Cyberpunk 2077 : quand la littérature de science-fiction renaît par le jeu vidéo
“En 2077 ma ville a été élue ‘pire lieu de vie d’Amérique’. Ce qui cloche ? Un taux de violence crevant le plafond, et une population vivant massivement sous le seuil de pauvreté...” Adieu les lendemains qui chantent. Avec sa bande-annonce, le jeu “Cyberpunk 2077” a fait sensation à l’E3, le plus grand salon international du jeu vidéo, qui se tenait à San Francisco en juin 2018.
Cette nouvelle création des Polonais de CD Projekt Red n'a rien du coup d'essai, puisqu'on leur doit également la saga fantastique "The Witcher", dont l'épisode final fut acclamé comme un chef-d'œuvre. Alors que la date de sortie de ce nouveau jeu n'a même pas encore été annoncée, il est soudainement devenu l’une des principales attentes des aficionados. En cause, des qualités techniques impressionnantes, mais aussi une tendance, très profonde depuis quelques années, à se tourner de nouveau vers ce sous-genre de la science-fiction qu’est le cyberpunk.
Science-fiction contestataire
Le terme “cyberpunk” apparaît aux États-Unis dans les années 80, à travers les écrits de petits groupes d’auteurs de science-fiction fédérés autour du fanzine “Cheap Truth”. Dès cette époque se détachent les thèmes principaux du genre : l’hyper-connexion des individus et la contestation d’un ordre mondial dirigé par des entreprises devenues des méga-corporations. S'y retrouve aussi la peur, pour les personnages, de voir leur identité dissoute dans ce qu'on appelle alors le "cyber-espace", ou de s'y retrouver piégé. Le règne des GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) n'est pas loin.
C’est avec le roman “Neuromancien” de William Gibson, publié en 1984, que le mouvement cyberpunk se popularise et que se posent les principaux éléments de son identité. D'après Natacha Vas-Deyres, enseignante et chercheuse à l’Université Bordeaux-Montaigne, “le cyberpunk naît dans une période d’explosion des technologies de l’information et d’ultra-libéralisme. Il reflète les angoisses et les terreurs de cette époque, vis-à-vis d’évolutions technologiques, économiques, politiques et sociales qu’on ne maîtrise pas.”
De fait, les œuvres cyberpunk comme “Neuromancien” ou le manga “Ghost In The Shell” de Masamune Shirow, présentent un futur à la fois proche et sombre, où l’individu évolue tant bien que mal dans une société stratifiée sur laquelle règnent des méga-corporations. Les promesses des années 50 et 60 d’un “village mondial”, où la technologie apporterait la paix, se sont bien envolées. Dans les mondes cyberpunk, la technologie a au contraire accentué les inégalités. Le capitalisme y est plus sauvage que jamais, et le monde plus brutal, plus cruel envers ceux qui se battent pour les miettes.
Avec mon cœur de hacker
Reflet des peurs de son époque, le mouvement cyberpunk, d’abord littéraire, a inspiré toute une vague d’œuvres cinématographiques américaines dès les années 80 : “Blade Runner” (adapté d’un roman de 1966 écrit par Philip K. Dick) en 1982, RoboCop (1987) ou encore Total Recall (1990). De l’autre côté du Pacifique, les films d’animation “Akira” (1988) et “Ghost In The Shell” (1995), adaptés de mangas, sont eux aussi devenus des classiques du genre. Le "hacker", pirate informatique de génie, y devient la figure tutélaire de l'individu éternellement révolté contre le système.
Marquée par les inquiétudes liées aux GAFA, aux nouvelles technologies et au péril écologique, notre époque voit justement revenir le cyberpunk au goût du jour. “Après une période optimiste dans les années 1990, on est à nouveau dans un moment qui cristallise les craintes vis-à-vis d’un monde instable”, poursuit Natacha Vas-Deyres. “Avec une donnée supplémentaire, qui est l’angoisse de la destruction de l’environnement ou de l’altération du vivant, donnant naissance à un nouveau sous-genre : le biopunk.” Une nouvelle tendance illustrée par des romans comme “La Fille automate” (2009) ou encore le roman de la Française Sabrina Calvo “Toxoplasma” (2017), salué du Grand Prix de l’Imaginaire en 2018.
Un retour en force
Mais là où le cinéma hollywoodien des années 2010 a peiné à se réapproprier le genre à grands coups de "remakes" et de suites, le jeu vidéo, lui, s’en est mieux tiré. Ainsi, le chef-d’œuvre “Deus Ex” de Warren Spector et Harvey Smith, sorti en 2000, a durablement influencé le monde du jeu vidéo. Le jeu a d’ailleurs connu plusieurs suites, dont la dernière, en 2015, aborde une fois de plus le thème du transhumanisme et des changements qu’il induit dans la société.
Loin des créations grand public, des studios plus modestes ont eux aussi exploité la “veine” cyberpunk avec succès. “Le genre de la science-fiction, et du cyberpunk en particulier, permet de poser un commentaire sur notre société”, commente Jordi de Paco, chef de l’équipe espagnole Deconstructeam à l’origine du fascinant “The Red Strings Club”.
Dans ce jeu à l'esthétique "rétro", une mégacorporation, plutôt bienveillante pour une fois, se propose de mettre fin aux phénomènes destructeurs comme la dépression, la haine ou le racisme via une mise à jour cybernétique imposée à la population. “Les individus dans notre jeu sont bien intentionnés, mais le problème vient de l’échelle gigantesque à laquelle ils peuvent agir : est-il moral que quiconque possède autant de pouvoir, même pour faire ‘le Bien’ ?”, poursuit De Paco.
La référence aux craintes et à l’esthétique des années 80 joue un grand rôle dans la reconnaissance du cyberpunk. Des petites perles modestes comme “The Red Strings Club” ou “Neofeud” jusqu’à la superproduction “Cyberpunk 2077”, le genre n’a pas oublié ses racines et son histoire. Une histoire “cyber-”, hyperconnectée et futuriste. Mais surtout une histoire résolument “-punk”, violemment contestataire envers un monde où le futur est de plus en plus difficile à envisager.
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