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Simone Pheulpin sculpte des œuvres saisissantes à partir de rubans de tissus bruts au MAD

Prix Le Créateur de la Fondation des Ateliers d’Art de France et Grand Prix de la Création de la Ville de Paris, les œuvres de Simone Pheulpin sont entrées dans les collections de l’Art Institute of Chicago aux États-Unis, du Victoria and Albert Museum de Londres et au MAD à Paris où l'artiste expose jusqu'au 16 janvier. 

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Croissance III, oeuvre de l'artiste textile Simone Pheulpin, exposée au Mad jusqu'au 16 janvier 2022 (Antoine Lippens. Adagp, Paris, 2021)

Le Musée des Arts Décoratifs accueille jusqu'au 16 janvier 2022, Simone Pheulpin : Plieuse de Temps, une exposition qui rend hommage à une artiste singulière de 80 ans. 

40 pièces en coton composées de strates, failles et concrétions (parmi lesquelles trois nouvelles acquisitions) sont présentées dans le parcours historique du musée et dialoguent avec les collections XVIIIe siècle, Art nouveau et Art déco.

Exposition "Simone Pheulpin. Plieuse de Temps” jusqu'au 16 janvier 2022 au MAD à Paris  (CHRISTOPHE DELLIÈRE)

Un minutieux travail d’empilement, d’enroulage, de serrage 

Simone Pheulpin a grandi dans les Vosges et ce sont les paysages de lacs et de massifs de cette terre du textile qu’elle revisite entre les plis de ses œuvres et les milliers d’épingles qui les soutiennent.

Autodidacte, l’artiste a développé sa propre technique qu’elle perfectionne depuis 50 ans. Elle transforme un matériau des plus simples - des bandes de tissu de coton brut dissimulant des épingles enchevêtrées - en œuvres se faisant tour à tour corail, coquillage, mousse, écorce, pierre fossilisée... Mono-matière, monochrome, son œuvre ouvre sur une infinité de formes et de volumes, qui peuvent nécessiter jusqu'à un an de travail. Ce minutieux travail d’empilement, d’enroulage, de serrage constitue pour elle un processus méditatif. 

Rencontre passionnante et visite de l'exposition avec Simone Pheulpin, accompagnée par Florence Guillier-Bernard qui représente l'artiste à la galerie maison parisienne.

Portrait de l''artiste Simone Pheulpin (Antoine Lippens. Adagp, Paris, 2021)

Franceinfo culture : Comment a débuté cette histoire de pliage ?

Simone Pheulpin : Cela a débuté dans les années 1985-86. A l'époque, le tissu que j'utilise là me servait à doubler des panneaux décoratifs que je faisais pour les enfants. Ce tissu est encore pré-encollé, assez rigide, et j'ai eu envie de créer des motifs avec : donc, je l'ai coupé en bandes, j'ai fait des petits rouleaux que j'ai épinglé - parce que cela roulait évidemment - et puis, entre chaque rouleau, j'ai comblé les interstices.   

Avez-vous toujours utilisé cette technique ? Après, j'ai vu qu'en superposant les bandes de tissus, cela créait des motifs, des reliefs, qui jouaient avec l'ombre et la lumière. Donc j'ai fait de plus en plus grand, c'est venu petit à petit. Si ma plus grande pièce Décade est un panneau composé de 10 colonnes, je n'aime pas trop les petites pièces car plus c'est petit, plus j'ai des problèmes pour cacher mes épingles. Ce qui m'intéresse surtout c'est la finesse de l'épingle. Il faut qu'elle puisse se casser car, de temps en temps, je n'aime pas que l'on voit la tête d'épingle, elle me gêne et si elle est fine je peux la couper. 

Comment a évolué votre travail depuis 50 ans ? Au début, je ne faisais que plier mais à un moment donné, j'ai découvert que l'on pouvait faire des plis plus petits, des petits points comme de la mousse, mais aussi des failles. C'est cela aussi qui me passionne, c'est de découvrir ce que je peux faire de nouveau. C'est la notion de créer qui m'importe le plus. 

Pourquoi n'utilisez-vous que de la toile écrue ? D'abord elle me plaît. J'aime bien la couleur, j'aime bien au toucher et puis c'était une toile que j'avais sous la main à l'époque où j'ai commencé. Elle m'a séduite.  

Pourquoi ne voit-on jamais les épingles ? C'est personnel. Moi je ne veux pas que l'on voit un fil, ni une épingle. Je veux que cela soit parfait. Mais les gens me disaient on ne voit jamais les épingles alors j'ai fait une pièce, par exemple, où on les voit (ndlr : elle est dans l'exposition et fait partie de la collection permanente du musée). Les épingles créent un squelette et c'est comme cela que les structures tiennent bien (ndlr : dans l'exposition quelques cartels montrent des radiographies des oeuvres, qui sont une autre écriture précise l'artiste). 

Que racontent ces œuvres composées de strates, failles et concrétions ? Les gens me disent merci de m'avoir fait voyager, cela me fait très plaisir mais je ne raconte que pour moi.... Si je dis, je suis partie d'un tronc d'arbre par exemple, vous, vous voyez ce que vous voulez. C'est ca que je désire. Au départ, c'est un coup d'oeil, un flash. Par exemple, à la télé, j'ai regardé le rallye Dakar : ils ont fait un gros plan sur du sable absolument lisse, j'ai flashé dessus et je vais le transposer. Je peux tomber en pâmoison devant une faille sur un trottoir, un mur qui vacille. Je suis inspirée par la nature, les racines, les strates. Je n'ai pas d'histoire à raconter, ni de message à passer, je fais ce qui me plaît et j'espère que cela vous plaît aussi. 

Votre coton provient de l’une des dernières manufactures vosgiennes et vos épingles de la dernière manufacture d’épingles de couture française Bohin, vous soutenez le made in france ? Oui, voilà on peut dire cela. Ceci dit, je suis contente que cela soit made in France mais je ne l'ai pas fait exprès. 

Florence Guillier-Bernard de la galerie maison parisienne : tu t'étais essayé avec des épingles made in China mais ce n'était pas ca du tout ! Bohin est la dernière manufacture de qualité. 

Au MAD, vos œuvres dialoguent avec les panneaux et meubles de laque du XIIIe, un décor d'intérieur de Louis Majorelle et les appartements de Jeanne Lanvin. Pourquoi ce choix ? Je n'ai pas choisi du tout mais c'est un honneur d'être exposé, ici. 

Florence Guillier-Bernard :  Il y a deux oeuvres acquises par le MAD en 2019 (grâce à des mécènes) suite à un coup de coeur d'une des conservatrices, Chloé Pitiot (ndlr : conservatrice des départements Art nouveau/Art déco et Moderne et Contemporain). L'idée a été de dire : faisons dialoguer les sculptures intemporelles de Simone avec des objets d'art ou du mobilier d'exception de différentes périodes... c'est comme cela que l'idée de l'exposition est née. Chloé Pitiot en a parlé aux autres conservatrices qui ont émis le souhait d'avoir des pièces dans leur collection 17e, 18e ou Art nouveau. Beaucoup de visiteurs apprécient aussi de découvrir ou redécouvrir les collections permanentes qui sont magnifiques. 

Exposition "Simone Pheulpin. Plieuse de Temps” jusqu'au 16 janvier 2022. MAD. 107, rue de Rivoli. 75001 Paris. Du mardi au dimanche de 11h à 18h. Une monographie très complète aux Editions Cercle d'Art est disponible en exclusivité à la librairie du MAD.

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