalisateur pour En liberté !, en 2019. Je pense que c'est une peur qu'on puisse penser qu'ils ne sont pas crédibles, quelque chose de totalement irrationnel, qu'on puisse imaginer qu'ils ne seront pas crédibles dans un rôle d'hétérosexuel..."
Pour le cinéaste, le problème viendrait donc de la façon dont les films sont écrits, et les rôles imaginés : "Chez ceux qui proposent ces rôles, il peut y avoir une peur que ces acteurs ne soient pas crédibles dans une autre sexualité. Ce qui est absurde d'ailleurs, à mon avis, parce qu'il y a ce qu'on appelle le 'pacte fictionnel' avec le public, qui accepte totalement les acteurs dans des rôles de flics, d'homos, d'hétéros, de tout ce que vous voulez. Il ne s'en préoccupe pas de ça, j'en suis persuadé", précise Pierre Salvadori.
Avant d'ajouter qu'il n'a jamais, en trente ans de carrière, croisé de réalisateur ou de producteur ouvertement homophobe. C'est donc, selon lui, d'avantage un souci de vision "vieillotte", pour ne pas dire conservatrice du cinéma et de la représentation à l'écran.
Hypocrisie
Il n'y aurait donc pas forcément une homophobie franche et assumée, ni même "larvée", mais sans aucun doute, en revanche, une certaine hypocrisie du milieu. D'autant plus que le secteur du cinéma français ressemble à n'importe quel domaine d'activité, et à la société en général : beaucoup d'homosexuels y travaillent, et il parait d'autant plus absurde, même si on a évoqué les raisons qui l'expliquent, que les acteurs et actrices ayant fait leur coming out en France, ces dix ou vingt dernières années, se comptent littéralement sur les doigts d'une main.
"Je suis assez hallucinée des réactions autour de cette parole-là, y compris sur le plateau de l'émission, dénonce la directrice de casting Julie Allione. C'est comme si tout le monde tombait des nues ou était exaspéré par cette parole, qui est nécessaire et importante !" Pour elle, il existe bien une homophobie "systémique" dans ce que le cinéma français - en tout cas sa version mainstream - persiste à vouloir présenter comme représentatif de la société depuis des décennies.
"On baigne dans une culture hétéronormée. Pour les cinéastes, c'est compliqué de sortir des représentations dans lesquelles on a baigné depuis des générations"
Julie Allione, directrice de castingà franceinfo
"L'homophobie, c'est aussi une culture qui imprègne beaucoup de choses, et ce n'est pas toujours quelque chose de déclaratif, glisse-t-elle. Mais effectivement, le fait de choisir par défaut des représentations qui annoncent l'hétérosexualité, même si dans l'intimité, on en sait rien, c'est de l'homophobie. Ça s'appelle comme ça. Ce n'est pas forcément tout le temps l'autre, l'homophobe".
Et nos deux interlocuteurs s'accordent sur un dernier point : l'espoir que les choses changent - et seraient même déjà en train de changer - grâce aux jeunes générations. Pierre Salvadori cite ainsi la comédienne Adèle Haenel, qu'il a dirigée dans En liberté !, qui a certes pris ses distances avec le cinéma français, mais a eu, selon lui, "le courage de dire et faire des choses, et ouvert une porte dans laquelle d'autres devraient s'engouffrer".
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