Festival Off d'Avignon : le Hall de la chanson se délocalise avec deux hommages passionnants à Anne Sylvestre et Georges Brassens

Pour la deuxième année de suite, l'institution parisienne dédiée à la chanson française présente deux de ses productions à Avignon. "Les Eaux sauvages" et "Le Prof de Brassens" sont à l'affiche du "Off" en alternance au Théâtre de l'Arrache-Cœur. Olivier Hussenet, directeur adjoint du Hall et comédien-chanteur, nous les présente.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 9min
Olivier Hussenet (chant) et Vladimir Médail (guitare) dans le spectacle "Les Eaux sauvages" autour du répertoire d'Anne Sylvestre, au Hall de la chanson, à Paris. (HALL DE LA CHANSON)

Deux auteurs, compositeurs et interprètes de génie sont à l'honneur des deux productions délocalisées cet été, et jouées en alternance entre le 3 et le 12 juillet 2024, par le Hall de la chanson au Festival Off d'Avignon : Anne Sylvestre et Georges Brassens. La première est célébrée par le biais de son répertoire "hydrophile" dans la production Les Eaux sauvages (du 3 au 11 juillet, les jours impairs). Le second est évoqué au travers de sa rencontre avec le professeur de français qui bouleversa sa vie, dans Le Prof de Brassens (du 4 au 12 juillet, les jours pairs). Les représentations ont lieu au Théâtre de l'Arrache-Cœur.

Directeur adjoint du Hall de la chanson, Olivier Hussenet est à la fois à l'affiche (avec un guitariste) et à la conception de ces spectacles. Metteur en scène, chanteur et flûtiste pour Les Eaux sauvages (créé en 2017) avec Vladimir Médail à la guitare et aux arrangements. Auteur, co-concepteur et co-metteur en scène (avec Serge Hureau) pour Le Prof de Brassens (créé en 2021) cette fois avec Alban Losseroy aux guitares et aux arrangements. Deux spectacles de théâtre musical aussi délicats que riches d'enseignements, et qui permettent de redécouvrir deux artistes cultes sous un autre angle. Olivier Hussenet répond aux questions de Franceinfo Culture.

Alban Losseroy (Brassens) et Olivier Hussenet (Bonnafé) dans "Le Prof de Brassens", au Hall de la chanson (octobre 2021). (HALL DE LA CHANSON)

Franceinfo Culture : Pour la deuxième année, vous vous délocalisez à Avignon avec deux spectacles. Pourquoi deux, et pourquoi ces créations consacrées à Anne Sylvestre et Georges Brassens ?
Olivier Hussenet : Étant donné qu'on a un gros catalogue de créations qui s'enrichit chaque année, on a du mal à ne voyager qu'avec une seule proposition, ce serait trahir le foisonnement de notre activité. Quant au choix de présenter Les Eaux sauvages et Le Prof de Brassens, il est dicté, d'une part, par un paramètre logistique, presque économique. Dans le cadre budgétaire restreint qui est le nôtre actuellement, on a cherché deux propositions qui ne nous coûteraient pas trop cher, deux spectacles légers. À Avignon, on souhaite bien sûr toucher le public, mais aussi les programmateurs, les professionnels qui vont peut-être donner un avenir à ces spectacles. C'est bien, aussi, d'arriver avec des propositions avec deux artistes par scène et un seul technicien pour la régie lumière – puisqu'il n'y a pas de sonorisation pour ces deux spectacles. Et le fait d'avoir le chanteur en commun rendait les choses encore plus simples.

Avez-vous eu d'autres critères en tête en associant Georges Brassens et Anne Sylvestre ? Effectivement. Ce sont deux spectacles qui représentent bien notre démarche. Et ils sont en congruence l'un avec l'autre, puisqu'ils évoquent deux personnalités qui émergent à peu près en même temps, à quelques années d'écart. D'ailleurs, on a souvent comparé ces artistes, ce qui rendait Anne Sylvestre un peu furieuse, et elle avait raison. Un journaliste indélicat l'avait appelée "la Brassens en jupon", ce qui n'est jamais très agréable... Toutefois, ils ont des points communs, comme celui d'user d'une écriture très fine. Ce sont des gens qui travaillaient énormément leurs œuvres. Brassens, dans un style un peu archaïsant dès ses débuts – il écrivait des chansons classiques dans les années 1950 et 1960 –, Anne Sylvestre dans un style plus moderne. Mais tous deux avaient une plume très littéraire et un sens de la mélodie très singulier, qui leur était vraiment propre à l'un et à l'autre. Leurs mélodies n'étaient pas simples, c'est aussi pour ça qu'on peut les rapprocher. Enfin, c'est deux spectacles avec guitare, dans deux versants, chacun des instrumentistes apportant son propre univers : l'un plus rock dans Le Prof de Brassens, l'autre plus jazz avec Les Eaux sauvages.

Pour Les Eaux sauvages, vous avez puisé dans le répertoire d'Anne Sylvestre des chansons autour de la thématique de l'eau...
Oui. C'est un angle peu inhabituel dans la mesure où ce n'est pas forcément ce à quoi on pense aujourd'hui quand on évoque l'œuvre d'Anne Sylvestre. Son destin actuel, c'est d'être éclairée par le versant féministe : point de vue des femmes, parole de femmes... D'ailleurs, la thématique de l'eau croise beaucoup celle des femmes. C'est une sorte d'obsession, mais elle n'est pas la seule. Beaucoup de thématiques traversent son œuvre, et même d'éléments : Anne Sylvestre est très en prise avec la nature, apparemment depuis toujours. Quand elle évoque l'eau, elle évoque aussi son enfance, ou l'enfance en général. Patauger dans les rivières, lancer des cailloux, c'est vraiment des gestes de l'enfant. Mais Anne Sylvestre a aussi une histoire d'amour avec le vent, au sens propre du terme. Elle parle du vent comme d'un amoureux de l'enfance... Elle a aussi un rapport à la terre qui est très fort. Tout cela est un peu mêlé dans ses chansons. La thématique de l'eau est tellement récurrente, elle prend des formes si différentes, que ça s'est imposé à moi sans que je réfléchisse, de façon souterraine. À partir de ce moment, j'ai réussi à tracer un lien entre plusieurs chansons très différentes, qui tisse – je l'espère – un parcours assez cohérent, et qui permet d'éclairer plein d'aspects de son œuvre. C'est une entrée dans son œuvre un peu transversale.

Avez-vous été tenté de glisser des Fabulettes, les chansons qu'Anne Sylvestre écrivait pour les enfants, dans ce spectacle ?
Non, on n'est pas allé de ce côté-là. On a respecté l'interdit qu'elle avait énoncé, car elle ne voulait pas que les Fabulettes soient représentées en scène. Pour elle, c'était une aventure discographique, pas du tout scénique. Je le respecte strictement. La seule chose, c'est qu'on évoque une Fabulette qui parle de l'eau, comme une sorte d'ouverture musicale en quelques secondes. Ce thème traverse son œuvre, de l'enfance jusqu'à l'âge adulte. Chez Anne Sylvestre, l'eau incarne même une métaphore de la vie humaine, notamment dans la chanson qui s'appelle Pour aller retrouver ma source. Pour elle, le parcours de la vie part de la source vers l'estuaire. Mais pour moi, cette histoire de l'eau possède aussi un rapport à l'inconscient et à l'inspiration poétique.

Je crois me souvenir qu'Anne Sylvestre, que vous avez bien connue et avec qui vous avez eu l'occasion de travailler, a eu le temps de voir Les Eaux sauvages...
Oui, elle a vu deux fois le spectacle, à un an d'intervalle. Elle l'avait beaucoup aimé, elle avait été très touchée. Je me souviens d'une de ses premières réflexions : "C'est fou. Ça tient aussi avec des hommes !" Elle en était étonnée, ravie, puisque ses chansons ont surtout été reprises par des femmes artistes, mais très rarement par des hommes.

En alternance, vous reprenez aussi Le Prof de Brassens, créé en 2021 pour le centenaire de la naissance du poète sétois, et que nous avions beaucoup aimé. Ce spectacle, qui raconte la relation entre le jeune Brassens et son professeur de français, a-t-il évolué depuis sa création ?
Le répertoire des chansons n'a pas changé, mais je réécris le texte au fil des représentations, donc je pense que la partie texte s'est un peu resserrée, notamment au début, et la première chanson arrive plus vite qu'avant. Rappelons qu'il s'agit d'une reconstitution des cours de français que Georges Brassens a suivis en 3e auprès de son professeur Alphonse Bonnafé.

Ces cours ont fait littéralement bifurquer Brassens, qui glissait dans la délinquance, vers une autre voie. Selon vous, dans ce spectacle, est-il plus question de transmission, ou bien d'une forme de rédemption par le savoir ?
C'est presque ça. Mais ce n'est pas une transmission simple, ce n'est pas un savoir qui se dépose. C'est plutôt la transmission d'un désir. Alphonse Bonnafé a absolument assoiffé Brassens en matière de poésie. Il lui a donné une soif inextinguible pour cet art. Il lui a ouvert ce continent. Brassens était vraiment un mauvais élève, il s'est peu cultivé en 3e. Il aimait quand même un peu lire, et le français était la seule matière qui lui parlait un peu... Bonnafé lui a vraiment ouvert ce désir. Donc, plus que du savoir, il s'agit d'une soif de savoir. C'est cette facette que possèdent les bons enseignants.

Le Hall de la chanson au Festival Off d'Avignon 2024
Les Eaux sauvages
(3-11 juillet, les jours impairs)
Le Prof de Brassens (4-12 juillet, les jours pairs).
Les représentations ont lieu au Théâtre de l'Arrache-Cœur.

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