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Coûts, stress... Pourquoi les étoiles du guide Michelin ne font plus recette chez certains chefs

Avec 261 étoiles distribuées pour l'édition 2018, le célèbre guide rouge reste une référence dans le milieu de la gastronomie. Pourtant, certains chefs refusent cette distinction. Franceinfo vous explique pourquoi.

Article rédigé par franceinfo - Lison Verriez
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Le guide Michelin. (MAXPPP)

Une récompense difficile à digérer. Si, pour de nombreux chefs, recevoir la fameuse étoile Michelin sacre toute une carrière dans la gastronomie, d'autres sont plus dubitatifs. 

A l'automne 2017, Sébastien Bras, propriétaire du restaurant Le Suquet, à Laguiole (Aveyron), a demandé son retrait de la sélection 2018 du guide Michelin. Une décision radicale qu'il n'est pas le seul à avoir prise. Et ce pour plusieurs raisons :

Une pression trop importante

L'impact psychologique de la valse des étoiles, année après année, est indéniable sur le moral des chefs, estime Olivier Gergaud, qui a produit une étude sur cette question. Joël Robuchon, Alain Senderens ou encore Antoine Westermann, tous ont renoncé à leurs étoiles. "L'impact de la perte d'une étoile est bien plus fort que celui de son gain", précise ce professeur d'économie à Kedge Business School et chercheur au LIEPP Sciences Po

Joël Robuchon a rendu ses trois étoiles en 1996 avant de faire son retour en 2003. "Je ressens beaucoup moins de pression avec vingt-cinq étoiles aujourd'hui qu'avec trois il y a quinze ans, expliquait-il à L'Express en 2009. Quand j'étais à la tête de mon restaurant de l'avenue Raymond-Poincaré, je courais sans cesse après la perfection, je ne manquais jamais un coup de feu, je guettais les critiques gastronomiques... (...) Il fallait que j'arrête cette vie harassante, j'avais peur de finir comme les copains du métier Alain Chapel, Jean Troisgros, Jacques Pic, morts prématurément à force d'avoir trop tiré sur la corde." 

Pour Olivier Gergaud, le prix Michelin exerce un quasi-monopole qui explique pourquoi les chefs voient en lui l'apothéose pour une carrière dans la gastronomie. "C'est une pression permanente pour être au top", expliquait sur RMC Claude Legras, meilleur ouvrier de France 1991. 

Des coûts trop élevés 

Pour Olivier Gergaud, les gains ne sont d'ailleurs pas toujours intéressants. Dans son étude, il constate bien que la notoriété des chefs augmente à chaque obtention d'étoile. En revanche, il est plus circonspect sur l'effet de la distinction sur la rentabilité du restaurant. "Certains en ont marre de devoir cuisiner des ingrédients prestigieux, coûteux, de voir les additions qui flambent, d'investir dans le cadre... C'est un stress pour les chefs qui sont obligés d'adapter l'environnement pour progresser et donc d'investir des sommes d'argent colossales." 

D'après ses constatations, l'investissement pour atteindre et surtout maintenir un "standing digne des exigences implicites, mais bien réelles, du Guide" peut monter jusqu'à 1 million d'euros pour les deux ou trois étoiles. 

Un constat partagé par Claude Legras. "Ça coûte cher, la course aux étoiles : en termes d'effectifs, sur la décoration, sur les assiettes, explique-t-il. Il ne faut pas que le client attende, donc il faut avoir beaucoup de personnel en cuisine et en salle." En 2016, le chef du Floris, dans le canton de Genève (Suisse), a rendu ses deux étoiles. "A un moment, il fallait dire stop."

Il y a dix ans de cela, obtenir un étoile Michelin était un véritable honneur. Mais dans le contexte économique actuel, c'est plus un cadeau empoisonné.

Karen Keygnaert, cheffe belge

à "Munchies"

La cheffe belge Karen Keygnaert, dont l'établissement est situé à Bruges (Belgique), a elle aussi rendu son étoile, notamment en raison des investissements financiers nécessaires. "L'étoile implique tout un décorum qui n'a plus lieu d'être. Si jamais une carte est cornée ou une nappe mal pliée, les gens vont finir par lâcher des remarques du style : 'Hum, je ne crois pas que cela soit très convenable, pour un étoilé'", explique-t-elle au journal Munchies

Selon Olivier Gergaud, l'étoile Michelin se traduit par une addition salée : entre 25% et 30% de plus que lorsque le restaurant n'avait pas de distinction.

Une créativité bridée

"Je ne suis pas sûr que l'on puisse être créatif lorsqu'on est autant sous pression", s'inquiète Olivier Gergaud. Un argument aussi assumé par Sébastien Bras lors de sa décision de rendre ses étoiles : "Je vais pouvoir me sentir libre, sans me demander si mes créations vont plaire ou non aux inspecteurs du Michelin", expliquait-il à l'AFP

En 2005, Alain Senderens fermait le Lucas Carton pour ouvrir un nouvel établissement moins cher, le Senderens. Pour lui aussi, les étoiles du guide Michelin pesaient lourd sur sa cuisine. "Le Michelin ne me manque pas du tout", expliquait-il au Figaro.

On change de société, il faut que le Michelin change aussi. Ce n'est pas parce qu'il y a un bouquet d'orchidées que l'assiette est meilleure.

Alain Senderens

au Figaro

Et si la gastronomie était aujourd'hui trop tributaire des guides, des critiques, des classements et des listes ? C'est ce que regrette Bruno Verjus, chef  de table à Paris, dans les pages de Libération. "La cuisine bien vivante est prise en otage par tous ces systèmes de notation, déplore-t-il. La réalité de la cuisine est beaucoup plus intéressante que la version retranscrite par les guides et les classements." 

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