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BD : y a-t-il un effet Goncourt sur les ventes des albums primés à Angoulême ?

Ce n'est pas encore cette année que vous trouverez une énorme pile de l'album auréolé d'un Fauve d'or dans votre supermarché. Mais même si les acteurs du neuvième art restent encore peu connus dans l'Hexagone, remporter le prestigieux prix donne un petit coup de pouce à son auteur.

Article rédigé par Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le dessinateur Riad Sattouf, dont "L'Arabe du Futur" a été sacré Fauve d'or au festival d'Angoulême, le 1er février 2015. (JEAN-BAPTISTE QUENTIN / MAXPPP)

On estime, chez les éditeurs, qu'obtenir le prix Goncourt assure grosso modo 200 000 ventes supplémentaires à l'écrivain qui le reçoit. Un tel phénomène existe-t-il pour le plus prestigieux prix de la BD, le Fauve d'or, décerné au meilleur album de l'année écoulée lors du festival d'Angoulême ? Eléments de réponse avant la cérémonie de remise des prix, samedi 28 janvier.

Des ventes multipliées par deux ou trois

Si on a souvent comparé le Fauve d'or aux autres récompenses ultimes comme la Palme d'or à Cannes ou au prix Goncourt, on n'a qu'une idée assez vague de son impact en terme de ventes. D'abord parce que la ligne éditoriale du prix a souvent fluctué, entre le couronnement de best-sellers (L'Arabe du Futur ou Quai d'Orsay, qui ont décroché le prix après avoir été écoulés à des centaines de milliers d'exemplaires) et le coup de projecteur sur des ouvrages plus pointus (le manga NonNonBâ en 2007, ou Ici, de Richard McGuire en 2016, qui flirte avec l'art contemporain).

"Le Fauve d'or a surtout un effet multiplicateur sur les ventes, explique Thomas Ragon de chez Dargaud, qui a décroché la statuette pour Là où vont nos pères de l'Australien Shaun Tan en 2008. Ca va améliorer le sort d'un livre difficile, et exploiter tout le potentiel d'un ouvrage plus grand public. Ainsi, avec Là où vont nos pères, on en avait vendu 15 ou 20 000 en janvier, pour finir notre course un an plus tard à 50 000." Un coefficient multiplicateur de 2 à 3 ? C'est le chiffre retenu par plusieurs éditeurs, qui insistent sur le fait que la récompense va surtout aider un album qui a déjà commencé à marcher tout seul. Chez Delcourt, on explique avoir vendu 50 000 Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle avant son prix, en 2012, et 100 000 après. "En 2014, l'année où Come Prima (un road movie dans l'Italie des années 1970) a été primé, j'en avais vendu 10 avant qu'il reçoive le Fauve, et j'en ai à nouveau vendu 10 après", illustre un libraire spécialisé de région parisienne, qui sévit sur les réseaux sociaux sous le pseudo du Libraire se cache

Capitaliser sur un prix, ça s'apprend

"De nombreux éditeurs demandent à leurs commerciaux de venir avec eux à Angoulême pour préparer les paquets dès le dimanche soir, que les libraires les aient au plus vite", abonde Xavier Guilbert, rédacteur en chef du site spécialisé du9, qui avait tenté de quantifier l'effet d'un prix angoumoisin sur les ventes dans son bilan annuel en 2014. C'est en effet à ce moment-là que tout se joue. "On a deux mois pour forcer les ventes, estime François Capuron, directeur commercial chez Delcourt, un poids lourd du secteur. De fait, les classements Edistat montrent que les Fauve d'or s'inscrustent environ six semaines dans le top des ventes BD après le festival, avant de rétrograder. La fenêtre de tir est très limitée. "Le Goncourt revient toujours aux cinq ou six mêmes maisons, qui sont des machines de guerre, insiste François Capuron. Je me rappelle d'une petite maison d'édition québécoise qui avait été primée à Angoulême et qui n'avait pas la capacité (en terme de trésorerie notamment) de réimprimer rapidement" pour envoyer des albums dans toutes les libraires.

Pour certains, comme la petite structure Ça et Là, un prix à Angoulême peut faire la différence entre une mauvaise année et une édition réussie. "Prenez Tungstène, du Brésilien Marcello Quintanilha, explique Serge Ewenczyk. Une fois qu'il a obtenu le prix du Polar à Angoulême en 2016, on a doublé les ventes. A la fin de l'année, on était sur 11 000 exemplaires vendus, dont 6 000 sur l'année, alors que le livre est sorti en août 2015. Ce ne sont pas des chiffres délirants, mais pour une petite maison d'édition comme la nôtre, c'est significatif."

"Un formidable label", mais pas un raz-de-marée

Comment expliquer alors que le chaland ne découvre pas une pile du Fauve d'or, avec le bandeau "FAUVE D'OR 2017" en caractères blancs sur fond rouge dès le lendemain en pénétrant dans sa librairie ? "Je suis sidéré par le faible écho que lui donnent les libraires, peste Xavier Guilbert. Jamais la sélection n'est mise en avant !" Parole à la défense, avec notre libraire caché. "J'ai adoré Ici de McGuire, je pense même que c'est ce que j'ai lu de mieux en 2016, mais j'en ai vendu un en tout et pour tout. Le Fauve d'or, c'est un argument de vente supplémentaire, qui génère de la curiosité pendant une semaine. On a des précommandes avec les distributeurs au cas où leur album remporte le Fauve d'or, mais on ne va pas en prendre 40 non plus."

Snobés les prix d'Angoulême ? Ca dépend où. "Quand Marcello Quintanilha a reçu le Fauve du polar SNCF, il a dû répondre aux sollicitations de la presse brésilienne pendant 36 heures non-stop", se souvient Serge Ewenczyk. Le petit autocollant "Angoulême 2016" figure d'ailleurs sur les albums vendus au Brésil. "De la même façon, quand le gros éditeur américain Abrams a réédité Mon ami Dahmer, de Derf Backderf, qui s'est déjà vendu à 100 000 exemplaires outre-Atlantique, il a tenu à coller l'autocollant 'prix révélation 2014' sur la couverture. C'est comme si on éditait en DVD un film ouzbek sélectionné à Cannes en 1973, vous pouvez être sûr que ça figurera sur la jaquette. C'est un formidable label."

Le "ministère de la BD" sera toujours critiqué

Ce qui le différencie des prix décernés par des marchands (le prix Fnac, le prix du réseau spécialisé Canal BD, le prix Landerneau qui offre une exposition dans les magasins Leclerc), moins prestigieux, mais parfois plus lucratifs. "Le prix Fnac, c'est plus concret, je sais qu'ils vont m'en prendre 8 000 exemplaires et qu'ils en vendront au moins la moitié", remarque un acteur du secteur. "Il y a trop de prix, de toute façon, et beaucoup trop de prix symboliques", grommelle François Capuron.

Angoulême et ses prix payent aussi le fait d'être les seuls à réellement exister médiatiquement - "le ministère de la BD", estime un éditeur - concluant LA semaine où télés, radios, journaux et sites généralistes s'intéressent à la bande dessinée (en volume, trente fois moins d'articles que le festival de Cannes tout de même selon un calcul du site du9). "Les gens ne comprennent pas pourquoi ce n'est pas le dernier Astérix qui remporte le Fauve, regrette Xavier Guilbert, qui déplore la faible place accordée au neuvième art dans les médias, et le manque de culture BD en France. Quand un auteur remporte le Fauve d'or, on prépare des longues notices biographiques pour expliquer pourquoi il a eu le prix, alors que quand Tarantino est primé à Cannes, cela va de soi."

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