Croix de Ploërmel : qui est le sculpteur russe Zourab Tsereteli, à l'origine de la statue polémique de "Jean-Paul II" ?
Le Conseil d'Etat demande à la commune de faire retirer la croix d'une sculpture monumentale de l'ancien pape, œuvre du Russe Zourab Tsereteli. Fameux pour ses créations monumentales, cet artiste multiplie les dons dans le monde entier.
Au fil des ans, l'artiste russe Zourab Tsereteli a donné naissance à des constructions imposantes, érigées dans de nombreux pays. Pour le meilleur et pour le pire. Après des années de polémiques, le Conseil d'Etat a donné six mois à la commune de Ploërmel (Morbihan) pour retirer la croix qui orne sa statue de Jean-Paul II, au nom de la loi de 1905 sur la laïcité.
Si le nom de Zourab Tsereteli n'est pas des plus familiers en France, l'octogénaire est aujourd'hui l'un des artistes vivants les plus connus en Russie. Le sculpteur d'origine géorgienne affectionne tout particulièrement les bronzes monumentaux à la gloire des personnages célèbres. Les grands, du genre imposants. Depuis vingt ans, les Moscovites ont une immense statue de Pierre Le Grand en ligne de mire, non loin du parc Gorki. Un bronze de 98 m de haut à la gloire d'un tsar qui détestait pourtant cette ville, au point d'avoir bâti Saint-Pétersbourg pour y déménager la capitale de la Russie.
Un proche de Vladimir Poutine
Pour observer d'autres œuvres du sculpteur dans la capitale russe, il faut se rendre dans le parc de la Victoire, un complexe dédié au souvenir des soldats russes morts pour la patrie. Là encore, l'œil bute sur une imposante statue de Saint-Georges terrassant un dragon, allégorie de la victoire sur les armées nazies. Un peu plus loin, une émouvante Tragédie des peuples rend hommage aux prisonniers des camps de concentration, en moulant jusqu'aux jouets des enfants disparus puis fondus dans l'horreur.
Preuve de son importance en Russie, l'artiste est également proche de Vladimir Poutine. Lors d'une visite de son atelier, en 2015, le Financial Times (en anglais) a observé de nombreuses photos des deux hommes, accrochés au mur. L'artiste a déjà réalisé une statue du dirigeant, dans une tenue de judoka. Très fortuné, il a racheté l'ex-ambassade d'Allemagne de l'Est, un somptueux hôtel particulier du XVIIIe siècle, où se trouvent son atelier, des salles, des bureaux et des appartements privés, racontait Le Point en 2004.
Zourab Tsereteli a lancé sa carrière en réalisant d'abord des commandes du ministère de la Culture soviétique, dans les années 1960 et 1970, avec un goût pour le kitsch soviétique. Par la suite, il oriente ses travaux vers des thèmes néo-classiques, plus religieux et nationalistes. Président de l'Académie des beaux-arts de Russie depuis 1997, Zourab Tsereteli se présente lui-même comme "un artiste contemporain", dans les colonnes du Financial Times (en anglais). Ce qui ne l'empêche pas d'être visé par les critiques, qui lui reprochent des projets outranciers et datés. Pour ses contempteurs, surtout, il doit notamment son succès aux relations nouées depuis des années avec les décideurs politiques.
Zourba Tsereteli sait en effet s'adapter, au gré des modes et des relations. La statue de Pierre Le Grand, par exemple, doit beaucoup à son amitié avec l'ancien maire de Moscou, Iouri Loujkov, qui a mandaté l'œuvre au début des années 1990. A cette époque, il lance de nombreux projets dans la ville, financés par la municipalité, comme l'étonnant bestiaire de la place du Manège ou une intéressante statue grandeur nature de l'acteur Yevgeny Lonov. Mais quand le maire de Moscou est tombé en disgrâce, en 2010, la colère des Moscovites a resurgi. Des projets de déménagement de Pierre le Grand à Saint-Pétersbourg ont même été évoqués, sans que la ville concernée n'ait rien demandé.
Des œuvres données au Japon, à Israël, au Royaume-Uni...
Autre signe du lien important qui existe entre l'artiste et l'édile moscovite ? En 1997, Iouri Loukov avait lui-même proposé une gigantesque statue de Christophe Colomb à son homologue new-yorkais, Rudolph Giuliani. Plus grande, même, que la Statue de la Liberté ! Cette anecdote est alors racontée au New Yorker (en anglais) par Donald Trump, qui vient de rencontrer l'artiste à Moscou. Une demi-douzaine de villes – dont New York – ont refusé ce projet de 6 00 tonnes, précise le Guardian (en anglais), mais La Naissance du Nouveau Monde a finalement vu le jour, l'an dernier à Anceribo, sur l'île de Porto Rico.
La charge de travail du sculpteur est prodigieuse. Le journaliste du Financial Times, notamment, fait part de sa stupéfaction en découvrant la quantité de statues de bronze concentrées dans son manoir de Moscou. Et Zourab Tsereteli agite son réseau pour faire installer ses nombreuses œuvres à l'étranger, à travers une politique de donations stratégiques : un Saint-Georges devant les Nations unies à New York (Le Bien vainc le Mal, un Christophe Colomb près de l'Unesco à Paris (La Naissance d'un monde) ou des œuvres au Japon, en Israël, au Royaume-Uni...
"D'après ce que j'en ai vu, c'est trop grand"
Sa carrière est parsemée de refus polis ou d'oppositions locales. En 2005, il reproduit la photo de la rencontre à Yalta entre Staline, Churchill et Roosevelt. Plus petit que ses homologues, le dirigeant soviétique est tout de même représenté avec dix centimètres de plus. Prévu pour être installé en Crimée, le monument se heurte aux résistances de la l'importante population tatare locale. Celle-ci digère mal le symbole après avoir été déportée en 1944 par le dirigeant soviétique, qui l'accusait alors d'avoir collaboré avec les nazis. L'inauguration n'aura lieu que dix ans plus tard, en pleine crise ukrainienne, près du palais Livadia de Yalta (Ukraine).
Autre exemple ? Quand la Russie propose son œuvre dédiée aux victimes des attentats du 11-Septembre, la ville de Jersey City, voisine de New York, a préféré décliner. "Je ne suis pas un critique d'art, mais d'après ce que j'en ai vu, c'est trop grand", résumait sobrement un membre du conseil en 2005, cité par New York Times (en anglais). La goutte géante de zinc finit par atterrir à Bayonne, une commune limitrophe, au milieu d'une zone concernée par une rénovation portuaire. Il fut même question un temps de déplacer l'œuvre, racontait le Jersey Journal (en anglais), au grand dam de l'artiste.
De nombreuses œuvres présentes en France
Venu étudier en France dans les années 1960, où il rencontre Picasso et Chagall, Zourab Tsereteli reste attaché au pays, dont il est chevalier de la Légion d'honneur depuis 2010. Là encore, il multiplie les dons : une statue des Mousquetaires à Aymeri de Montesquiou, descendant de la famille de d'Artagnan, qui l'offre lui-même à Condom (Gers). Une statue d'Honoré de Balzac, installée devant le palais des Congrès du Cap d'Agde (après avoir été refusée ailleurs). Une autre de la poétesse Marina Tsvetaïeva à Saint-Gilles-Croix-de-Vie (Vendée). Un ensemble dédié aux Pères fondateurs de l'Europe, à Scy-Chazelles (Moselle)...
Zourab Tsereteli a fait installer une statue de Jean-Paul II devant Notre-Dame-de-Paris, en 2014, mais sans la croix qui fait polémique à Ploërmel (Morbihan), depuis tant d'années. L'œuvre bretonne avait été offerte par l'artiste, encore une fois, puis installée en 2006 par le maire de l'époque. L'élu actuel, Patrick Le Diffon (LR), assure que la "population est désormais attachée à cette statue et à cette croix". Pour autant, il n'exclut pas de faire sortir la place Jean-Paul II du domaine public ou de transférer l'œuvre dans un terrain privé.
A la différence du gouvernement polonais, qui a émis le souhait de récupérer l'œuvre pour en garantir l'intégrité, le sculpteur n'a pas encore commenté cette décision de justice. Sans doute est-il fatigué par les rumeurs de déménagement.
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