Dysfonctionnements du pass Culture : le gouvernement éteint un début d’incendie
Près de dix mois après son lancement, le pass Culture est sous le feu des critiques : l'un des responsables de sa mise en place a démissionné et un autre a vu sa rémunération réduite.
Ce matin, deux dirigeants de la société pass Culture, chargés de mettre en place cette application à destination des jeunes, étaient auditionnés par la Commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Pendant deux heures, Isabelle Giordano et Damien Cuier, respectivement présidente du comité stratégique, et président de la SAS pass Culture ont répondu aux députés. L’opposition les interrogeait sur l’utilité d’un tel dispositif, et sur les salaires démesurés de certains responsables. L'un de ses responsables a démissioné, un autre a vu son salaire largement réduit.
Un dispositif coûteux
Le pass Culture, c’est cette application à destination des jeunes de 18 ans qui leur offre, sur le même principe que les chèques-cadeaux, 500 euros à dépenser à leur guise en biens culturels. Depuis dix mois, il est expérimenté dans 14 départements et concerne 150 000 jeunes. A terme, il pourrait coûter 400 millions d’euros par an, s’il était généralisé: une part non négligeable du budget consacré à l’éducation culturelle et artistique en France.
Hanane Zayad vient de Clichy-sous-Bois, en banlieue parisienne. Elle est étudiante en première année de licence AES (administration économique et sociale). Ce soir-là, avant de rentrer chez elle, la jeune étudiante fait un détour par la petite librairie de quartier de Pavillons-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, pour retirer un livre qu'elle a réservé en ligne. La librairie Folies d'encre, qui participe au pass Culture, propose en effet sur le site des livres, BD, mangas... à l'achat. Hanane est l’une des premières en Seine-Saint-Denis à avoir téléchargé l’application sur son téléphone, et en dix mois, elle a dépensé plus de 230 euros, "surtout des livres", explique-t-elle : "Avant le pass Culture, je ne lisais pas. Depuis, j’ai acheté des romans, des places de concert, principalement." Sonia Sabiano, la libraire, le concède : "Nous ne sommes pas beaucoup dans le coin à participer au pass Culture, alors depuis que l’application a été mise en place, on voit beaucoup plus de jeunes pousser la porte et venir acheter des mangas, ou des romans…"
Un pass sous-utilisé
Les livres, c’est ce qui vient loin devant les concerts, et la musique en ligne, dans les achats… Mais le problème, c’est que depuis 9 mois, les jeunes n’ont en moyenne dépensé que 100 euros avec le pass Culture, sur les 500 euros dont ils disposent. Pour Nicolas Dubourg, représentant du SYNDEAC, le syndicat des entreprises culturelles et artistiques, et directeur du théâtre de la Vignette à Montpellier, le produit pass Culture en lui-même n’est pas concluant : "On offre 500 euros à dépenser, mais sur certains territoires, il n’y a tout simplement pas d’offre culturelle - pas de cinéma, pas de théâtre, plus de librairie, alors l’argent n’est même pas utilisé par certains jeunes." Le taux d’activation du pass Culture est en effet de 52% seulement. "Il s’agit d’une montée en puissance", indique Franck Riester, ministre de la Culture, "il faut laisser à l’outil le temps de se mettre en place, et aux acteurs le temps de communiquer. D’ici à fin décembre, entre 15 et 20 millions d'euros auront été dépensés, je vous l'assure." A la fin du mois d’Octobre, un million seulement avait été engagé.
En 2020, l'arrêt ou l'élargissement du pass
Autre souci : l’absence de financements privés, alors que le pass devait au départ être financé à 80% par le secteur privé. Une société de consultants, la SAS Garandeau, avait d’ailleurs été mandatée précisément pour trouver des partenariats. Face à son échec, et au coût (plus de 650 000 euros en 9 mois), le ministère a mis fin à sa collaboration.
Le salaire du président de la société pass Culture, une "start up d’Etat" chargée de mettre en place l’application, les algorithmes, et d’assurer une bonne communication auprès des jeunes, faisait lui aussi polémique. Damien Cuier, a ainsi vu sa rémunération baisser, à 10 000 euros bruts mensuels, nous indique le ministre.
Quand au pass Culture lui-même, Franck Riester se veut prudent : "Il y aura un bilan fait en 2020, sur cette première expérimentation. Et nous verrons à ce moment-là si l’objectif louable de proposer un accès aux jeunes aux offres culturelles grâce à une application géolocalisée est une bonne idée, ou pas."
En attendant, près de 50 millions sont prévus dans le projet de loi de finances pour 2020 pour le budget du pass Culture, loin devant les autres postes de dépense pour l'éducation artistique et culturelle des jeunes Français.
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