"Haxan, la Sorcellerie à travers les âges" : la réédition du classique du cinéma muet dans un coffret somptueux
Le film de 1922 de Benjamin Christensen est une reconstitution de l’histoire de la sorcellerie et de l’Inquisition, vue sous l’angle d’une psychanalyse encore balbutiante. Plus qu’une curiosité, un film majeur.
Chef-d’œuvre pour les uns, film surestimé pour les autres, Haxan, la Sorcellerie à travers les âges a fait couler beaucoup d’encre depuis 1922, date de sa sortie. Potemkin réédite le film dans un magnifique coffret combo DVD/Blu-Ray. Pas moins de trois versions y sont compilées, avec des musiques différentes et des commentaires multiples, dont un par William Burroughs et l’autre de Jean-Pierre Kalfon.
Cinq siècles d'Inquisition
Réalisé par le Danois Benjamin Christensen, coproduit avec la Suède, l’œuvre témoigne de l’inventivité du cinéma nordique balbutiant, qu’incarne plus encore Carl Théodore Dreyer au même moment. 1922, c’est, la sortie de Nosferatu de Murnau, de l’expressionnisme allemand, d’une série de films fantastiques auxquels Haxan est identifié, par son sujet, outre sa forme "documentaire".
Haxan s’ouvre sur une introduction un peu scolaire, mais magnifiquement illustrée, expliquant les origines du surnaturel dans la conscience humaine, dont relève la croyance aux démons et autre sorcellerie auxquels participent une conception du monde. Puis le film reconstitue par historiettes successives l’histoire de l’Inquisition instaurée au XIIe siècle par l’Espagne et reprise partout en Europe jusqu’au début du XVIIIe.
Histoire, psychanalyse et féminisme
Qui étaient les sorcières, leurs clients/patients, comment se déroulaient leurs procès, tortures et exécution… Autant d’aspects évoqués dans la reconstitution historique, basée sur les minutes de procès, témoignages et gravures des époques traversées, sur plus de cinq siècles. Vaste entreprise, que Christensen met merveilleusement en images. Le sabbat reconstitué est une pièce majeure du cinéma mondial. Il s’attarde sur l’affaire de Loudun où un couvent fut pris de possession démoniaque collective au XVIIe siècle, puis verse dans la psychanalyse.
Haxan y puise l'explication de cette folie meurtrière qui fit entre 500 000 à 100 000 victimes, très majoritairement des femmes. La psychanalyse naissante à l’époque du film (1922) accuse les juges, ecclésiastiques ou non de l’Ancien régime, de s’en tenir à des comportements depuis qualifiés d’hystériques par Charcot, à partir de 1860. Le film ne passe pas à côté d’une réhabilitation féministe de toutes ces femmes victimes d’un patriarcat qui atteint alors son acmé. Michelet en était le précurseur dans La Sorcière de 1862. L’hystérie se situe par ailleurs autant du côté des femmes que de leurs juges, mâles, et la plupart du temps clercs.
Haxan est un classique qui reste un "curiosa" dans son sujet, audacieux, extrêmement documenté, et ses images. Elles évoquent Jérôme Bosch, Goya, et les gravures sur bois du XVe. Christensen y joue un diable magnifique, à la langue bien pendue, sous un masque hallucinant, l’humour pointe son nez et la poésie est constante. Le théâtre d’ombre et les lanternes magiques ne sont jamais loin. Aimé des surréalistes, il est aussi incroyable que William Burroughs a enregistré un commentaire du film de sa merveilleuse voix. Celle de Jean-Pierre Kalfon convient aussi parfaitement dans une des trois versions. Les trois partitions musicales sont remarquables, notamment celle de Dagerlöff & Galner, inédite, aux côtés de celles de Art Zoïd et de Mattie Bye. Ésotérique et beau, un must goth incontournable.
Haxan – La Sorcellerie à travers les âges
Benjamin Christensen
Danemark/Suède, 1922
Coffret combo DVD/Blu-Ray (3 disques)
Editions Potemkin
24,99€
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.