On vous explique pourquoi le business du "vin bleu" tourne au vinaigre
Une boisson produite en Corse, présentée comme un vin "naturellement" bleu, est dans le collimateur de la justice, en raison de la présence d'un colorant.
Le "vin bleu", venu rejoindre le blanc et le rouge français depuis 2018, est en eaux troubles. Le "vin de la mer", produit en Corse sous la marque Imajyne, se retrouve dans le collimateur de la justice.
Le procureur d'Ajaccio a annoncé, mercredi 31 juillet, l'ouverture d'une enquête pour "pratiques commerciales trompeuses" et une autre pour "faux et usage de faux". On vous explique cette affaire.
Qu'est-ce qui est reproché à ce "vin bleu" ?
Le vin est soumis à une définition très stricte. "C'est le produit obtenu exclusivement par la fermentation alcoolique, totale ou partielle, de raisins frais, foulés ou non, ou de moûts de raisins", rappelle la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Tous les ingrédients ayant des propriétés colorantes sont strictement interdits. Or, le vin corse Imajyne, présenté comme "le vin de la mer", contient un colorant.
Dans le breuvage couleur turquoise, "on retrouve le colorant E133", selon le procureur Eric Bouillard. En 2017, des achats de E133, aussi appelé "bleu brillant FCF", ont été réalisés par un ancien associé des producteurs de ce vin bleu. Avertis par les autorités, les producteurs d'Imajyne ont bien tenté de changer l'appellation de leur produit en "cocktail aromatisé". Mais, là encore, la dénomination est trompeuse : "Pour qu'il s'agisse d'un cocktail, il faut que la boisson soit aromatisée, détaille Éric Bouillard. Or, la nouvelle version d'Imajyne ne contient pas d'aromatisant". C'est pourquoi le procureur a ouvert une première enquête pour "pratiques commerciales trompeuses".
Autre problème : pour cette nouvelle version aussi, Imajyne a utilisé un colorant. Le E131 cette fois, aussi appelé "bleu patenté V". Sa couleur est facile à reconnaître. C'est celle des bonbons Schtroumpfs de Haribo. On peut aussi le trouver dans le curaçao bleu, une liqueur d'orange elle aussi artificiellement colorée.
Comment la supercherie a-t-elle été découverte ?
Sur son site, Imajyne vante un vin d'une "couleur bleue naturelle inouïe" et un procédé ancré dans son territoire "entre terre et mer". La boisson est encore décrite comme un "vin bleu unique (vin de la mer) et surprenant, nourri par les minéraux naturels, des herbes et des algues (spiruline)". Le site affiche même un certificat de pureté, sanitaire et de libre vente du vin, daté de 2017 et signé par une œnologue.
Mais l'analyse chimique livre une autre histoire. Ce sont des étudiants en chimie analytique à l'université Paul-Sabatier Toulouse 3 qui ont percé le mystère. Leur étude a été publiée dans l'édition d'août 2019 de la revue European food research and technology (en anglais). Deux phases d'analyse ont permis d'identifier la molécule responsable de la couleur du vin. "Nous avons identifié sans ambiguïté la présence de bleu brillant FCF (colorant alimentaire E133)", expliquent les chercheurs, cités par France 3 Occitanie, en juin.
Comment se défend le commerçant ?
Interrogé sur son colorant couleur Schtroumpf, Sylvain Milanini, concepteur de la boisson Imajyne, se défend. C'est "un colorant sous forme de sel minéral. C'est du sel !", clame-t-il auprès de l'AFP. Il assure que les sels sont utiles pour "stabiliser" la couleur qui peut varier "avec la chaleur et le temps".
Début juillet, Sylvain Milanini a même transmis à France 3 Corse un rapport d'analyse qui semble prouver qu'il n'y a aucun colorant dans son vin bleu. En effet, en face des noms bleu brillant FCF (E133) ou encore indigotine (E132), la quantité est quasi-nulle – moins d'un milligramme par litre – comme pour tous les autres colorants testés. Seulement, il semble manquer des lignes dans le document. Les tests du E130 et du E131 ne figurent pas dans ce rapport d'analyse, comme d'autres. La ligne E131, qui correspond au bleu patenté V, apparaît pourtant sur le document original et indique 2,6 mg/litre, selon France 3 Occitanie. Après ces nouvelles révélations, le procureur d'Ajaccio a ouvert une autre enquête, pour faux et usage de faux.
Y a-t-il d'autres vins concernés ?
Les étudiants toulousains ont analysé un autre "vin bleu", Vindigo, commercialisé en France en 2018 par un entrepreneur sétois. Ce vin couleur turquoise, présenté comme "100% Chardonnay", était alors développé en Espagne. L'entreprise française le présentait comme un "vin bleu de Méditerranée". Une appellation retirée car elle ne correspondait pas à la réalité de l'indication géographique protégée (IGP) "vin de Méditerranée".
A l'époque, le Sétois assure que la couleur est obtenue par la macération du raisin blanc avec des peaux de raisin noir. Celle-ci contient un pigment naturel, l'anthocyane, qui suffirait à lui donner sa couleur singulière. Mais des spécialistes interrogés par Sciences et Avenir démontent cette explication.
Véronique Cheynier, directrice de recherche à l'Inra, spécialiste des polyphénols, explique que les anthocyanes sont "particulièrement sensibles" à l'acidité, qui modifie leur couleur. "Ils sont rouges en milieu acide, à bas pH, et ne passent au bleu qu'en milieu basique, à un pH supérieur à 7", explique l'experte. Le pH des vins est le plus souvent compris entre 3 et 4. Et si ces anthocyanes étaient synthétisés en laboratoire, afin d'obtenir la bonne teinte de manières stable, il serait tout aussi illégal de les ajouter au vin.
Que vont devenir ces "vins bleus" ?
"Lors de la prochaine cuvée, il n'y a aura aucun colorant, même s'il s'agit de sels minéraux", a promis Sylvain Milanini, concepteur de la boisson Imajyne. Mais il va probablement devoir arrêter de présenter sa boisson comme du vin.
C'est ce qu'a déjà fait la société qui commercialise le Vindigo. Au Midi Libre, elle explique avoir été "mal orientée" par le fournisseur espagnol. Désormais, il s'agit d'une "boisson aromatisée à base de vin". Une dénomination moins prestigieuse, mais plus fidèle à la réalité.
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