"Visions" : le cinéaste Yann Gozlan plonge une pilote de haut vol dans les eaux troubles de la passion amoureuse
Le sommeil d'Estelle Vasseur, l'héroïne de Visions, est pour le moins agité. Le dernier film de Yann Gozlan s'ouvre sur le rêve, quelque peu angoissant de la commandante de bord d'un vol long courrier, incarnée par Diane Kruger. En salles mercredi 6 septembre, Visions dresse le portrait d'une femme pilote de ligne hors pair, dont la vie réglée comme du papier à musique, va progressivement dérailler.
Entre ciel et terre, le quotidien d'Estelle est rythmé par sa routine sportive, course à pied et natation. Son smoothie réalisé avec 600g de fruits et pas une once de plus. Ses exercices sur simulateurs et ses tests professionnels. Sa parfaite vie de couple avec Guillaume, un médecin interprété par Mathieu Kassovitz, abritée par une superbe villa à l'écart du monde, quelque part dans le sud de la France. Tant de perfection finit d'ailleurs par donner froid dans le dos et le thème obsédant de la musique de Philippe Rombi achève de plonger les spectateurs dans la torpeur qui précède la catastrophe. Le retour d'Ana, interprétée par Marta Nieto, la grande passion d'Estelle qui l'a abandonnée du jour au lendemain, est le grain de sable qui va enrayer la machine de la vie d'Estelle qui n'arrive déjà pas à trouver le sommeil.
Dans les affres de la passion et de l'insomnie
Après Boîte nNoire, thriller tout aussi anxiogène sur l'enquête complexe d'un enquêteur à la suite d'un crash, Gozlan se plonge à nouveau dans l'univers de l'aérien en le saupoudrant, cette fois-ci, d'embruns marins. Autre clin d'œil à son précédent long métrage : le nom d'Estelle n'est autre que Vasseur, le patronyme des héros de Boîte noire incarnés par Pierre Niney et Lou de Laâge. La mer est omniprésente dans Visions, à l'instar de l'élément eau qui permet au spectateur de se régaler de superbes plans, même s'ils ne sont pas toujours très rassurants. À l'instar des plans larges à répétition d'une maison bien proportionnée, décorée avec minutie mais qui reste irrémédiablement sombre en dépit d'une architecture conçue pour la rendre lumineuse.
En introduisant l'ardente espagnole Ana dans le récit, photographe qui révèle immortaliser ceux qui lui font confiance pendant leur orgasme, Gozlan suggère que les bouleversements dans la vie d'Estelle sont dus à une forme de jouissance nouvelle produite par les ravages de la passion. Comme il n'y a rien de chaleureux dans la relation aimante qu'Estelle entretient avec Guillaume – avec qui elle cherche à faire un enfant –, il n'y a rien non plus d'incandescent dans la tumultueuse liaison entre Estelle et Ana. Résultat : tout est assez sombre dans cette histoire, à commencer par le sentiment amoureux, y compris dans sa version supposée la plus épanouissante. Peut-être tout simplement parce que Guillaume et Ana donnent plutôt l'impression de contrôler Estelle au prétexte qu'ils l'aiment et en lui faisant croire qu'elle demeure la maîtresse du jeu.
La permamence du flou
Visions puise toute son énergie dans sa mise en scène : la fluidité des transitions entre songes et réalité est bluffante. Le résultat est déstabilisant, à l'image des problèmes de sommeil qui font perdre pied à Estelle. Visions prémonitoires, simples intuitions, vrais cauchemars ou faits réels : le thriller repose sur la mise en parallèle de ses différents univers, un tourbillon auquel il est difficile de résister.
Cependant, la tension permanente à laquelle est soumise l'audience finit par se muer en une ennuyeuse attente d'un dénouement que l'on devine. La prouesse de Visions est finalement de hanter a posteriori, longtemps après le générique de fin, en suscitant une question quasi insoluble. Seuls ceux qui suivront le conseil de Mathieu Kassovitz, qui recommande vivement d'aller voir son dernier film de son lit d'hôpital après son accident de moto, auront le privilège de la formaliser. D'autant qu'ils verront aussi le comédien à proximité d'un deux-roues sain et sauf. Une très belle image en soi, même s'il ne s'agit que de son double fictionnel.
La fiche
Genre : thriller
Réalisateur : Yann Gozlan
Acteurs : Avec Diane Kruger, Mathieu Kassovitz et Marta Nieto
Pays : France
Durée : 2h03 min
Sortie : 6 septembre 2023
Distributeur : SND
Synopsis : Estelle Vasseur est commandante de bord long courrier, au professionnalisme hors pair, elle mène une existence parfaitement réglée aux côtés de Guillaume, son mari aimant et protecteur. Tout semble aller pour le mieux même si les vols et les jet lag à répétition commencent à perturber le rythme biologique de la jeune femme, et particulièrement son sommeil. Un jour, par hasard, dans un couloir de l’aéroport de Nice, elle recroise la route d’Ana, photographe avec qui elle a eu une aventure passionnée vingt ans plus tôt. Estelle est alors loin d’imaginer que ces retrouvailles vont l’entraîner dans une spirale cauchemardesque et faire basculer sa vie dans l’irrationnel.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.