: Interview "On peut venir en baskets" : Tiago Rodrigues, le directeur du festival d’Avignon 2023, s’ouvre vers la jeunesse
Tiago Rodrigues est le premier artiste étranger à prendre la tête du festival d’Avignon. Le metteur en scène s’est fait connaître en France au Théâtre de la Bastille en 2014 avec sa pièce By Heart. Depuis il a multiplié les occupations du lieu avec des pièces atypiques comme Sopro, sur le métier de souffleur. Il a marqué le festival d’Avignon en 2015 avec son adaptation d’Antoine et Cléopâtre de Shakespeare. Tiago Rodrigues espère apporter un vent de renouveau pendant au moins quatre ans, en se tournant vers le premier public de l’avenir, la jeunesse.
Franceinfo : Quels étaient vos objectifs avec cette nouvelle programmation au festival d’Avignon 2023 ?
Tiago Rodrigues : Je veux que cette 77e édition soit à la hauteur de cette fête pleine de liberté artistique et de rencontres avec les arts vivants en renforçant l'accès aux propositions artistiques internationales et françaises. Je veux que le public ait une expérience joyeuse et jubilatoire. Je veux aussi, comme c'est habituel au festival d'Avignon, interpeller le monde, parler des grandes questions de notre temps en rendant cette fête civique.
Comment espérez-vous en faire une fête civique ?
D’abord à travers les artistes. Le festival d'Avignon est un festival de création, cela veut dire que dans les 44 spectacles que nous présentons, 33 sont des créations. Au moment de l’annonce au public, ils étaient encore en construction. C’est important d'être à côté des artistes, de leurs idées et leur imaginaire, au moment où ils ont le plus besoin d'être accompagnés. Cette parenthèse enchantée du mois de juillet à Avignon est un lieu d’invention partagé avec le plus grand nombre et un public divers. Cela veut aussi dire savoir construire les ponts qui rendent l'accès plus facile à cette invention qu'on propose au public.
On peut justement vous faire le reproche d'avoir une programmation peu tournée vers le grand public, en avez-vous conscience ?
Non, parce que ça ne correspond pas à la vérité. On ouvre le festival par exemple avec Bintou Dembélé, une grande chorégraphe qui mélange les danses urbaines avec de la musique érudite. C’est une porte d'entrée symbolique dans le festival pour continuer à défendre une exigence artistique complètement compatible avec le grand public. Le festival d'Avignon propose des arts vivants d'aujourd'hui et ils sont pour toutes et tous.
On propose une énorme pluralité de spectacles et de visions esthétiques. On ne va pas toujours rencontrer celles qui nous plaisent, mais certaines sont accessibles et très populaires. Cela ne veut pas dire qu'elles sont moins exigeantes que d'autres propositions peut-être plus risquées. Il n'y a pas d'innovation et d'avenir sans ce risque.
Les grands noms d'aujourd'hui ont évolué parce qu'il y a eu des festivals comme Avignon qui ont pris le risque de les accompagner quand ils n'étaient pas encore reconnus. Cette année il y a de grands retours comme Mathilde Monnier ou Anne Teresa De Keersmaeker, deux chorégraphes légendaires de la danse contemporaine européenne, ou Julien Gosselin et Philippe Quesne, des habitués qui ont déjà marqué le festival d'Avignon par le passé. Les trois quarts des artistes viennent pour la première fois. Jean Vilar disait dans les années 60, si le festival d'Avignon n'est pas un tremplin pour l'avenir, alors il ne sert à rien.
Le festival d’Avignon n’est pas populaire auprès des jeunes. Beaucoup d’entre eux ne savent même pas de quoi il s’agit. Comment voulez-vous ouvrir davantage le festival et casser son image parfois élitiste et intellectuelle ?
Nous avons créé un projet qui s'appelle “Première fois”. 5000 jeunes seront au festival d'Avignon cet été. Ils ont entre 13 et 19 ans et viennent de partout en France. Beaucoup d'entre eux habitent les quartiers limitrophes et n'ont jamais vécu l'expérience du festival. C’est un moment important où les jeunes sont en âge de forger leurs habitudes culturelles. L'année dernière 15% du public était venu pour la première fois, dont un tiers de moins de 30 ans. La proximité entre la jeunesse et les arts vivants doit avoir lieu partout dans le monde, pas seulement en France.
Historiquement le Festival d’Avignon travaille avec des milliers de jeunes des Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation actives (Ceméa). On a engagé une nouvelle équipe de médiation culturelle avec des jeunes qui partagent des préoccupations qui ne nous traverseraient pas l’esprit. Puis-je rentrer en basket au Palais des Papes pour voir un spectacle dans la Cour d'honneur ? C'est en réfléchissant à ces questions-là qu'on accompagne au mieux ceux qui viennent pour la première fois. Le but est que ça ne devienne pas une expérience où l’on a peur de ne pas avoir les codes ou de ne pas se sentir à sa place.
Il faut l'affirmer avec des mesures concrètes. Par exemple, nous avons créé avec le collectif Making Waves, une radio faite par des jeunes qui font des reportages sur le festival d'Avignon et donnent la parole à d'autres qui le vivent pour la première fois.
Le discours d'un jeune qui vit son premier Festival d'Avignon est aussi légitime que celui qui le fait pour la trentième fois.
Tiago Rodrigues
Qu’avez-vous retenu de ces rencontres auprès des jeunes ?
On a préparé leur accueil. Avoir un accompagnement est essentiel. C’est important d’avoir des encadrants qui expliquent par exemple, qu’on a le droit de ne pas aimer un spectacle. On a surtout le droit de ne pas savoir si on l’aime. Il faut que ces jeunes puissent parler publiquement de leur expérience dans des rencontres au Café des Idées par exemple.
On sait que c'était beaucoup plus simple de venir au festival d'Avignon en tant que jeune par le passé, parce que c'était moins cher et plus facile pour se loger. Aujourd'hui, cela nécessite une grande organisation.
Comment voyez-vous l'avenir avec eux ?
Nous avons préparé un parcours de 19 spectacles autour du festival d'Avignon et on est très à l'écoute pour comprendre comment il sera vécu par les jeunes. Il y aura un moment important au milieu du festival d'Avignon le 13 juillet au Café les Idées. J'animerai un débat très large, composé d’un public de premières fois qui partagera son expérience mais aussi avec des habitués du festival d'Avignon.
Le but est de pouvoir publiquement entendre ces jeunes sur cette expérience et discuter sans tabou de la manière dont ils ressentent les spectacles. On veut se préparer pour les prochaines programmations.
Le projet “Première fois” va évoluer pendant les prochaines années. On ne peut pas assumer d'être un festival avec les portes grandes ouvertes à la jeunesse si l’on n'est pas à son écoute. L’important c’est à qui ces 5000 jeunes vont parler, à qui ils vont raconter leur festival. Ce sont les futures premières fois.
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