Festival d'Avignon 2023 : la puissance envoûtante de la danse urbaine règne grâce à "G.R.O.O.V.E" de Bintou Dembélé
Le public se rassemble sous le soleil écrasant d'Avignon en face du palais des Papes. Les danseurs de la chorégraphe Bintou Dembélé, figure phare de la scène hip-hop, sont éparpillés comme les gardiens d'un temple. La chanteuse camerounaise Celia Kameni fait résonner sa voix envoûtante en hommage à Nina Simone. Elle entraîne Bintou Dembélé dans une danse presque rituelle, tant la chorégraphe semble possédée par l'énergie spirituelle de Celia Kameni.
Des fumigènes orange, violets et jaunes s'activent. Une odeur de gaz s'empare de la cour. Les spectateurs curieux s'approchent pour se frayer un chemin. A l'extérieur, plus de billets, plus de rangs ou de places attitrées. Seuls les bruissements et les notes qui s'envolent depuis le micro de Celia Kameni remplissent l'espace. Bintou Dembélé se débat, semble souffrir sous le soleil, puis s'apaise. Le public peut se déplacer pour la seconde partie de G.R.O.O.V.E., présenté à Avignon jusqu'au lundi 10 juillet.
Trouver sa place
L'immense cortège de spectateurs suit Bintou Dembélé et Celia Kameni, majestueuse dans son vertugadin, ce jupon à cage. Une fois à l'Opéra Grand Avignon, le public est divisé en trois groupes qui vivront les prochaines parties du spectacle dans un ordre différent.
Le spectacle ressemble à un parcours de vie. Les danseurs passent par différents états qui forgent leur personnalité et leur histoire. Comme l'isolement. Une danseuse est enfermée dans une petite salle sombre de l'Opéra avec Celia Kameni qui l'accompagne avec sa voix douce. Essayant de se reconnecter avec son environnement, elle touche une matière invisible avec ses doigts, la malaxe. Elle lui échappe, puis essaye de la rattraper. La lumière du jour qui sort tout droit d'un miroir rompt la scène.
Prendre sa place
Le public s'enfonce dans les escaliers de l'Opéra et attend la suite du spectacle. Plusieurs spectateurs ne comprennent pas ce qu'il se passe : "On attend combien de temps ? Où doit-on aller ?" L'expérience est interactive. Elle suscite notre curiosité. Personne ne sait ce qu'il trouvera dans la prochaine salle. Le public finit par entrer dans un espace noir éclairé par des néons rouges et bleus.
Le bruit incessant d'appareils photo rend l'atmosphère oppressante. Qu'est-ce qu'on photographie ? Les spectateurs se baladent dans la grande salle, levant les yeux au ciel sans trop comprendre. Puis un attroupement de spectateurs se forme dans un coin. Un homme est au sol, inconscient. Les danseurs prennent son pouls. D'un air grave, ils le traînent à l'aide d'un harnais pour l'emmener vers une corde accrochée au plafond. Ils le suspendent comme un pendu. Deux hommes en gilets pare-balles dansent comme des boxeurs les poings levés. Ils miment les gestes de l'arrestation en mettant furtivement les mains derrière le dos.
Cultures racisées, cultures historiques
La dernière partie du spectacle rassemble tous les spectateurs devant trois courts-métrages. Le premier est un condensé d'histoire de la danse urbaine portée par les communautés racisées. Intitulé, Ceci n'est pas une performance, il est signé par Ana Pi, une chorégraphe brésilienne qui porte les différentes danses urbaines de son pays à travers le monde. On retrouve successivement les styles qui ont réinventé la pratique, portées par des luttes politiques et sociales. Le voguing devient une réponse à l'homophobie, le booty shake une réponse à la misogynie ou le hip-hop une réponse au racisme.
Des aspects contestataires importants pour Bintou Dembélé. "La première fois que j'ai vu du Krump, j'ai eu les larmes aux yeux. Il y a une incompréhension des institutions concernant nos cultures. Elles donnent un tout autre point de vue sur l'histoire pluriverselle", explique-t-elle dans un entretien réalisé en janvier pour le Festival d'Avignon. Le court-métrage d'un des danseurs, l'Indien Feroz Sahoulamide, intitulé Teru Kuthu, nous plonge dans l'univers du Dappan Kuthu, créée dans le sud de l'Inde par les minorités sociales.
Le final est le point culminant du spectacle de trois heures. Les danseurs laissent exploser leur talent et rendent hommage à la diversité de la danse urbaine. Krump, kuduro, popping, hip-hop, voguing, galala, dab, coupé décalé… La scène se transforme en immense célébration d'une énergie folle qui finit irrémédiablement par entraîner le public. Les danseurs s'encouragent, hurlent, tapent sur la scène. Ils laissent exprimer le feu qui les habite. Une incarnation de la puissance de réinvention des danses urbaines.
"G.R.O.O.V.E" de Bintou Dembélé
5 et 7 octobre 2023 : Les spectacles vivants, Centre Pompidou (Paris)
12, 13 et 14 octobre 2023 : Anthéa, Théâtre d’Antibes
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.