"Je songe à tout annuler" : dans l'Oise, le retour annoncé d'une fête honorant la "vertu des jeunes femmes" fait scandale
La fête de la Rosière, censée récompenser une jeune femme "vertueuse", pourrait être remise en place à Salency dès juin 2019. Mais l'annonce de ce retour programmé suscite une vive polémique.
Couronner une jeune femme de roses, tout en célébrant "ses vertus", sa bonté et sa jeunesse : tel est le programme de la fête de la Rosière, une tradition dont les origines remonteraient au Ve siècle, qui pourrait être de nouveau célébrée en juin 2019, après trente ans d'absence, dans la petite commune de Salency (Oise). Une information, relatée par Le Parisien, et confirmée à franceinfo par le maire de la ville et l'organisateur.
Bertrand Tribout, président de la Confrérie de Saint-Médard, une association locale "n’ayant aucun caractère religieux", se trouve être à l'origine de ce retour en force. "Cette fête a été initiée au Ve siècle par Saint Médard, originaire de Salency, explique-t-il à franceinfo. Il a décidé d’encourager la vertu sur ses terres, et donc de couronner, chaque année, une jeune femme que l’on jugeait 'parée de toutes les vertus'". Mais l'annonce de la fête, qui pourrait faire son retour le 2 juin prochain, ne fait pas l'unanimité.
Une fête "très charmante, champêtre et amusante"
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes, choqués par l'emploi du mot "vertu", ont ainsi dénoncé une atteinte aux droits des femmes. Sollicité sur ce point, Bertrand Tribout s’insurge. "Je ne vois pas pourquoi cela choquerait : la pureté des jeunes filles n’est pas répréhensible ! Ce n’est pas quelque chose de repoussant." Le président de la Confrérie de Saint-Médard défend sa tradition, argumentant qu’elle "honore une célébration historique", et qu’il n’est pas question de virginité, mais bien de "vertu".
On ne parle pas forcément de la pureté en tant que virginité, il n’y a pas de critère de ce point de vue-là. D’abord, comment pourrait-on, matériellement, mettre ce critère en avant ?
Bertrand Triboutà franceinfo
Pour lui, cette fête est avant tout "très charmante, champêtre et amusante". "Nous voulons plutôt célébrer la vraie probité de la jeune femme, le fait qu’elle soit gentille avec sa famille et ses proches, qu’elle soit prête à aider les autres", assure-t-il, en défendant cette tradition : "C’est ce qui fait la spécificité de notre village. Il serait dommage de ne pas la conserver."
Déjà des candidates pour devenir "Rosière"
D'ailleurs, Bertrand Tribout assure avoir déjà trouvé des jeunes femmes volontaires pour concourir à la prochaine fête de la Rosière. C'est le cas de Camille, 18 ans en septembre. "Ma mère a été la dernière 'Rosière', en 1987. Cela me tenait à cœur de participer à mon tour à cette célébration", explique-t-elle à franceinfo. "Ça lui a beaucoup apporté, comme le contact social avec les gens, leur regard bienveillant. Ils étaient là pour elle si elle avait des soucis…"
Pour Camille, la célébration est avant tout l'occasion de faire la fête "entre jeunes" ou de participer à un concours de dessin pour "créer l’affiche qui annoncera au village le couronnement de la nouvelle Rosière". Y voit-elle une référence à sa virginité ? "Pour moi, la vertu n’est pas forcément le fait d’être vierge. C’est simplement la volonté de faire le bien, et d’éloigner le mal", répond-elle, en ajoutant que les critères de sélection se sont assouplis depuis le Ve siècle.
La vertu, c’est aussi le fait de ne pas boire, ne pas fumer, ne pas se droguer. Aujourd’hui, la virginité n’est plus un critère pour devenir Rosière.
Camille, habitante de Salencyà franceinfo
Face à la polémique, le maire "songe à tout annuler"
Sa participation s'annonce toutefois compromise, tant les réactions des Salenciens et des internautes ont troublé le maire de la ville. "Cela fait deux jours que je ne dors plus", confie Hervé Deplanque, qui dit avoir reçu "des centaines de mails". "Je reçois des messages d’associations féministes, qui me partagent leur sentiment d’indignation."
L'édile (sans étiquette) avait pourtant donné son autorisation à l'organisation de cette fête qu'il qualifie de "rétrograde et sexiste". La municipalité avait même accepté de financer la célébration, à hauteur de 1 800 euros. "Nous nous étions engagés de loin pour subventionner la Confrérie de Saint-Médard, comme nous aurions pu subventionner n’importe quelle association", se justifie-t-il, expliquant désormais vouloir faire marche arrière.
Je songe même à tout annuler. Il faut que je discute de cela avec le sous-préfet.
Hervé Deplanque, maire (SE) de Salencyà franceinfo
"Ce qui me dérange, c’est que j’ai l’impression que l’image de ma commune est salie par cette fête. Je me doutais que cela ferait jaser, mais pas à ce point-là", affirme Hervé Deplanque. Selon lui, au moins 70% des habitants du village seraient "contre" la remise en place de la fête de la Rosière. "Je n’ai pas peur de la réaction des habitants si je finis par l’annuler, assure-t-il. En 1987, les mœurs n’étaient pas les mêmes. Aujourd’hui, à qui revient le droit d’estimer la pureté d’une jeune fille ou pas ?"
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