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Nochapiq, l'artiste qui enrubanne pierres précieuses, croix et revolvers avec des bolducs griffés, à la galerie Joyce

Noémie Chaillet Piquand, alias Nochapiq, est une artiste touche-à-tout. Sa matière de prédilection : le ruban, utilisé par les maisons de luxe pour envelopper leurs produits. A découvrir dans l’exposition "Road Trip" à la Joyce Gallery à Paris. Rencontre.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11min
L'artiste Noémie Chaillet Piquand dite Nochapiq, 2020 (NICOLAS BUISSON)

"Je fonctionne à l’instinct. J’aime tester, tâtonner, expérimenter, fouiner", explique Noémie Chaillet Piquand, artiste-créatrice touche-à-tout, dont les oeuvres - des objets enveloppés de rubans de maisons de mode - sont réunies à la Joyce Gallery à Paris jusqu'au 7 mars.

Son process : "Embolduquer", c'est-à-dire "gainer façon sellier" avec du ruban un objet. Sur chaque bolduc, elle pose de l’adhésif double-face ajusté à la taille du ruban. Puis, avec cette nouvelle matière première, elle recouvre l'objet qu'elle a sélectionné.

Son envie de "faire" sans commandes, ni contraintes s'est réalisé dans un premier temps avec des vêtements de grandes maisons déchiquetés, des couvertures de survie lacérées, des bouts de ficelle, des écouteurs d’iPhone...  avec lesquels elle a habillé des meubles. C’est en 2017 que le ruban de marques de maisons de luxe s’impose à elle, après la réalisation d’une première pièce de mobilier où elle utilise ce médium. Tout y passe alors et les objets de la vie quotidienne se parent de rubans griffés chinés. Elle choisit le bolduc parce qu’il ne s’achète pas. En 2019, Noémie Chaillet Piquand se rebaptise Nochapiq. Entre le 29 septembre et le 18 décembre 2018, l'artiste créé 700 pièces assorties de 200 vidéos tournées entre New York et Paris. 

Rencontre décalée, déroutante et drôle d'une passionnée interviewée il y a quelques jours. 

Franceinfo culture : Quel est le plus grand objet que vous avez emballé ? 
Noémie Chaillet Piquand dite Nochapiq 
: le plus grand objet que j’ai emballé n’est autre que la première pièce que j’ai réalisée en 2020, les tout premiers jours de janvier. Il s’agit d’une sorte de totem porte-bonheur ébouriffé de bolducs de marques de maisons de mode, bien évidemment, mais aussi de couvertures de survie, d’écouteurs d’IPhone, de bandes de plastique utilisées par la police sur les scènes de crime ou pour barrer le passage dans la rue...

La structure de ce totem n’est autre qu’un rouleau de mousse d’une hauteur de 1,65 m et d’un diamètre de 40 cm qui m’a été offert par un ami, qui se disait que j’en trouverais peut-être une utilité ! C’est drôle car ce rouleau fait à peu près la même taille que moi. Il a trainé six mois dans mon entrée et le jour où je me suis décidée à le descendre dans le garage - car il ne me servait pas - sans avoir eu le temps de réfléchir, je me suis retrouvée assise à califourchon dessus en train de le ficeler pour faire la trame de ce qui allait devenir son habit futur. C’est donc une pièce très légère en poids du fait de sa structure en mousse. Qui dit légèreté dit instabilité : il fallait pourtant que ce totem puisse tenir solidement ancré au sol. J’ai pris à l’atelier une structure de lampe halogène dont le socle était suffisamment lourd pour que, une fois le totem emmanché sur la tige du lampadaire, l’édifice soit stable et solide. C’est la première pièce ébouriffée où se trouve présent mon propre ruban, petit clin d’œil que je me suis offert en faisant réaliser à mon nom un bolduc (1 km de ruban Nochapiq blanc et 1 km de ruban Nochapiq noir)

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : le plus grand objet emballé par Nochapiq est une sorte de totem porte-bonheur ébouriffé de Bolduc. Janvier 2020 (Mohamed khalil X Nochapiq)

Quel est le plus petit objet que vous avez emballé ? 
Nochapiq : Les plus petits objets emballés sont variés : médiator de guitare, minuscules croix de bois, préservatifs, boîtes de cachou Lajaunie… 

Cependant comment ne pas évoquer la véritable plus petite pièce que je vais emballer aussitôt que je vais les recevoir : je parle de pierres précieuses et semi précieuses. J’ai été contactée sur Instagram par une personne sensible à ma démarche qui habite à Cannes et travaille dans le secteur de la gemmologieL’idée est venue à Ivry Rosenstein de m’offrir des pierres afin que je puisse emballer ses micro-pièces de valeur et transcender ainsi le concept de la beauté cachée. Inutile de vous dire combien j’attends avec impatience de recevoir ces trésors. C'est une rencontre particulièrement touchante car il va m’offrir les trois premières améthystes qu’il s'était achetées, il y a des années, mais aussi des pierres non taillées de différentes natures (émeraude, améthyste...). Je vais avoir la surprise.

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : le plus petit objet emballé par l'artiste, des pierres précieuses. Janvier 2020 (Ivry Rosenstein)

Je constate que le plus petit objet que je vais emballer ainsi que le plus grand que j’ai réalisé sont à l’origine des objets offerts par des personnes connues ou inconnues. Mon travail est autour du lien, de la rencontre, de l’intersection… Et le plus fabuleux est ce lien humain autour de cette démarche. Une connaissance m’a même offert un sac Kelly Hermès, venant de sa belle-mère, afin que je l’habille… de bolduc d’une grande maison de la rue Cambon à Paris.

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : un sac Kelly d'Hermès enrubanné (Mohamed khalil X Nochapiq)

Que pensez-vous de l’artiste Christo qui a emballé des monuments gigantesques ?

Nochapiq : Comment ne pas lui tirer mon chapeau ? Je me souviens avoir eu une émotion forte en passant sur les quais de Seine en dessous du Pont Neuf lorsque Christo l'avait emballé ! En toute humilité, je trouve beaucoup d’échos entre son travail et ma démarche : rendre le visible invisible. Et vice versa. Lui s’est attaqué au gigantesque, au monumental, à l’institutionnel, à l’urbain comme à la nature. La matière première de ses emballages est volontairement brute de décoffrage. 

De mon côté - certainement influencée par le courant pop art et inspirée par le surréalisme - j’ai jeté mon dévolu sur le bolduc de maisons de mode, représentant l’imagerie du luxe. Je n’emballe pas de manière aléatoire mais avec la méthodologie et le savoir-faire du sellier maroquinier : j'ai un diplôme de sellier maroquinier, obtenu à l'âge de 24 ans, et j'ai travaillé pour une grande maison du faubourg Saint-Honoré. 

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : des croix et des crucifix enrubannés (Nochapiq)

J’ai commencé par des objets de la vie quotidienne puis j'ai ensuite étendu le champ des objets à des pièces à valeur symbolique : revolver, crucifix, menottes, préservatifs… Ma démarche : poser des questions, interroger, faire réfléchir, provoquer… En revanche, c’est à chacun de donner sa réponse aux questions que je m’efforce d’adresser en emballant ces objets à charge symbolique. Certaines personnes m’ont dit que je leur faisais penser au Christo de l’objet. Je n’aurais pas cette prétention mais le prends comme un compliment !

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : des revolvers enrubannés (Nochapiq)

Quels sont vos bolducs préférés ? 
Mon bolduc préféré est sans aucun doute celui de cette maison si unique de la rue du faubourg Saint-Honoré à Paris. Je reconnais y avoir travaillé de nombreuses années (ndlr : Hermès) et avoir un amour réel pour cette maison qui n’a pas de concurrence dans son excellence. Et où j’ai tout appris !

Bolducs noirs et blancs portant la griffe Nochapiq (Nochapiq)

Quels sont les rubans les plus durs à acquérir ?

En choisissant le bolduc de marque comme matière première, je n’ai pas opté pour la facilité : il ne s’achète pas en théorie. Je le chine, on m'en offre, j’en trouve sur des sites internet. Je ne maîtrise pas la matière première et son approvisionnement. Cela rajoute au charme de cette quête de matières premières un peu borderline. À titre d’exemple, impossible désormais de trouver du bolduc Gucci, idem pour le Lanvin ou le Saint-Laurent. Nous sommes dans la volatilité absolue. J’ai aussi évidemment une affection toute particulière pour le bolduc que j’ai fait réaliser à mon nom. Mais là, cela est plus facile : il suffit de le faire fabriquer !

Rouleaux de papier toilette revêtus de rubans de marques de maisons de mode   (Nochapiq)

Pourquoi ouvrir votre atelier aux visiteurs ?

Le 14 septembre 2019, je suis sortie de la salle Pleyel où se jouait un concert époustouflant de Christine and the Queens. Ce concert a changé ma vie. En voyant tous ces hommes et toutes ces femmes faire équipe pour rendre les gens heureux, pour se réaliser, pour s’exprimer à travers la chanson et la danse, j’ai pris conscience qu’il fallait que je montre mon travail. Il y a eu un avant et un après ! 

Exposition Nochapiq "Road Trip" à la galerie Joyce à Paris : le premier objet emballé dans du bolduc Dior est un couteau  (Lisa Rose pour Nochapiq)

J’avais réalisé trois ans auparavant le "bolducage" d’un couteau avec du ruban Dior que j’avais terminé par des petits nœuds. Le 29 septembre 2019, j’ai eu un flash. J'ai attrapé un couteau et du bolduc Hermès, puis je suis passée à la fourchette, à la cuillère, pour obtenir 1.200 pièces aujourd'hui installées dans mon atelier rue des Feuillantines...  que j’ai vu peu à peu se transformer en espace d’exposition bien que restant mon lieu de travail et de vie. Il était donc logique d’ouvrir mon atelier showroom aux visiteurs car ma démarche était avant tout de partager mon travail. 

Tout a commencé avec la journaliste qui a monté la revue Intramuros. Elle est venue voir mon travail, puis elle m’a envoyé une autre journaliste. J’ai eu mon premier article dans la presse puis les visites se sont enchaînées : journaliste, photographe, personnalité de la mode, historien de l’art…

Ma porte est toujours ouverte car mon travail a pour colonne vertébrale le paradigme de la rencontre et de l’échange. Je n’ai jamais eu pour prétention d’être ma propre galerie. Tout s’est improvisé au fur et à mesure. Je vis donc depuis le 14 septembre 2019 un véritable Road Trip, nom de l’exposition qui se tient à la Joyce galerie.

Créations enrubannées présentées à l'exposition Nochapiq "Road Trip" jusqu'au 7 mars 2020 à la Joyce Gallery à Paris (BRUNO COMTESSE)

Exposition Nochapiq "Road Trip" jusqu'au 7 mars 2020. Joyce Gallery. 168, Galerie de Valois. Jardin du Palais Royal. 75001 Paris.

Son exposition "Road Trip" fera l'objet d'une performance avec le photographe Indrani et le directeur créatif GKREID, qui donnera lieu, plus tard, à une nouvelle exposition.

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