Qui est Félix Lefebvre, la révélation du film "Été 85" de François Ozon ?
C'était un inconnu total, mais depuis sa prestation dans "Été 85" de François Ozon, le milieu cinéphile ne parle que de lui. Le blondinet de 20 ans y a atomisé la caméra du cinéaste. Le film est sorti le 14 juillet, c'est une date de naissance : celle d'un acteur.
"A4631", sans soucis Félix Lefebvre nous envoie le code de son immeuble pour prendre un verre. Le garçon la joue simple, sans chichis. Son accueil en claquettes-chaussettes nous le confirme dans son studio du 9e arrondissement. Cuisine en bordel, guitare et cigarettes, on se croirait chez un vingtenaire lambda. Seul le sac en kraft Dior posé près de sa pile de baskets trahit un peu. Sa petite affiche enroulée du film Été 85 de François Ozon aussi, posée là entre des bouteilles et de la vaisselle. Si des curieux la déroulaient, ils y verraient le visage du jeune homme en gros, collé à celui de Benjamin Voisin sur une moto. "Festival de Cannes Sélection officielle 2020" y est-il inscrit, le logo cannois confirmerait les soupçons : Félix Lefebvre n'est pas un garçon quelconque, c'est un acteur.
Le film est sorti il y a deux semaines, dans une période où ça ne se bouscule pas en salle. Mais depuis 1998, Ozon s'est forgé un public, alors même sans têtes d'affiche, le film a bien démarré. Lui est né en 1999 et est inconnu au bataillon, Été 85 marque son premier grand rôle au cinéma. Dans cette histoire de passion entre deux ados normands, Félix Lefebvre incarne le jeune sentimental, celui issu de la classe ouvrière, habile avec les mots, moins avec la voile. 1h40 a suffit au comédien pour plier le jeu : quoi qu'on pense du film, un acteur est né.
"J'ai plus de verre propre...", mèche en l'air le garçon remplit une tasse d'eau de son robinet enseveli. Il s'installe sur un fauteuil couleur pétrole, ton sur ton avec sa chemise un brin plus claire. Sa peau ressort, quasi transparente comme dans le film, preuve que tout n'est pas du cinéma. Il retire ses claquettes Nike et attrape un Coca. Assis en face de lui, entre un peignoir bleu nuit et trois coussins, on regarde le jeune homme se mettre à l'aise. Il joue avec l'élastique noir qu'il portait au poignet puis nous regarde dans les yeux, signe, on le comprend, que l'entretien peut commencer.
Premières passions, premiers baisers
"J'ai des souvenirs de bisous avec les filles...", le récit est amorcé dès la maternelle, le comédien enchaîne les souvenirs, entre flou, fantasme et précision. "Je parlais fort et j'avais envie de gagner aux cartes...", raconte celui qui n'a pourtant pas une voix de stentor. "Aux cartes Yu-Gi-Oh...", tient-il à préciser.
Il grandit à Antony (Hauts-de-Seine), dans une famille aisée, avec le père peintre-musicien, la mère chercheuse et le frère aux Beaux-Arts. "Mon frère m'a fait une toile pour mettre ici", sourire aux lèvres il montre les murs encore vides du studio. Les réminiscences du jeune homme défilent à toute berzingue, passant de ses matchs de tennis à sa passion pour la NBA, "on ne me prend pas au sérieux à cause de ma taille... Mais ça se règle sur le terrain !", lâche t-il en jouant au kakou. On se prend à son récit, peu propice au suspens pourtant, car sa route n'a pas connu de dos d'âne, mais raconté avec un tel entrain et une telle minutie, il en devient attachant.
Sa première expérience de théâtre se fait au CP, il joue un médecin, par accident il perd son stétoscope sur scène et fait rire la salle, "j'ai adoré ça" se souvient-il les yeux brillants. On ne comprend pas tout de la suite... Une histoire de films dans sa tête qu'il se faisait en se prenant pour Will Smith, de faux combats de Kung-Fu avec son frère aussi. Mais dans son storytelling on devine un esprit monomaniaque. "Un peu oui..." , admet-il lorsque l'élastique qu'il trifouillait lui file des mains, "mais j'étais aussi un pitre !", ajuste-il.
Je ne veux pas m'enfermer dans un entre-soi, où l'on penserait plus au cinéma qu'à la vie. La vie doit rester le point de départ de ce métier...
Félix LefebvreActeur
Nous parlons déjà depuis quarante-cinq minutes lorsqu'on arrive au collège. Bon élève, surtout en maths, il s'inscrit dans une troupe de théâtre en quatrième, il est alors au climax de sa popularité, confie-t-il, notamment avec les filles. Il joue Merlin l'Enchanteur, Richard III, Orphée, les proches viennent le voir, ses parents l'encouragent, puis arrive le stage de troisième à la Comédie-Française, "grâce à la mère habilleuse d'une fille de ma troupe", l'acteur ne lésine pas sur les détails.
Félix Lefebvre parle beaucoup, et n'a pas peur des allers-retours. On perd le fil parfois mais on capte les fulgurances. Il évoque ses amis par exemple, majoritairement comédiens depuis le bac, "c'est un entre-soi et ça m'embête : j'ai pas envie de parler que de cinéma, ça ne peut pas être bénéfique pour ce métier, la vie doit être le point de départ..." , explique-t-il, presque grave.
Les débuts
Il passe ses doigts dans sa nuque coupée court. Son cousin touche au cinéma alors un jour il lui a dégoté un petit rôle. La balle est partie : le garçon veut en faire son métier, à fond les ballons il enchaîne les castings et se trouve même une agent, "via un ami de ma mère", explique-t-il sans en dire plus. Ils ne se sont pas quitté depuis,"on avait l'envie de faire une carrière sur le long terme", dit-il comme un ancien. Lorsqu'il entame ce chapitre, on remarque la bougie vanillée allumée sur la table basse, il y a encore pas mal de cire alors le récit s'enchaîne, sans entracte.
L'acteur déroule... Le chalet, une série pour France 2, puis les téléfilms, tout ça, avec le bac S en parallèle et 17 en maths tout de même, sans lâcher la musique, le basket, et patin-couffin, avec son meilleur ami en plus. "Le lycée, c'était les pires années de ma vie", plombe-t-il cependant, "j'étais pas au bon endroit, j'ai toujours parlé à tout le monde, mais je me sentais proche de personne", se justifie-t-il les mains sur son blue-jean. Surpris, on lui demande s'il a toujours cette sensation de ne pas facilement trouver en autrui des liens de proximité. Il lâche son denim pour se tenir la tête et réfléchit un moment, ses yeux bleus sur sa canette. "Oui, c'est encore le cas...", lâche t-il dans un semi-aveu, avant de se reprendre une dernière gorgée.
"J'ai toujours paru plus jeune, à 16 ans j'avais une tête de 13", explique t-il blasé. Et en effet, le garçon de 20 ans en paraît moins. "J'avais besoin de me prouver que j'avais bien mon âge", rajoute-t-il. On lui demande alors s'il avait du succès avec les filles. "Ça allait" renvoie-t-il, laconique. Il raconte ce qui semble lui être resté de ce sentiment d'infériorité, "ce que je redoute aujourd'hui, c'est que la personne en face de moi se sente petit, alors je fais attention à ne pas paraître arrogant".
Viser au bon endroit
Le grand écran arrive en 2018 avec L'heure de la sortie de Sébastien Marnier. Puis rentre dans sa vie Nadia Tereszkiewicz, une actrice rencontrée sur un tournage. Le feeling passe entre eux, ils deviennent amis et elle le pousse à s'inscrire au conservatoire du 8e. Il monte alors à Paris, s'installe chez sa grand-mère normande qui lui laisse son appartement, et il s'inscrit au conservatoire conseillé, ainsi qu'en fac de ciné. Ses lacunes cinéphiles sont béantes alors, bon an mal an, il les comble dans les cinémas de la capitale.
J'ai mis un temps avant de prendre conscience que j'allais faire le premier rôle de ce film, et que j'en étais légitime...
Félix LefebvreActeur
La bougie diminue à vue d'oeil alors que l'acteur débite les souvenirs. Il passe parfois du coq à l'âne, en suivant une chronologie que l'on n'identifie plus, de sa série avec Zabou Breitman à ses voyages en famille, en passant par sa chienne Véga morte cette année,"le plus grand malheur de ma vie", avoue-t-il en tournant la bague qu'il porte à sa main gauche. Les yeux perdus sur son paquet de Marlboro, il en vient à François Ozon et à son casting, au coup de fil du lendemain et à la bonne nouvelle d'un peu après.
On lui demande si celle-ci fut plus intense que les précédentes. Il raconte avoir été aux anges mais ne s'étend pas sur sa joie, comme si celle-ci avait été amoindrie par un sentiment parasite, plus profond, celui qui s'impose lorsqu'un choix tant espéré se fait sur nous : la peur de l'illégitimité. "On me donnait une flèche, il m'appartenait de bien viser", raconte t-il, "j'avais besoin de faire le tournage avant de me sentir légitime, j'ai mis un temps avant de prendre conscience que oui j'allais faire le premier rôle de ce film, que oui je suis comédien, que oui je suis acteur...". Alors que le jeune homme décroise ses bras, la bougie s'éteint, laissant s'échapper les vapeurs de vanille. Sous un bol à côté, le scénario de Suprêmes est ouvert, le film d'Audrey Estrougo sera sa prochaine flèche. Celle-ci aussi devrait toucher le mille.
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