Dépassement de soi, inventivité et technologie : l'exposition "Histoires paralympiques" relate l'épopée d'un mouvement sportif et militant au Panthéon, à Paris

La Seconde Guerre mondiale et son lot de blessés vont contribuer à l'émergence du paralympisme, devenu une vitrine pour l'inclusion sociale.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
L'exposition "Histoires paralympiques" au Panthéon, à Paris, est à découvrir jusqu'au 29 septembre 2024. (DIDIER PLOWY / CMN)

Comment un protocole de soin se transforme en expérience sportive de très haut niveau ? L'exposition Histoires paralympiques : de l'intégration sportive à l'inclusion sociale répond à la question en revenant sur sept décennies de paralympisme au Panthéon, à Paris, jusqu'au 29 septembre 2024.

Photographies, matériels sportifs et documents audiovisuels alimentent ce récit mondial et français qui s'étend de 1948 à 2024. Il démarre d'emblée avec un rappel. Pour les personnes en situation de handicap, soit 15% de la population mondiale aujourd'hui, le sport a toujours été une évidence. "La course des jambes de bois" à Nogent-sur-Marne ou "La course des mutilés" à Longchamp en sont autant de traces en France, au début du XXe siècle. Même si ce type de compétitions relève alors du phénomène de foire.

En écho aux Jeux olympiques

Il faudra attendre 1948 pour que cette envie de sport prenne forme dans un cadre plus formel et donne lieu à un mouvement plus militant : le paralympisme. À l'hôpital de Stoke Mandeville, près de Londres au Royaume-Uni, le Dr Ludwig Guttmann organise une épreuve de tir à l'arc le jour de l'ouverture des JO à Londres : quatorze hommes et deux femmes y prennent part. Le neurochirurgien a misé sur le sport comme moyen de rééducation des personnes paralysées suite à une blessure à la colonne vertébrale. La jeune Amicale sportive des mutilés de France (ASMF), association créée par d'anciens résistants et soldats amputés pendant la Seconde Guerre mondiale, participe à cette compétition en 1955.

L'objectif des "Jeux de Stoke" : "Unir les femmes et les hommes paralysés des quatre coins du monde au sein d'un mouvement sportif international" tout en donnant l'espoir à "des milliers de personnes paralysées". La compétition quitte bientôt l'hôpital pour servir davantage ses ambitions. Elle déménage en Italie en 1960, où se déroulent les JO. Les premiers Jeux paralympiques naissent ainsi à Rome : 8 disciplines, 17 nations et 209 athlètes sont réunis. Tous les quatre ans, ils seront organisés dans la foulée des Jeux olympiques.

Des membres de la délégation française ayant participé aux Jeux paralympiques de Tokyo en 1964. (COLLECTIONS MUSEE NATIONAL DU SPORT)

D'abord réservés aux personnes en fauteuil roulant, les Jeux s'élargissent à celles qui sont amputées, aveugles ou malvoyantes au fil des rendez-vous sportifs dans le monde. "Ce mouvement invente et démultiplie les épreuves au fur et à mesure de l'intégration de déficiences diverses" avec des pratiques liées à l'enceinte hospitalière comme le tir à l'arc et escrime, explique l'universitaire Sylvain Ferez, l'un des commissaires de l'exposition. "Puis, dans les centres de rééducation, les personnes blessées à la colonne vertébrale ont pratiqué la natation et d'autres sports".

Le mouvement est devenu plus complexe avec l'agrégation de personnes ayant d'autres types de déficiences. Exemples "avec le cécifoot et le goalball, équivalents du foot et du handball, qui impliquent des collaborations entre des non-voyants et des voyants, ainsi qu'un matériel adapté".

Un mouvement dynamique et pluriel

Cette pluralité est le résultat de la création du Comité international paralympique (IPC) en 1989. Une étape cruciale dans l'histoire du paralympisme puisque l'IPC fédère les organisations "représentant des sportifs avec différents types de déficience ou capacité" comme la déficience intellectuelle et la surdité. Même si le processus n'est pas aisé. Le Comité international des sports silencieux (CISS) se retire de l'IPC en 1995. Les athlètes sourds n'ont donc jamais participé aux Jeux paralympiques.

En outre, le scandale de l'équipe espagnole de basket-ball aux Jeux de Sidney, en 2020, a ralenti la reconnaissance de la déficience mentale. Certains joueurs de l'équipe, qui a gagné la médaille d'or, avaient prétendu avoir une déficience mentale alors qu'il n'en était rien.

Prothèses présentées dans le cadre de l'exposition "Histoires paralympiques" au Panthéon, à Paris. (FG / FRANCEINFO)

Les années 1990 vont également drainer avec elles "de nouveaux imaginaires et de nouvelles figures paralympiques, tels le 'paralympien hybride technologique' ". La technologie joue un rôle clé dans le mouvement paralympique. L'évolution du fauteuil de course, par exemple, en atteste : taille et nombre de roues vont varier au nom de l'aérodynamisme. Dans le para-athlétisme, les sportifs amputés d'un ou des deux membres inférieurs utilisent des "prothèses à restitution d'énergie" appelées aussi "Flexfoot", prothèses "Cheetah" ou encore "lames de courses". Un dispositif technique qui permet d'avoir les mêmes performances que les valides. L'affaire Oscar Pistorius, bataille à la fois juridique et scientifique, illustre cette révolution. Avec des lames à la place de ses jambes amputées, l'athlète sud-africain obtient de concourir avec les valides aux JO de 2012.

Le paralympisme fait à la fois bouger les lignes sportives et sociales. "Jamais personne, il y a trente ans, n'aurait parié que des personnes avec déficience intellectuelle pourraient pratiquer, s'entraîner et être reconnues comme athlètes de haut niveau. C'est remarquable par rapport à l'histoire du traitement social de la déficience intellectuelle", souligne Anne Marcellini, commissaire de l'exposition.

"Rencontrer les superhumains"

Dans l'univers paralympique, l'innovation est aussi lexicale. "La formule 'personne ayant des in/capacités' commence à être utilisée à partir des années 1980 pour désigner le fait qu'une "déficience", c'est-à-dire une atteinte physique, sensorielle ou intellectuelle, peut générer des limitations de capacité dans un domaine d'activité donné, sans affecter l'ensemble des autres capacités de la personne", explique-t-on. "Il faut arrêter de voir le handicap comme une perte de capacité, mais plutôt comme une occasion de fonctionner différemment", plaide l'athlète française Marie-Amélie Le Fur, citée dans le journal de l'exposition.

Les mots illustrent également une philosophie : la classification des sportifs et l'aménagement des règles dans chaque discipline "sont pensés pour tenter d'annuler les désavantages entre les participants". Entre 2000 et 2012, "les systèmes de classification de ces sportifs 'autrement capables' se font toujours plus ingénieux. Au terme de cette décennie, le paralympisme retrouve le pays qui l'a créée, le Royaume-Uni, qui va jouer encore un rôle décisif comme en 1948.

Les épreuves de Londres "marquent un point de bascule vers une grande démonstration de l'inclusion et de la fierté". Ce tournant est incarné par le slogan du clip réalisé pour les Jeux paralympiques en 2012 : "Rencontrer les superhumains".

Parmi ceux à suivre à Paris, la judokate française malvoyante Sandrine Martinet et la superstar italienne de l'escrime fauteuil Beatrice Vio. Sur la liste figurent la pongiste australienne Yan Qian et son collègue égyptien Ibrahim Hamadtou, amputé des deux bras. Tout comme le Suisse Marcel Hug, alias "Swiss Silver Bullet", et son exceptionnel fauteuil de course.

"L'esprit humain est capable de tout"

"Je trouve ça très chouette de connaître l'histoire du paralympisme", confie à Franceinfo Culture Brian Wickman, 48 ans, qui a découvert par hasard l'exposition en visitant le Panthéon. Le touriste américain séjourne régulièrement en France et maîtrise bien la langue. Il ne restera pas jusqu'aux Paralympiques, mais il les suivra. "C'est une inspiration, dit-il. Cela me permet de voir les différents types de handicap et la façon dont les athlètes se dépassent. Bien que je sois moi-même une personne en situation de handicap, je reste très impressionné par ce dépassement de soi. L'esprit humain est capable de tout", souligne l'amateur de natation et de ski.

Une passion que ce Bostonien partage avec le Français Philippe Berthe, ancien combattant de la 1e Armée du général de Lattre (1889-1952), à l'origine de l'Amicale sportive des mutilés de France. Le blessé de guerre pratiquait le ski sur son unique jambe. De quoi rappeler la mascotte paralympique de Paris 2024, qui arbore fièrement sa prothèse... et parfois son béret.

Dans la capitale française, le rêve des "Jeux de Stoke Mandeville" s'incarne de nouveau de façon étourdissante : les Jeux d'été réuniront 182 nations, 4 400 athlètes et 22 disciplines pour 549 épreuves paralympiques.

L'affiche de l'exposition "Histoires paralympiques" présentée au Panthéon, jusqu'au 29 septembre 2024. (CMN)

"Histoires paralympiques : de l'intégration sportive à l'inclusion sociale (1948-2024)", du 11 juin au 29 septembre au Panthéon
Des rencontres sont proposées au Panthéon autour de l'exposition le 20 juillet à 15h et le 28 septembre à 15h. Les visiteurs pourront également profiter de visites commentées par les commissaires le 30 août 2024, à 11h, ainsi que les 11 et 18 septembre 2024 à 11h.

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