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De l'arbre à la frégate : le roman de l'Hermione

C'est la rencontre entre un rêve et la volonté de faire revivre un patrimoine architectural qui a donné naissance à l'Hermione. D'un côté la ville de Rochefort qui désirait faire revivre son arsenal, en partie à l'abandon depuis la guerre et de l'autre, un groupe de passionnés désireux de reconstruire un grand navire du XVIIIème siècle. Retour en images sur 17 ans de chantier.
Article rédigé par Grégoire Lecalot
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
  (La cale de l'Hermione, lors de sa construction © Association Hermione La Fayette)

La genèse d'une folie

"Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait ". Avril 2014, arsenal de Rochefort. Dans une petite salle à quelques pas de l'Hermione, le commandant Yann Cariou accueille des matelots volontaires pour leur stage de formation initiale. La constitution de l'équipage est en quelque sorte la dernière grande étape de la construction. Avec un fin sourire aux lèvres, le commandant évoque la véritable épopée que fut la construction de la frégate, dont les trois mats qui s'élancent vers le ciel bleu sont visibles par les fenêtres.

C'est cet arsenal qui a construit la première Hermione, réalisée en six mois en 1779. C'est de sa renaissance - partielle tout de même - que sortira la seconde. Ceux qui "ne savaient pas c'était impossible ", ce sont d'abord les édiles de Rochefort. En ce début des années 90, la corderie royale vient de se relever des ruines de la Seconde Guerre mondiale. Son succès public donne des idées : poursuivre la rénovation de son ancien arsenal, quasi-unique en Europe, définitivement fermé en 1926. Une partie importante des installations est encore là, sous la vase de la Charente et les herbes folles. Que faire pour que l'arsenal retrouve des échos de sa superbe ? Un bateau bien sûr.

Cette volonté d'aménagement rencontre le rêve d'un groupe de passionnés, emmenés par l'écrivain Erik Orsenna, qui a pris la direction de la corderie et du Centre international de la mer de Rochefort. Par Benedict Donnelly, fils d'un GI de 1944 et par le constructeur naval malouin Raymond Labbé, aujourd'hui décédé. Un rêve nimbé de goudron, de bois, de toile et de corde : reconstruire un de ces vaisseaux montés par centaines sur les bords de la Charente, à l'époque où la voile dominait les mers.

Modestes, ils abandonnent l'idée d'un vaisseau de 74 ou 100 canons et optent pour un des plus petits navires de la flotte de Louis XVI, une des plus performantes que la France eut jamais créé. Un des plus petits certes, mais un des plus rapides, des plus élégants, des plus évocateurs. Un de ceux qui firent les premiers tours du monde, qui véhiculent les légendes de corsaires ou de pirates qui hantent nos esprits d'enfants, un des plus appréciés des marins de l'époque aussi : une frégate.

Il fallait un bateau avec une histoire. Le choix se porta sur celui qui transporta La Fayette à travers l'Atlantique pendant la guerre d'Indépendance qui vit naître les Etats-Unis. Nous sommes en 1992. L'association Hermione-La Fayette vient de naître. Il faudra encore cinq ans pour voir s'assembler les premières pièces du bateau.

17 ans de chantier

Signée au salon nautique de Paris fin 1996, l'ouverture du chantier a lieu en 1997 à l'arsenal. Le bassin XVIIIème, dit forme double, a été désenvasé et il est couvert d'un immense barnum blanc. Pour construire un bateau, il faut commencer par des dessins. A l'échelle 1. Ceux de l'Hermione originelle ont disparu. Paradoxalement, c'est d'Angleterre que viendra le salut : en 1783, quand la Royal Navy s'est emparé de la frégate La Concorde, construite sur la même série que l'Hermione par l'ingénieur Chevillard aîné, la France ne pouvait pas savoir qu'elle s'en féliciterait deux siècles plus tard. Car les Britanniques ne se sont pas contentés de l'intégrer à leur flotte. Ils en ont aussi dressé les plans. Ce sont eux qui vont servir de base à la construction de l'Hermione.

Une fois les plans trouvés et le chantier en route, les constructeurs doivent se tourner vers la matière première du navire : le bois. Il a fallu trouver 1.160 mètres cubes de chêne pour achever l'Hermione.  Le meilleur bois de marine est facile à reconnaître dans les forêts : c'est un des arbres les plus laids. Le chêne brogneux, avec son tronc rugueux, noueux, était très apprécié dans la construction navale. C'est surtout dans les forêts de l'ouest de la France  et du Poitou que les bûcherons marquent les troncs d'arbres de l'ancre de l'Hermione. Certains viennent du parc de Versailles : la tempête de 1999 a déraciné les chênes du parc du château. Eux qui ont vu Louis XVI se promener près de leurs branches, partent pour Rochefort, reconstruire une frégate de sa flotte.

 

Dès l'été 1997, les scies et les coups de marteaux résonnent dans la grande cale de construction, où fut réalisée la première Hermione en 1778. Le 20 août, c'est l'émotion de voir s'élever les premiers éléments de l'Hermione : ceux de l'arrière. Une sorte de râtelier triangulaire appelé l'arcasse. Suit de très près la pose du premier couple, qui donne une idée de ses futures formes arrondies. Deux ans plus tard, le "squelette" du navire est complet.

 

Pour la durée de construction, l'association Hermione-La Fayette a vu large. Dix ans seront plus que suffisants pense-t-on à l'époque. N'a-t-il pas fallu six mois pour construire la première ? Avec une main d'œuvre autrement plus abondante et les moyens de l'Etat. Alors que les étapes de la construction se succèdent, les difficultés se font jour. D'abord, retrouver les savoir-faire exacts de l'époque, dont certains se sont perdus, n'a pas été simple. Et puis ce navire du XVIIIème siècle doit naviguer au XXIème pour commencer. Et les normes de navigation ne sont plus les mêmes.

 

Défi technique et humain

Pour que l'Hermione 2.0 prenne la mer, il faut qu'elle réponde aux critères actuels : motorisation, électricité, sanitaires, électronique de bord. Sa taille ne permet pas de dépasser 80 personnes à bord, alors que son ancêtre en embarquait près de 300 sans sourciller. Avec un équipage réduit, plus question de se passer de météo par satellite. Il faut anticiper, "naviguer sur l'avant ", explique Yann Cariou. La sécurité aussi : au XVIIIème siècle, perdre des marins, par chutes ou de maladie était chose courante. Pas question d'en faire une variable d'ajustement aujourd'hui. Il faut nourrir correctement cet équipage, et donc installer une cuisine moderne, le conserver dans un état sanitaire satisfaisant : douches, infirmerie etc. Chaque point est un problème nouveau à résoudre. La lenteur du chantier va d'ailleurs elle-même générer une complication : certaines parties du navire, construites en premier, étaient menacées de se dessécher.

 

Toutes ces obligations, ces compromis avec la modernité, compliquent la construction. Ils alourdissent les coûts. Vers 2005, le chantier change de braquet. Un nouveau bureau d'études, mieux dimensionné à l'ampleur du projet, reprend les rênes. Le financement du chantier bénéficie d'un nouveau souffle grâce à l'engagement de la région Poitou-Charentes et du département de Charente-Maritime aux côtés de la ville de Rochefort. D'un coût de construction total de 26 millions d'euros, la frégate est financée à auteur de neuf millions et demi par son association mère, grâce aux 4,5 millions de visiteurs qui sont venus voir le navire durant les 17 années de chantier. Le reste vient des collectivités locales. A cela il faut ajouter les cinq millions d'euros de la traversée et des essais en mer, le "neuvage" en terme maritime. La Fondation Hermione en a amené 60%, grâce aux dons de particuliers et au soutien de mécènes. Particularité de ce projet sur deux rivages de l'Atlantique, les Américains ont aussi puissamment participé au financement, grâce à la fondation Friends of Hermione-La Fayette in America. Leur cote-part était de deux millions de dollars. Un geste exceptionnel aux Etats-Unis pour un navire français. L'effet La Fayette est toujours puissant outre-Atlantique.

 

Il faut aussi des moteurs bien particuliers. Les forçats de l'arsenal ne sont plus là pour tirer le navire hors de la Charente et la Marine a retiré ses remorqueurs depuis longtemps de Rochefort. Ils auraient de toutes façons eu toutes les peines du monde à contrôler la frégate et son mât avant incliné (le beaupré), dans les méandres serrés de la rivière. Et il ne s'agit pas que de manœuvrer sur la Charente. Les moteurs sont obligatoires pour un bateau de cette taille. Mais l'association ne veut pas de moteurs classiques, dont les vibrations pourraient endommager les structures. Elle les veut aussi plus performants et permettant une meilleure maniabilité. Elle fera donc développer des "pods" orientables, comme sur les grands navires de croisière. Une entreprise française est choisie, qui confie la motorisation à une italienne. L'équipement est complexe et les relations avec les ingénieurs concepteurs difficiles. Quasiment jusqu'au départ du navire, la question va perturber le déroulement du programme de navigation. 

Bénévoles et "gabiers"

Autant de paramètres qui font de la reconstruction d'une frégate du XVIIIème siècle un véritable défi. Elle se poursuit pourtant, notamment grâce aux nombreux bénévoles qui donnent leur temps. Sans eux, l'Hermione aurait-elle existé ? Sans doute pas. Des entreprises sont certes intervenues régulièrement sur le chantier qui a abrité jusqu'à 60 emplois. Mais s'il n'avait fallu faire appel qu'à des services payants, le budget n'aurait pas suffi.

 

Le principe du bénévolat a également été très largement retenu pour les marins qui constituent l'équipage. Pour naviguer, l'Hermione besoin d'un minimum de 60 personnes, du fait de la complexité de son gréement. Et encore ce chiffre est-il peu recommandé. Pour des raisons de réglementation, elle ne peut dépasser 80 marins à bord d'un coup : Plus question de se permettre d'entasser des centaines d'hommes à bord. Fonctionner seulement avec des professionnels ne permettait pas un modèle économique viable. Ils ne sont qu'une vingtaine à bord, officiers, cuisiniers, maîtres et matelots responsables d'une partie de l'équipage. Il a donc fallu recruter des volontaires. Le commandant Yann Cariou s'est chargé de cette manœuvre. Lui qui peut se rappeler de chaque lettre de motivation produite par ceux qui allaient devenir l'équipage, a reçu près de 800 candidatures depuis l'appel de 2013. A la fin, ils sont environ 150 à figurer sur les trombinoscopes affichés à Rochefort ou sur une cloison du bateau. Surnommés les gabiers, du nom des matelots qui travaillent en hauteur, dans les mâts, à l'époque de la marine à voile, ils sont pour la plupart jeunes : 27 ans de moyenne d'âge. Et beaucoup ont très peu, voire aucune expérience de la mer. Un pari du commandant, qui estimait meilleur de faire appel à des novices. Pari réussi, à voir manœuvrer cet équipage, formé à coups de séjours sur le chantier pour apprendre les bases et comprendre le fonctionnement - complexe -de la "machine". Les navigations d'essais de l'automne dernier au large des côtes françaises ont achevé cet apprentissage pratique et définitivement soudé une petite communauté dont la bible s'appelle "le manuel du gabier". Une communauté consciente de vivre en commun une expérience humaine et technique unique.

Avenir encore flou

Cette longue séquence fut ponctuée de fêtes, comme la mise à l'eau de la coque en 2012, la pose des voiles et des canons en 2014, la première sortie à la mer pour les essais le 7 septembre dernier ou encore l'escale de Bordeaux et ses dizaines de milliers de curieux. Il en ressort un navire qui tient du miracle nautique, ne cessant d'étonner un équipage sous le charme et des admirateurs nombreux : fin voilier à la beauté envoûtante, défi technique qui su fédérer les énergies, recréation réussie d'un patrimoine perdu, valeurs de partage, de solidarité et d'ouverture d'esprit.

 

D'autres grands moments attendent l'Hermione sur les côtes américaines, notamment l'escale de New-York, très attendue, et le retour à Brest vers le 17 août. La frégate devrait rejoindre ensuite son berceau à Rochefort, malgré des difficultés techniques dues au port et l'envasement permanent provoqué par la Charente. Son avenir plus lointain se dessine sous la forme d'un point d'interrogation. Elle sera à Brest à nouveau en 2016. Mais après ? Un bateau musée ? Ses pères fondateurs rêvent déjà d'un voyage à l'île Maurice et en Inde, où l'ancienne Hermione a été mouiller sa quille. Au regard de la difficulté à financer les transatlantiques de 2015, le projet peut sembler utopique. Mais l'Hermione elle-même est la démonstration que le rêve de ne soulève pas seulement des montagnes. Il construit aussi des frégates. Et les fait naviguer.

REPORTAGE | L'Hermione de nouveau en mer
 

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