: Reportage Le Festival d'Avignon n'a pas dormi de la nuit : JoeyStarr, Andréa Bescond ou la Comédie-Française ont investi le Palais des papes pour lutter contre l'extrême droite
Il est 00h30. La nuit s'est emparée du Palais des papes, et la foule est nombreuse à se rassembler sur le parvis. Ce n'est pas une fin de spectacle, mais le début d'un autre : celui d'une nuit blanche de solidarité contre l'extrême droite, à quelques jours du second tour des élections législatives. La cour d'honneur se remplit, Andréa Bescond, qui doit prendre la parole lors de cet événement, la découvre pour la première fois, impressionnée.
Le public a fait trembler les bancs et a scandé toute la nuit "Siamo tutti antifascisti" (nous sommes tous antifascistes). Ouverte à tous, La nuit d'Avignon, a été lancée par le directeur du Festival d'Avignon Tiago Rodrigues, en coopération avec la Ville d'Avignon et les collectivités territoriales pour "contrer l'inéluctabilité supposée de la victoire de l'extrême droite".
"La migration n'est pas un problème"
C'est le chorégraphe Boris Charmatz avec un t-shirt "No More Front Tears" (plus de larmes visibles) qui a ouvert cette nuit avec une danse révolutionnaire de 1922 puissante, sous les acclamations et les applaudissements du public. "Notre récit ce soir, c'est que la migration n'est pas un problème, parce que c'est vital et nécessaire. C'est vital en art, pour l'agriculture, dans l'industrie, partout. Oui, on a des gros problèmes de sécurité, de services publics, de culture de la démocratie, de climat, de biodiversité. Mais c'est dans les valeurs de la démocratie que nous trouverons des solutions ensemble sans chercher des boucs-émissaires", a déclaré Boris Charmatz.
"Il n'y a pas de culture de la démocratie sans démocratie de la culture. C'est toujours à ça que s'attaque en premier l'extrême droite. Faire taire les voix divergentes, réduire la liberté d'expression, bâillonner les médias. Nous, ensemble, en mouvement."
Boris Charmatzlors de La nuit d'Avignon
Au tour de la metteuse en scène Andréa Bescond de prendre la parole. Elle a tenu à apporter un message d'espoir avec humour en imitant Emmanuel Macron. "Un président qui est là en mode Narcisse au-dessus de la rivière en train de dire j'me kiff, j'me kiff. Ah ouais, vous me kiffez pas ? Tant pis, tout le monde à l'eau, vous coulerez", a-t-elle enchaîné en se déplaçant sur la scène de la cour d'honneur. "On nous fait croire que c'est fini, mais c'est pas fini, ça ne fait que commencer. Trente-deux députés du Nouveau Front Populaire ont été élus d'office !", a rappelé la metteuse en scène, précisant que la jeunesse avait voté en majorité pour la coalition de gauche.
Il est presque deux heures du matin. JoeyStarr prend le relais après des applaudissements moins enthousiastes que sa prédécesseuse. Pour rappel, le rappeur a été condamné en 2009 à trois mois de prison ferme pour avoir frappé son ex-femme. Il a tenu à lire un poème célébrant l'identité noire de Léon-Gontran Damas, issu du recueil Black-Label (1956).
Avec poigne, il a incarné comme un rap ce texte au fond antiraciste. "Il est dit que le Blanc aura toujours le Nègre à l'œil. Ceux qui permirent le déracinement de plus de 250 millions des leurs. Ceux qui ordonnèrent les razzias", a-t-il déclamé sous le vent nocturne.
"On a manqué de vigilance"
Tiago Rodrigues a remercié le public. "C'est une nuit d'union démocratique, de force, d'espoir et donc une nuit de barrage à l'extrême droite", a-t-il déclaré. La présidente du conseil d'administration du Festival d'Avignon a partagé un texte de Salman Rushdie, émue, et c'est la maire socialiste d'Avignon, Cécile Helle, qui a ensuite pris la parole. Elle a rappelé que le Festival d'Avignon était un "îlot de résistance et de rébellion" mais a aussi rappelé la responsabilité des politiques et du monde de la culture dans la montée de l'extrême droite. Elle a pointé l'importance de chercher des publics qui "revendiquent leur exclusion de la culture", par "rejet d'un élitisme parisien".
"On a manqué de vigilance. Prenons en compte le malaise social et le malaise de vie derrière ce vote de l'extrême-droite."
Cécile Helle, maire socialiste d'Avignonlors de La nuit d'Avignon
Les présidents du Festival Off d'Avignon ont aussi rappelé que le "monde entier nous regardait" et que ce festival était "l'épicentre mondial du spectacle vivant". "La culture, c'est ce qui fait un vivre ensemble, c'est ce qui fait un peuple. Elle n'appartient à personne, mais elle peut être capturée, confisquée, instrumentalisée et ça, c'est la France du Rassemblement national", a déclaré Laurent Domingos, l'un des coprésidents.
Le public l'a accompagné en tapant des mains en scandant "Et tout le monde déteste le RN", rejoint ensuite par le Syndeac et la CGT spectacle et une association antifasciste, accompagnés des salariés du Festival d'Avignon qui ont fait part de leurs inquiétudes. Ils ont aussi fustigé la vision de la culture "moyenâgeuse" du RN qui "décide ce qui est culture et ce qui ne l'est pas". Ils ont appelé les "citoyens à faire front uni dans les urnes et dans la rue". "No pasaràn !", a ensuite clamé le public en réponse.
"Je veux une gouine comme Présidente"
À trois heures du matin, c'est le groupe HK & Les Saltimbanks qui ont interprété devant une foule en délire On lâche rien pour remotiver les troupes, bien qu'une bonne partie du public, emporté par la fatigue, commence doucement à se diriger vers la sortie. L'association Rosmerta, lieu d'accueil phare à Avignon pour les mineurs isolés et les familles en exil, a pris la parole accompagnée d'un de leurs bénéficiaires, un immigré ivoirien. Les bénévoles ont dénoncé les conditions de traitements des services sociaux qui refusent d'accueillir ces mineurs isolés en détresse.
La metteuse en scène argentine Lola Arias est montée sur scène pour dénoncer la montée de l'extrême droite en France en expliquant que son pays l'avait déjà expérimenté. Les comédiennes de son spectacle Los días afuera, d'anciennes détenues en Argentine, sont montées sur scène pour danser et apporter de l'énergie au public.
La troupe de la Comédie-Française, présente sur le Festival d'Avignon pour le spectacle Hécube pas Hécube, a également pris la parole. L'un des comédiens a lu I Want a President (1992), le texte fort de l'artiste new-yorkaise Zoe Leonard sous l'ovation du public. "Je veux une gouine comme Présidente. Je veux qu'elle ait le sida, je veux que le Premier ministre soit une tapette qui n'a pas la sécu, qu'il ait grandi quelque part où le sol est tellement plein de déchets toxiques qu'il n'a aucune chance d'échapper à la leucémie. Je veux une présidente de la République qui a avorté à 16 ans".
C'est ensuite Alexis Michalik qui est monté sur scène à 4 heures du matin pour préciser que "le public présent était déjà convaincu" et que le nouveau combat se jouait sur la manière de faire de la culture. "Tout le monde devra s'engager", a-t-il déclaré. Les actrices Jeanne Balibar, Corinne Masiero ou la militante écologiste Camille Etienne ont ensuite pris le relais jusqu'à l'aube.
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