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Disputes, absinthe et film avec Leonardo Di Caprio... L'incroyable histoire du pistolet qui a failli tuer Rimbaud

Achetée par Paul Verlaine, l'arme, égarée pendant plus d'un siècle et réapparue par hasard en 2004, a été vendue aux enchères, mercredi, à Paris.

Article rédigé par franceinfo - Alice Maruani
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le pistolet qui a failli tuer Rimbaud, visible aux Beaux-Arts de Mons (Belgique), le 27 octobre 2015, dans une exposition consacrée à Paul Verlaine.  (EMMANUEL DUNAND / AFP)

Ceci n’est pas un simple pistolet. C'est un objet littéraire. L'arme qui a failli tuer Arthur Rimbaud a été vendue aux enchères, chez Christie's, à Paris, mercredi 30 novembre, pour 434 500 euros, frais inclus. Sa valeur était estimée entre 50 000 et 70 000 euros. Le parcours de ce Lefaucheux 7 mm est digne d’un scénario hollywoodien, avec du sang, de la passion, du suspense et même Leonardo DiCaprio en guest star. Franceinfo vous raconte ce son histoire.

Tout commence le 10 juillet 1873. Paul Verlaine a des envies de suicide, Arthur Rimbaud parle de s'engager dans l'armée. Après une violente dispute, Verlaine, ivre d'absinthe et agité, tire sur son amant, manquant de le tuer. Lorsqu'il le met en joue, il lui crie, d'après la déposition de Rimbaud à la police belge : "Voilà pour toi, puisque tu pars." L’auteur du Bateau ivre, qui vient de le rejoindre à Bruxelles, avait menacé de le quitter.

Des amours maudits

Deux balles partent et Rimbaud est blessé au poignet. Verlaine, lui, est arrêté. L’épisode met surtout fin à l'une des relations les plus célèbres de la littérature française, commencée deux ans plus tôt. D'abord bluffé par les poèmes de l’adolescent d’alors 16 ans, Verlaine, écrivain de dix ans son ainé, en tombe amoureux. Il finit par quitter sa femme Mathilde Mauté et part s’exiler à Londres avec son amant. Mais au bout de six mois dans la capitale britannique, leur passion tourne court. Il faut dire que les deux poètes maudits ne cessent de se battre, et boivent beaucoup.

Nous avons des amours de tigres...

Verlaine

dans ses correspondances

La "pédérastie" au cœur du procès

Face à ces amours tumultueux, Verlaine cherche à renouer avec son épouse. Le poète a écrit à Rimbaud qu'il pense se "brûler la gueule" si celle-ci ne revient pas dans les trois jours et conclut : "Enfin ! Veux-tu que je t’embrasse en crevant ?" Verlaine est parti pour Bruxelles, où son jeune amant a fini par le rejoindre. Le matin même de leur énième dispute, il achète l'arme du forfait avec une boîte de 50 cartouches. Pour servir ses idées de suicide ou pour perpétrer un crime prémédité ?

L'histoire finit devant la justice. Au terme du fameux procès, l’auteur des Poèmes saturniens est condamné à deux ans de prison – une lourde peine pour une blessure superficielle, d'autant plus que Rimbaud a retiré sa plainte. Mais aggravée par leur homosexualité, à l’époque hors-la-loi, que les juges documentent en faisant subir à Verlaine des examens "corporels" humiliants à la recherche de "traces de pédérastie" – autrement dit, de sodomie.

Du fond de sa geôle, à Bruxelles puis à Mons, Verlaine écrira son recueil Cellulairement. Parallèlement, Rimbaud, retourné à Roche dans la ferme familiale, rédigera dans une grande solitude son célèbre recueil de poèmes en prose, Une saison en enfer, titre qui fait référence à cette période de crise.

En 2004, un coup de fil inespéré

L’objet du crime lui-même va connaître une histoire pleine de rebondissements. Après le procès de Bruxelles, les spécialistes perdent sa trace pendant plus d'un siècle, jusqu'en 2004. Cette année-là, une grande exposition est organisée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, à l'occasion des 150 ans de la naissance du poète de Charleville. Malgré des recherches acharnées, Bernard Bousmanne, le conservateur, n’a pas réussi à retrouver l’objet.

C'était sans compter un drôle de coup de fil. Un certain Jacques Ruth affirme : "J'ai une pièce que je peux vous prêter pour l'exposition, le revolver", raconte-t-il à Libération. "J'ai cru à une plaisanterie, se souvient le conservateur et directeur de la Bibliothèque royale de Belgique, interrogé par L'Express. Mais tous les éléments correspondaient, le modèle, la date et le lieu de fabrication. Nous avons même demandé des expertises balistiques à l'Ecole royale militaire de Bruxelles. Elles ont été concluantes. On peut dire qu'il s'agit à 99% du revolver de Verlaine."

Le pouvoir d'une rediffusion à la télé

Bernard Bousmanne, qui a raconté "l'affaire de Bruxelles" dans son livre biographique Reviens, reviens, cher ami, a retracé l'histoire du fameux pistolet. Acheté par Verlaine à l’armurerie Montigny, il est rendu à la boutique après le procès et entreposé dans un coin – les greffes de Bruxelles, délabrées, ne gardaient pas à l’époque les pièces à conviction. Le commerce est vendu deux fois, avant d’être liquidé en 1981 par son propriétaire, M. Chaudron.

Pour remercier Jacques Ruth, son ami huissier de justice, de son aide, ce dernier veut lui donner une collection de timbres. Il refuse, rapporte Bousmanne cité par Libération, estimant que le cadeau a trop de valeur, mais accepte le pistolet poussiéreux que Chaudron lui tend en disant : "Tiens, toi qui collectionnes les armes, prends au moins ce revolver. Tu sais, c'est l'histoire de ces deux poètes français, Verlaine qui a tiré et blessé l'autre, Rimbaud."

Jacques Ruth n’a alors pas conscience de la valeur de l’objet. C’est presque 25 ans plus tard, en regardant à la télévision une rediffusion de Total Eclipse, le film où Leonardo DiCaprio joue Rimbaud, qu’il se rend compte du morceau d’histoire littéraire qu'il a entre les mains. On connaît la suite : le revolver, certifié par les expertises, est prêté par Jacques Ruth à plusieurs musées, avant d'être mis en vente. Charleville-Mezières, ville natale de Rimbaud, espérait racheter le fameux pistolet. La mairie avait lancé une souscription publique pour exposer dans son musée "l’arme la plus célèbre de notre littérature". Mais qui a fini par acheter l'objet ? Christie's a simplement indiqué que l'acheteur avait enchéri au téléphone.

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