"Homeland : Irak année zéro", récit bouleversant d'un pays qui bascule
Nous sommes en février 2003. Abbas Fahdel vit en France, mais il revient parmi les siens, à Bagdad. Il filme l'ordinaire, la maison, le petit bout de jardin, les enfants qui jouent, et les discours de Saddam Hussein à la télévision. C'est un documentaire impressionniste, sans commentaires. Abbas Fahdel filme d'abord l'humain : "C'est pour ça que j'ai décidé de rentrer en Irak avec une caméra, pour montrer aux gens à quoi ressemblent vraiment les Irakiens. Le père emmène les enfants à l'école, les jeunes filles parlent de mariage, d'amour... Ça ressemble à la vie quotidienne de n'importe quelle famille au monde."
Seulement, ces familles se préparent à la guerre qui arrive. Haidar, le petit dernier, aide à creuser un puits dans le jardin. Le grand frère entasse les paquets de riz, et la mère achète des médicaments, des vitamines, et même des produits plus inattendus, comme des couches-culottes. "S'ils nous bombardent avec des armes chimiques, on attache la couche sur le visage avec la ficelle. Il faut bien se protéger s'ils nous attaquent ! D'ailleurs, s'il y a la guerre, on dormira tous dans cette chambre, où il n'y a qu'une fenêtre. On sera mieux protégés en cas de bombardement. Ou alors on mourra tous ensemble".
La mort et la guerre présentes en permanence
La guerre est encore loin mais même entre copains, on ne parle plus que de ça : "C'est un devoir pour tout le monde de se battre ! La guerre ne va pas durer longtemps. Elle sera difficile mais courte" annonce un jeune garçon à son ami. La guerre, Abbas Fahdel choisit de ne pas la montrer. La seconde partie du film nous emmène après la bataille, dans une ville détruite par les bombardements, noircie par les incendies des pillages. Le début de l'occupation américaine est aussi la descente vers le chaos. "Les américains sont pires que Saddam [Hussein] , clame un habitant. Ils nous ont promis la sécurité, la prospérité, mais c'est le chaos qui est arrivé. Dès que le soleil se couche, on n'ose pas sortir. On a peur des Américains, des Irakiens, des braquages et des meurtres. Il n'y a pas de sécurité".
"Le paradis perdu est perdu définitivement"
— Abbas Fahdel, réalisateur du film
Le réalisateur est lui aussi désabusé : "Pour moi, c'est une tragédie. Le pays n'existe plus, depuis 2003 la situation n'a fait que se dégrader. Le paradis perdu est perdu définitivement". A l'ouest de Bagdad, le cinéaste a filmé la campagne, magnifique au soleil couchant. L'insouciance des enfants qui jouent au bord d'un lac, entre d'imposantes ruines assyriennes.
La famille de sa sœur y vit toujours mais, aujourd'hui, la zone est contrôlée par Daech. Abbas Fahdel se sent impuissant. Depuis la France, il assiste à la lente progression des terroristes de l'Etat islamique. "Comme les champignons qui poussent sur les ruines, le mouvement Daech pousse. Daech, ce sont des voyous qui se sont reconvertis en militants politiques mais ils restent des voyous. La Libye, la Syrie, l'Irak, l'Afghanistan, la Somalie... A chaque fois qu'il n'y a plus d'ordre dans un pays, dans un endroit, dans une ville, ça favorise l'émergence de bandes armées ou du mouvement terroriste, souvent ce sont les mêmes. L'islam n'est qu'un prétexte pour mobiliser les gens."
"Comment être optimiste ? Personnellement, j'ai un peu de mal"
— Abbas Fahdel, réalisateur du film
La faiblesse de l'Etat irakien n'arrange rien : "Dans mon film, je montre les coupures de courant. C'était en 2003 et, aujourd'hui, nous sommes en 2016 ! Jusqu'à maintenant, un gouvernement n'arrive pas à rétablir l'électricité correctement, ce qui est le minimum pour un pays riche. L'Irak est un pays qui a beaucoup de ressources, notamment pétrolières. Mon frère, par exemple, me disait il y a une semaine qu'il voulait quitter le pays, pas pour lui-même mais pour ses enfants, car ils n'auront pas d'avenir là-bas. Et c'est le cas de tous les gens que je connais là-bas, mes amis, ma famille... Comment être optimiste ? Personnellement, j'ai un peu de mal."
Dernière image du film : Haidar, le petit garçon plein de vie est fauché par une balle perdue. Ecran noir. Le réalisateur a mis dix ans avant de pouvoir revoir ses images, d'être capable d'en faire un film. Il a tout fait seul. Au générique, il n'y a qu'un nom, le sien. Mais Abbas Fahdel a réussi à donner un visage à 25 millions d'Irakiens.
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