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Exposition Martin Margiela à l'espace Lafayette Anticipations: découvrez l'artiste derrière le créateur de mode

Reconnu internationalement depuis la fin des années 80 dans le domaine de la mode, Martin Margiela s’est attaché, durant sa carrière de créateur, à en bouleverser les codes et à proposer de nouvelles expériences. A l'espace Lafayette Anticipations, il montre qu'il a toujours été un artiste dans l'âme. Déroutant. 

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Exposition "Martin Margiela" à l'espace Lafayette Anticipations à Paris. Red nails, 2019 : laque sur fibre de verre. Courtesy de l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Produit par Lafayette Anticipations (PIERRE ANTOINE)

Lafayette Anticipations (fondation d'entreprise Galeries Lafayette) invite le créateur de mode Martin Margiela à prendre possession de ses espaces jusqu'au 2 janvier 2022. 

Entre installations, sculptures, collages, dessins, peintures et film, l'exposition Martin Margiela présente plus d’une vingtaine d’oeuvres inédites qui défendent toute l'idée que ce créateur de mode a toujours été un artiste. Une découverte surprenante qui se vit comme une expérience !

Un intérêt pour l'art manifesté très jeune

Reconnu internationalement depuis la fin des années 80 dans le domaine de la mode, Martin Margiela s’est attaché, durant sa carrière de créateur, à en bouleverser les codes et à proposer de nouvelles expériences au travers de défilés, de matières et de silhouettes conceptuelles et esthétiques. 

Né en 1957 en Belgique, Martin Margiela se passionne pour le dessin dès l'âge de 12 ans. A 16 ans, il suit - et ce pendant trois ans - les cours de formation artistique de l’école Sint-Lukas à Hasselt (Belgique), puis entre au département Mode de l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers en 1977. Il travaille ensuite en free-lance en Italie puis en Belgique avant de rejoindre Paris où il devient premier assistant de Jean Paul Gaultier de 1984 à 1987.

Maison Martin Margiela voit le jour en 1988. Son style est unique et avant-gardiste, loin des repères traditionnels, il est le premier à instituer le recyclage dans ses créations en utilisant des chaussettes de l’armée, des vêtements chinés aux puces et des emballages plastiques. Les lieux choisis pour ses défilés sont anticonformistes : une station de métro désaffectée, un entrepôt SNCF, un terrain vague... Il crée des liens avec le monde de l’art grâce à l’exposition de ses créations à la galerie Thaddaeus Ropac (Paris) ou dans des institutions (BOZAR, Museum Boijmans Van Beuningen, Haus der Kunst, le LACMA et la Somerset House). En 1997, tout en continuant sa griffe, il est nommé directeur artistique du prêt-à-porter féminin d’Hermès jusqu’en 2003. En 2008, il abandonne la mode après le défilé des vingt ans de maison Martin Margiela pour se consacrer exclusivement aux arts visuels. Et comme pour la mode, où le créateur a toujours cultivé l'anonymat (on ne connait pas son visage), il restera aussi mystérieux pour l'art. 

Vivre une expérience 

"Martin Margiela est un artiste. Depuis plus de vingt ans, il n’a cessé d’offrir de nouvelles zones d’expériences. Son talent s’exprime à travers tous les médiums, et son oeuvre sans limites, de la mode à la performance et à la peinture, participe à étendre en permanence les territoires de l’art", indique Rebecca Lamarche-Vadel, la directrice de Lafayette Anticipations précisant que la mise en place de cette exposition a nécessité "deux années de travail".

"Il nous pousse sans cesse à interroger notre regard sur le monde. Le passage du temps, le hasard, le secret, sont des thèmes qui nourrissent son travail et renouvellent nos perspectives. A contre-courant des valeurs dominantes, Martin Margiela et son oeuvre cultivent le mystère, une obsession pour la disparition, les êtres discrets, les objets délaissés, les lieux et les événements inaperçus. Il les élève à une dignité nouvelle", ajoute la commissaire de l’exposition qui nous guide dans cette visite.

Exposition Martin Margiela à l'espace Lafayette Anticipations à Paris. Déodorant, 2021 : adhésif micro-perforé. Courtesy de l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Produit par Lafayette Anticipations.    (PIERRE ANTOINE)

"Pensée comme une oeuvre d’art totale", nous comprenons alors que l'exposition doit se vivre comme une expérience, et ce dès l'entrée. Prenant les habitudes des visiteur.euse.s à contre-pied, chacun.e est invité.e à y entrer par la sortie de secours qui se trouve dans une cour intérieure. Ici, trône l'affiche grand format en noir et blanc de l'exposition : elle représente un déodorant, témoignant de la volonté de l'Homme de contrôler toutes les formes de métamorphoses qui le guettent. "Objet iconique de cette exposition, cet objet empêche la relation entre le monde du dehors et le monde du dedans (chaleur, stress, sport...). Pour Martin Margiela, c'est un objet auquel on ne prête pas la moindre attention, mais qui pourtant raconte beaucoup de cette culture contemporaine", explique Rebecca Lamarche-Vadel.

Le ton est donné, on aime ou on n'aime pas, mais on ne peut rester indifférent à la démarche de l'artiste. "Cette exposition est une matière en mouvement, une matière en métamorphose permanente", souligne encore Rebecca Lamarche-Vadel, avant même que nous ayons franchi le seuil de l'exposition. 

Des obsessions décortiquées

Dans ce parcours qui prend la forme d'un labyrinthe - délimité par des stores californiens blancs (fermés ou ouverts) -, les oeuvres apparaissent et disparaissent selon l'aménagement choisi par l'artiste. En semaine, l'exposition est dormante (certaines oeuvres demeurent cachées) mais le week-end, elle s'anime et les oeuvres se réveillent : en effet, des performers manipulent, lors du passage du visiteur(se), les oeuvres pour montrer d'autres points de vue et ainsi transforment l'exposition. "Cette idée de découverte était fondamentale pour Martin Margiela... pour renouveler notre regard, être présent", souligne Rebecca Lamarche-Vadel.

Dans une première salle, cinq piles de revues populaires des années 60 et 70 sont posées au sol. Pour cette oeuvre intitulée Hair portraits, l'un des performers se saisit d'un magazine Jour de France - emballé dans du plastique transparent comme un objet précieux que l'on souhaiterait préserver de l'usure du temps - et l'accroche au mur tel un tableau. Il fera de même avec les quatre autres posés au sommet de chaque pile. Chaque couverture de magazine présente un portrait de célébrités. Avec cette oeuvre, "Martin Margiela s'intéresse à ceux qui restent dans le souvenir, comment nous survivons", explique Rebecca Lamarche-Vadel.

Les performers transforment le statut de l'oeuvre : ainsi dans un autre espace, le performer sort un tableau caché dans un couloir pour nous le montrer, tandis que dans une autre salle, il déploie un écran qui découvre un dessin...

Exposition Martin Margiela à l'espace Lafayette Anticipations à Paris. Cartography, 2019 : impression sur Forex, bois et mousse polyuréthane. Courtesy de l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Produit par Lafayette Anticipations  (PIERRE ANTOINE)

Tout au long de la visite, sur certains murs, des cartels détaillent une oeuvre mais au-dessus de ce dernier, le mur en est dépourvu. "Ces fantômes viennent poursuivent cette idée d'une exposition qui est flottante, qui n'est pas terminée et qui est en fait en perpétuel mouvement. C'est la silhouette d'oeuvres qui n'ont pas été exposées mais qui existent", ajoute la commissaire d'exposition.

Fantôme de l’oeuvre : Sans titre, 1995. Courtesy de l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Produit par Lafayette Anticipations  (PIERRE ANTOINE)

Cheveux, épiderme, poils, ongles

L’ensemble des oeuvres - produites en grande partie sur place dans les ateliers de la Fondation - reprend des obsessions propres à l’artiste où le corps est très présent : cheveux, épiderme, poils, ongles... comme autant de traces du passage du temps.

L'oeuvre Vanitas, par exemple, propose un portrait d'une femme et des marques laissées sur sa chevelure par le passage du temps à travers cinq étapes de sa vie. Cinq têtes - dont le visage a disparu mangé par la chevelure -, de la blondeur d'origine à la chevelure grisonnante, évoquent le temps qui s'écoule. "Martin Margiela disait face à cette oeuvre : c'est peut-être le moment le plus agréable de la vie, le moment où l'on arrête de se battre contre ces formes du temps qui s'imposent à nous", explique Rebecca Lamarche-Vadel, avant d'ajouter que "ce temps qui s'impose à nous est quelque chose de central dans l'ensemble de ce projet et aussi dans l'oeuvre de Martin". 

Exposition Martin Margiela à l'espace Lafayette Anticipations à Paris. Vanitas, 2019 : silicone et cheveux naturels teints. Courtesy de l’artiste et Zeno X Gallery, Anvers. Produit par Lafayette Anticipations (PIERRE ANTOINE)

L'exposition révèle des surprises. Ainsi, au passage du visiteur, des oeuvres s'activent : une vitre opaque à l'origine devient transparente et révèle un objet.

Chez Martin Margiela, la vie d’un objet ou d’un être n’est jamais terminée, il est toujours en mutation, prompt à renaissances. C'est le cas de l'oeuvre Torso constituée de trois torses sculptés dont l'un, dévoilé par un performer, peut être touché. "Il va donc prendre les traces des caresses du visiteur, qui va venir le transformer", explique avec un sourire Rebecca Lamarche-Vadel.

Exposition Martin Margiela à l'espace Lafayette Anticipations à Paris. Série Torso, 2018-2021 Torso I, Torso III (noyau en bois et plâtre), Torso II (noyau en bois, mousse polyuréthane et silicone). Courtesy de l'artiste et Zeno X Gallery, Anevers. Produit par Lafayette Anticipations  (PIERRE ANTOINE)

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