Pain au chocolat vs chocolatine… Fight !
Cette délicieuse viennoiserie dans laquelle le boulanger glisse une barre de chocolat est à l'origine de nombreuses querelles linguistiques.
Vous, vous savez. Vous savez comment on doit appeler cette viennoiserie. Mais pourquoi choisissez-vous tel ou tel mot ?
A l’occasion de la parution de mon Atlas du français de nos régions, réalisé à partir des travaux publiés sur mon blog, je me suis penché sur le problème.
C’est une question qui a fait pas mal de bruit sur le web depuis les fameuses sorties de Jean‑François Copé. Outre le tollé politique qu’ont soulevé ces paroles, elles ont été à l’origine de nombreuses querelles linguistiques, relatives à la dénomination de cette délicieuse viennoiserie dans laquelle le boulanger glisse une barre de chocolat.
Depuis, la question fait régulièrement le buzz sur les médias sociaux : des lycéens de Montauban adressent même en janvier 2017 une lettre au Président de la République pour que chocolatine entre dans le dictionnaire.
En février 2017 la photo d’une chocolatine au Japon est partagée des milliers de fois sur les réseaux sociaux… Sur Facebook, il existe même un Comité de défense de la chocolatine.
Toutefois, le débat binaire qui oppose le pain au chocolat à la chocolatine ne rend pas tout à fait justice à la diversité des dénominations dont les francophones se servent pour désigner cette viennoiserie, et de ce qui se passe en dehors de la France.
Les linguistes enquêtent
Depuis près de deux ans, une équipe de linguistes cherche à cartographier l’aire d’extension de certains régionalismes du français, c’est-à-dire de phénomènes linguistiques qui ne sont employés ou connus que sur une certaine partie du territoire.
Pour ce faire, ils ont mis en place différents sondages dans lesquels ils demandaient à des internautes de cocher dans une liste le ou les mots qui s’applique(nt) le mieux dans leur usage pour dénommer un certain objet ou une certaine action.
L’une des questions de ces enquêtes portait sur la dénomination du pain au chocolat et ses variantes régionales. Les internautes avaient le choix entre 6 réponses : chocolatine, pain au chocolat, couque au chocolat (une couque désignant en Belgique une viennoiserie), croissant au chocolat (un calque de l’allemand Schokoladencroissant ou de l’anglais chocolate croissant, c’est selon), petit pain et petit pain au chocolat.
Plus de 10 000 participants francophones ayant indiqué avoir passé la plus grande partie de leur jeunesse en France, en Belgique et en Suisse ont répondu à l’enquête. Outre-Atlantique, les linguistes ont reçu plus de 6 000 réponses de francophones ayant signalé avoir passé leur jeunesse dans l’est du Canada.
Les linguistes ont calculé pour chaque aire géographique le pourcentage d’utilisation de chacune des six variantes proposées.
Pour l’Europe, la carte obtenue permet de confirmer ce que l’on savait déjà quant à l’aire de chocolatine en France, mais également de préciser l’aire d’extension de la variante petit pain (au chocolat), en circulation dans le nord et sur la frange est.
La carte permet également de rendre compte des régions où on est susceptible d’entendre des variantes moins médiatisées, comme croissant au chocolat ou couque au chocolat.
Quant à la carte générée à partir des réponses des participants ayant passé la plus grande partie de leur jeunesse dans l’est du Canada, elle fait état d’une opposition binaire entre deux variantes : chocolatine, qui s’impose de façon écrasante dans toute la province du Québec, et croissant au chocolat dans les provinces environnantes, où l’anglais est la première langue parlée. De quoi faire plaisir aux Gascons !
Bien entendu, chacune de ces variantes est possiblement connue hors de la région où elle est signalée sur les cartes. Ainsi, si vous demandez un pain au chocolat à Bruxelles ou en Alsace, on vous comprendra sans doute.
La médiatisation du mot chocolatine a également contribué à ce que le mot soit aujourd’hui connu bien au-delà de sa région d’origine. Maintenant si vous demandez une couque au chocolat à Genève ou à Bordeaux, il y a de fortes chances qu’on vous regarde comme une bête curieuse…
Il est également probable, à l’inverse, que vous soyez originaire d’une région et que vous ne connaissiez pas l’usage dominant : c’est parce que ces cartes montrent des tendances, et ne permettent pas de visualiser aisément la vitalité de telle ou telle variable. Pour ce faire, il faut examiner les cartes de détail donnant à voir le pourcentage de vitalité de chaque item :
La carte ci-dessus montre par exemple que l’expression petit-pain au chocolat est connue par environ 80 % des répondants au maximum (c’est-à-dire dans les départements d’Alsace et de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais), et que plus on s’éloigne de ces régions, moins la vitalité de la variante est élevée.
Vive les régionalismes !
Depuis la fin du XVIIe siècle, des spécialistes de la langue (grammairiens, instituteurs, correcteurs, journalistes, etc.) – voire de simples amateurs – ont tenté de répertorier les particularités locales du français des gens qui les entouraient en vue d’en souligner le côté fautif pour mieux les corriger et les faire disparaître (on pense à des ouvrages dont les titres sont assez évocateurs : chasse aux belgicismes, barbarismes, solécismes, expressions vicieuses, etc.).
Or, les régionalismes font partie de l’identité des francophones, de leur culture, de leur patrimoine et ne devraient pas faire, en cette qualité, l’objet de stigmatisation sociale.
L’intérêt des internautes pour les combats linguistiques qui opposent les tenants du blanco à ceux du Typp-Ex, du sac à la poche, de septante à soixante-dix voire de crayon gris à crayon de bois n’est peut-être pas seulement une illusion territoriale, mais une réponse du peuple à des décennies de discrimination en regard de la variation linguistique par nos élites (au début du XXe siècle, on punissait les élèves qui employaient des mots de patois à l’école).
Une norme ou des normes ?
Quand on me demande quelle variante de mot, de prononciation ou de phrase est la plus correcte, je réponds qu’il n’y a pas une variante qui est correcte, mais plusieurs. En tant que linguiste, je reste persuadé que ce sont les locuteurs qui définissent la norme, et non l’inverse. Dès lors, il existe autant de normes qu’il existe de régions… ou d’usages dominants !
Mathieu Avanzi, Linguiste et spécialiste des français régionaux, Université Catholique de Louvain
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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