La vie pressée de Kacey Mottet Klein, trajectoire trouble d'un acteur-né
Il est actuellement à l'affiche de "Just Kids" de Christophe Blanc et tourne depuis treize ans pour la fine fleur du cinéma d'auteur. L'acteur suisse Kacey Mottet Klein désire aujourd'hui changer de registre. Mais se voit à 21 ans forcé de freiner une carrière qui l'a happé.
Il nous regarde droit dans les yeux derrière ses lunettes noires. Sur sa chaise de patio, l'acteur prévoit sa deuxième cigarette alors que la première fume toujours. Kacey Mottet Klein loge juste au dessus du lierre, dans le studio parisien que lui a loué la production du film, le film dans lequel il tourne. Pas de quoi s'enflammer, c'est un petit rôle. Il ne pourrait pas faire plus de toute façon, il sort d'une dépression. Toujours fiché auprès des assurances, il ne traîne pas plus de vingt jours sur les plateaux. Le cinéma, un art... Une industrie aussi.
Kacey Mottet Klein n'a que 21 ans. Dur à croire, on lui en donnerait dix de plus. Ça fait un moment il faut dire qu'on le voit grandir, douze ans déjà qu'il était le fils d'Isabelle Huppert dans Home d'Ursula Meier. Depuis, il a tout eu : Deneuve, Ardant, Seydoux, comme Téchiné, Senez, Lafosse... Tout le meilleur du cinéma d'auteur. "Je ne me souviens pas de ma vie avant mes sept ans", explique celui que le cinéma a raflé un dimanche de triathlon à Lausanne, avec cette directrice de casting qui a déboulé de nulle part. Le cinéma... Pour lui un accident de la vie, ou plutôt un imprévu. Et il ne s'en plaint pas, "sans ça, j'aurais mal tourné", commente-t-il, les mains croisées devant l'hibiscus.
Au-dessus de nous, les fleurs fushia nous enserrent. Lui est en bleu, et rien ne tranche, si ce n'est son teint pâle sur le fond de verdure. Son regard toujours fixé au nôtre, on n'a pas envie de le faire suer. La seconde Marlboro remplace la première et un sourire s'esquisse, sur son visage griffé par l'ombre du saule ça rend quand même mieux. Il a presque la banane finalement : Tam est là, enfin chez la manucure, c'est sa copine marocaine qu'il n'avait pas vue depuis six mois. Avec l'histoire des frontières, tout ça, ça commençait à bien faire. Ça fait trois ans qu'il habite à Casablanca, avant c'était Bruxelles, "je change de pays en fonction de l'amour", explique-t-il. Heureusement l'amour reste à trois heures de Paris.
Amnésie de l'enfance
On va reprendre de A à Z, ce sera plus simple. Sans verre ça ira, les cigarettes suffisent. Son A, c'est Bussigy, son patelin helvète. Il s'efforce de s'en souvenir... On l'appelait "Dumbo" à l'école, ça a duré quelques années avant qu'il laisse couler. "Sinon rien de spécial, vie normale...". Le garçon vide plus de fumée que de souvenirs, comme si le premier tiers de sa vie n'avait pas existé. On a le temps, alors on insiste. Il grandit avec sa mère infirmière scolaire, le père américain bipolaire ayant esquivé vite fait, bien fait. Lui n'avait que deux ans, "j'ai jamais souffert de ce départ", précise l'acteur. Enfance normale... Vraiment.
Il vérifie son paquet : plus que six, ça va être dur. Il inhale et attend qu'on le relance, mais on ne le relance pas... Alors, il y a bien eu le beau-père fan des Beatles, de Liverpool et tout le délire, mais à part ça... Bon, il ne tenait pas en place c'est sûr, alors il y avait le foot, le cheval, le tennis. "Mais je ne saurais pas dire qui j'étais, mon enfance s'est arrêtée à huit ans, sans transition avec le monde adulte". Amnésique de son âge tendre, son vrai A, c'est le cinéma. On arrive quand même à choper qu'il aimait Lil Wayne. Ah oui ça revient, il avait acheté un poster du rappeur avec la CB de sa mère... "Mais j'ai jamais idolâtré personne, et ça continue, même pas Deneuve". Il s'est monté un mur entre le ciné et la vie, c'est sûrement pas pour être groupie.
En trifouillant son briquet Manga, l'acteur retourne une dernière fois dans ses limbes... Il n'avait aucune envie d'aller au triathlon ce jour-là, il avait même piqué une crise en se roulant par terre. Heureusement, dis donc, qu'on l'y a traîné... De cette journée cruciale au bord du lac, il ne se souvient pas de grand chose, il a mauvaise mémoire de toute façon, ils se sont encore engueulés l'autre soir avec ça. Mais a priori ça s'est vite fait, il y a eu ce casting inattendu, le coup de fil ensuite. "Et à partir de là, tout devient plus clair", conclut-il, le storytelling parfait, comme si le gosse qu'il était découvrait la lumière après sept ans d'obscurité.
Je suis né lorsque le cinéma m'est tombé dessus... Je n'ai pas de souvenirs du garçon que j'étais avant.
Kacey Mottet KleinActeur
Des pétales tombent sur son front dégarni, d'acacias vraisemblablement, si ce n'est de rhododendrons. L'acteur reste ici encore dix jours, le temps de finir L'événement d'Audrey Diwan. Ça faisait deux ans qu'il n'avait plus tourné, depuis Just Kids, le film de Christophe Blanc sorti début août. C'est là qu'il a craqué... Les divergences, le trop plein de tout, deux jours d'arrêt sur ce tournage-là, deux jours seulement, et depuis c'est le Bronx.
L'enfance achevée, l'acteur retire pour la première fois ses solaires. On découvre un visage fatigué, marqué par une vie déjà longue. Les yeux brillants, presque tristes, l'acteur un peu gêné fait des ronds sur le bois de la table grège, puis nous regarde, à présent mieux disposé à se dévoiler.
Décalage des âges
"Ursula Meier a fait ce qu'elle voulait de ma virginité de cinéma...", affalé sur son siège, le garçon choisit les mots à travers un récit à présent plus fluide, dessinant sa courbe d'enfant catapulté, "j'ai depuis l'impression d'avoir vécu vingt ans en treize". Il évoque sa mère poireautant à l'hôtel pendant ses sessions, à huit ans forcément, il ne pouvait pas faire autrement. Rebelote sur le tournage en Bulgarie, du pur bonheur cette fois, entre la méga équipe, la nounou et les enfants Huppert. Sauf que le dernier "clap de fin" et "fin de tournage", avec le hop direct dans l'avion et au revoir tout le monde, il y avait de quoi chialer. Surtout vu le retour costaud à Bussigny entre l'envie de se faire mousser et la grosse gêne. Avec les remarques finalement, ce sera vite vu... Les copains se réduisent, il faut s'en faire d'autres.
Rasséréné par la fumée, il passe du coq à Cannes, paumé à neuf ans dans une villa avec strip-teaseuses et shots de vodka. Plus sympa quand même que le village. De là forcément l'envie de grandir plus vite, de devenir adulte plus tôt. Alors, il traîne avec des plus vieux, encore aujourd'hui, trente, quarante ans, si ce n'est cinquante, "les gens de mon âge m'angoissent", tranche l'acteur en scrutant ses bagues. Parfois, il se dit technicien ou avocat, c'est plus simple auprès de certains, "j'ai honte d'être acteur", avoue-t-il sans mal. De sa trajectoire, on en capte alors la longue histoire, celle d'un mal dans sa peau, d'un cul entre deux chaises, avec sa vie trop réglo et son âge de petiot. Alors il a lorgné vers l'obscur, vers le trouble, pour paraître moins glacé et se faire aimer. Entre les tournages, il porte des TN et des training, fume des joints, pète des bagnoles, "je voulais être tout sauf acteur".
Le comédien n'est pas tranquille... "Avec mes solaires, je suis comme dans un rôle, cette image me dégoûte", on peut aussi sortir les lunettes si ça l'arrange, mais non c'est pas ça..."C'est l'image de l'acteur qui me fait honte, cette image que je renvoie". On n'en saura pas plus, alors on croise les doigts pour qu'il supporte "l'image" encore un peu. Il se souvient en 2012... L'enfant d'en haut, les César. Il est le plus jeune nommé de l'Histoire. Il ne l'a pas eu mais qu'importe, lui avait l'amour... À quatorze ans avec une fille de 24. Sa mère trouve ça bizarre, surtout que la fille squatte un peu. Et puis un jour, il arrête l'école, ras-le-bol, son diplôme, c'est le cinéma.
Écart d'envies
Le soleil cogne, on cherche pour boire, lui pour fumer. On en vient aux tatouages, et il nous fait le tour des imprimés. Son corps, c'est son récit illustré. Ça démarre avec sa mère, en initiales sur le bras, juste avant la période "gangster" avec le flingue sur la hanche. Et puis le gros morceau, la grosse pièce : l'épaule, avec le blase d'une pizzeria. Là il détaille, c'est nécessaire. Les affaires, le business, le flouse... Le cinéma, c'est trop instable, il faut s'assurer les gardes. Pour ça, il a les plans : une société de jeux et une boîte de films, Fratel films. Et Fratel, c'est aussi le nom de la pizz', gérée par un certain Ross, Ross Varrichione. "Fratel, c'est la bande... Mais c'est aussi l'attitude", le ton est mystique, on l'écoute comme un polar sur des sociétés écrans, "j'y mets mon nom comme un engagement dans des causes...". La cause de la pizza visiblement.
Le cinéma m'a volé des choses dont j'avais besoin, pour m'en donner d'autres que je n'étais pas censé vivre.
Kacey Mottet KleinActeur
Le tattoo show a libéré les pensées pêle-mêle alors il aborde les images de son destin pressé. Berlin, Cabourg, son impulsivité, sa psy, son frère trader, son cheval Mektoub... Et la scène de sexe gay pour Téchiné avec ce week-end "fête et putes" pour se sentir mieux, quelle histoire... Chez Sandro l'autre jour on l'a reconnu, ça fait toujours plaisir, sinon le botox pourquoi pas... Il ne regrette pas d'avoir été happé par le ciné, il regrette juste ses films, toujours les mêmes. Son pétage de plombs sur Just Kids, c'était ça, le rôle de trop dans le même registre, "j'en ai marre du cinéma d'auteur et de ces rôles de gamin difficile".
Lorsqu'il finit son histoire, et qu'il se lève un peu groggy, on le regarde s'étirer devant les bougainvilliers. Il l'avoue... Il aime être mal autant qu'être bien, dernièrement il a été plus mal que bien d'ailleurs. Aujourd'hui son âge et son physique le nomment "adulte", c'est pas trop tôt, ça fait treize ans qu'il l'est déjà. 21 ans... L'âge où certains sont encore enfants, mais dans le milieu, la concurrence va maintenant être rude.
Alors qu'il astique en vain ses lunettes noires et poutse ses branches un peu cra-cra, on croit un instant retrouver le petit garçon qu'il était, celui qui paraissait déjà grand avec ses cravates dans les JT. "Le cinéma m'a volé des choses dont j'avais besoin, pour m'en donner d'autres que je n'étais pas censé vivre", lâche l'acteur en plein labeur. Alors qu'il trottine lentement vers les allées de fougère, on se demande quand même s'il n'y avait pas un peu de fiction dans son récit, avec ces histoires de rôles, d'images, de pizze et d'âges. Mais lorsqu'il se tourne vers nous, on voit ses pupilles un peu paumées qui jurent que non, sa vie n'est pas du cinéma. Et puis son regard... Son regard d'enfant retrouvé trop tard.
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