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Le restaurant de Paul Bocuse perd sa 3e étoile : "On a l'impression qu'il faut brûler aujourd'hui ce qu'on a adoré hier", réagit un ancien directeur du guide Michelin

Jean-François Mesplède avoue ne pas comprendre la décision du guide de rétrograder le restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or.

Article rédigé par franceinfo
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Jean-François Mesplède (G) et Paul Bocuse (D) devant le restaurant de Collonges-au-Mont-d’Or, le 13 janvier 2011. (AUGROS PIERRE / MAXPPP)

"J'ai l'impression que, pour regagner un peu de crédibilité, le guide Michelin est en train de faire une crise de jeunisme", a déploré vendredi 17 janvier sur franceinfo Jean-François Mesplède, ancien directeur du guide Michelin et journaliste au Progrès de Lyon, après la décision du guide de rétrograder le restaurant du "pape de la gastronomie", situé Collonges-au-Mont-d’Or. L'établissement a perdu sa 3e étoile au célèbre guide Michelin qu'il détenait depuis 55 ans.

"On a l'impression qu'il faut brûler aujourd'hui ce qu'on a adoré hier", a-t-il. Pour Jean-François Mesplède, cette décision "devait être mûri de longue date". "On a l'impression qu'il faut à tout prix enlever le restaurant de Paul Bocuse, alors que la qualité est toujours là, que l'équipe a été renforcée par un sommelier meilleur ouvrier de France et un pâtissier qui a gagné la coupe du monde de pâtisserie".

franceinfo : C'est un crève-coeur pour vous de voir cette institution rétrogradée ?

Jean-François Mesplède : Je trouve cela totalement aberrant. J'ai l'impression que, pour regagner un peu de crédibilité, le guide Michelin est en train de faire une crise de "jeunisme". Après Haeberlin et Dutournier l'an dernier, on a l'impression qu'il faut brûler aujourd'hui ce qu'on a adoré hier.

Le guide Michelin explique que le restaurant n'est plus au niveau de la troisième étoile. Est-ce que vous l'avez constaté ?

Pas du tout. La différence entre la deuxième et la troisième étoile chez Michelin, c'est qu'à 2 étoiles, ça mérite un détour alors qu'à 3 étoiles, ça vaut le voyage. Moi j'ai le sentiment - pour y avoir mangé en novembre dernier - que le restaurant de Paul Bocuse vaut, pour beaucoup de choses et pour la cuisine dans son immense majorité, toujours le voyage. Je ne comprends pas la décision du guide Michelin.

Qu'est-ce qui a changé en deux ans depuis la mort de Paul Bocuse ?

Pas grand-chose. Il y a eu quelques travaux pour que la maison ressemble plus à une maison d'aujourd'hui. Mais l'esprit est conservé : quand on rentre dans le restaurant, on se dit : "Ils ont changé quelque chose" mais on ne sait pas dire quoi. Et puis la brigade en cuisine et en salle est la même. La famille de Bocuse, avec sa fille Françoise, son petit-fils Vincent, sont toujours aux commandes. On y fait une cuisine de tradition, avec une vision un peu plus contemporaine.

Le bonheur est toujours dans l'assiette, avec des plats mythiques : la soupe VGE, la volaille en vessie, le lièvre à la royale, le gâteau "Le Président" en dessert. On ne peut pas d'un coup rayer une maison comme celle-ci.

Jean-François Mesplède, ancien directeur du guide Michelin

à franceinfo

On la met hors-concours en disant "c'est incontournable et ça vaut toujours le voyage", en mettant une étoile d'or, pour montrer ce qu'a apporté et continue à apporter le restaurant Paul Bocuse et Paul Bocuse lui-même à la cuisine française.

Paul Bocuse était à la manoeuvre jusqu'à la fin ? Sa mort a-t-elle tout changé ?

Non, sa mort n'a pas tout changé. À la question "Qui fait la cuisine quand vous n'êtes pas là ?", Paul Bocuse - qui était un homme de formules - répondait : "Les mêmes personnes que quand je suis là". Dans des cuisines de haute réputation, qui envoient beaucoup de couverts, le chef est à la manoeuvre mais en dirigeant ses équipes. Ce n'était pas Paul Bocuse qui épluchait les pommes de terre. Mais il surveillait toujours ce qui se faisait. L'équipe, les trois chefs - trois meilleurs ouvriers de France - qui sont là depuis 15 ans, a toujours continué dans la volonté et la foulée de ce que voulait Paul Bocuse.

Vous laissez entendre que le restaurant de Paul Bocuse paie la nouvelle politique du guide Michelin. Qu'entendez-vous par là ?

Le guide Michelin a perdu des lecteurs, a fait des partenariats, a créé un guide sur internet, etc... Il a fait beaucoup de nouvelles choses car je pense qu'on demande que le guide ait une certaine rentabilité. Et j'ai l'impression qu'on oublie un peu les fondamentaux. Le guide est né en 1900. Les premières 3 étoiles sont nées en 1933. Ce sont toujours les mêmes définitions et c'est très bien. Je pense qu'aujourd'hui on peut très bien porter au sommet une maison traditionnelle comme une maison nouvelle. 

Ce n'est pas parce qu'il y a des chanteurs d'aujourd'hui qu'on oublie qu'il y a eu Brel, Brassens ou Léo Ferré. Je pense que le Michelin traverse une petite crise.

Jean-François Mesplède

Le guide Michelin dit que les 3 étoiles ne sont pas décernées à vie. N'est-ce pas quelque chose de sain ?

Mais cela existe depuis des décennies ! Et puis, pour évaluer un restaurant 3 étoiles, en général le guide fait entre six et huit repas. S'il y a une majorité qui pense que ça ne vaut pas trois étoiles, on va les enlever. Mais le guide n'a pas pu faire ce nombre de repas sur la seule année 2019 ! Donc cela devait être mûri de longue date. Il y a aussi une nouvelle vague d'inspecteurs, plus jeunes, qui peut-être aiment moins la cuisine traditionnelle. Et peut-être qu'on oublie les fondamentaux chez Michelin. La plupart des membres de la Nouvelle cuisine étaient très tôt aux 3 étoiles : Michelin a toujours eu une vocation à découvrir des talents. Il s'est élargi vers des nouvelles tables, a couronné des femmes à 3 étoiles, etc... Mais maintenant, je ne comprends pas. On a l'impression qu'il faut à tout prix enlever le restaurant de Paul Bocuse, alors que la qualité est toujours là, que l'équipe a été renforcée par un sommelier meilleur ouvrier de France et un pâtissier qui a gagné la coupe du monde de pâtisserie.

Cette décision est-elle de nature à mettre en danger le restaurant ?

Pour Paul Bocuse, je ne pense pas, au moins sur le court et moyen terme. En 2019, le restaurant a fait le plus grand nombre de clients depuis des années. Les clients ont donc toujours envie d'aller chez Bocuse. Paul, de son vivant, disait : "Ils viennent me voir avant que je meure pour me voir de mon vivant". Mais je crois que les gens y vont aujourd'hui parce qu'ils savent qu'il n'y a pas de déception chez Bocuse et qu'il y a toujours le même émerveillement. Il y a des gens qui préfèrent la cuisine classique et qui se régalent d'un riz au lait comme faisait la grand-mère ou d'un pain perdu. D'autres vont préférer des desserts déstructurés, etc... Il y a les deux catégories. Je pense qu'à court terme, ça ne va pas changer la donne et que les gens iront toujours.

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