"J'ai l'impression qu'on nous a tous oubliés" : la colère des musiciens britanniques pénalisés par le Brexit
Depuis le 1er Janvier, les musiciens britanniques doivent posséder un visa pour voyager pendant plus d'un mois au sein de l'Union européenne.
Chanteuse lyrique décorée des plus hautes distinctions britanniques, Sarah Connolly ne décolère pas contre les conséquences du Brexit, qui transforme les tournées en Europe en casse-tête pour les musiciens et compromet les carrières des jeunes artistes.
"Je pense que nous avons le droit d'être en colère", tempête la mezzo-soprano, qui en veut au gouvernement britannique de ne pas avoir négocié un accord permettant aux musiciens de se rendre dans l'Union européenne sans visa. "J'ai très fièrement arboré le drapeau britannique dans tous ces endroits", souligne-t-elle. "C'est dommage que notre gouvernement ne soit pas fier de nous".
Batailles administratives pour obtenir un visa
Depuis la fin de la période de transition du Brexit au 1er janvier, les artistes britanniques doivent obtenir un visa pour séjourner plus de 30 jours dans l'Union européenne, un précieux sésame qui coûte parfois des centaines de livres sterling et implique de lourdes batailles administratives.
Les démarches deviennent particulièrement lourdes pour des groupes comprenant plusieurs musiciens et équipes techniques. Cela affecte durement les plus jeunes aux faibles moyens et sans soutien administratif, qui pouvaient jusqu'alors faire la tournée des scènes et festivals européens sans aucune formalité.
A 57 ans, Sarah Connolly a déjà chanté dans les plus prestigieux opéras du monde. Mais elle estime que cela aurait été "impossible" sans avoir pu se produire abondamment en Europe.
"Les musiciens britanniques sont désormais considérés comme problèmatiques"
Pour Deborah Annetts, directrice de l'organisme professionnel Incorporated Society of Musicians, l'absence de dispositions spécifiques pour les artistes constitue une "source de préoccupation croissante". "J'ai l'impression qu'on nous a tous oubliés", explique-t-elle, face aux deux parties qui se rejettent la balle.
Le Royaume-Uni estime que la faute incombe à l'Union européenne pour s'être montrée inflexible lors de leurs négociations fin 2020. L'UE rappelle que Londres voulait justement, avec le Brexit, mettre fin à la libre circulation des citoyens européens sur son territoire. La semaine dernière, le Premier ministre britannique Boris Johnson a déclaré qu'il partageait la frustration des artistes, ajoutant que le gouvernement "travaillait d'arrache-pied" pour résoudre le problème avec les différents gouvernements des 27 membres de l'UE. "Certaines (négociations) sont beaucoup, beaucoup plus avancées que d'autres", a-t-il expliqué, ajoutant que "pour d'autres, il y a encore des progrès à faire".
Pour le moment, les effets dévastateurs de cette nouvelle politique sont masqués par le coup d'arrêt qu'a mis la pandémie de Covid-19 au secteur culturel. Mais Mme Annetts met en garde contre le "changement culturel qui s'opère". "Les musiciens britanniques sont désormais considérés comme problématiques", estime-t-elle, craignant des conséquences "énormes" sur le secteur de la création britannique. "En termes de rayonnement du Royaume-Uni, je ne pense pas que cela puisse être sous-estimé".
Jeunes musiciens en péril
Pour Dave O'Higgins, saxophoniste de jazz habitué des tournées en Europe, cette nouvelle situation rime avec incertitude. Détenteur d'un passeport irlandais, ce musicien basé à Londres n'est pas directement concerné par la nécessité d'avoir un visa pour se rendre dans l'UE, mais la nouvelle situation affectera notamment la manière dont il sera payé et la possibilité de vendre des produits dérivés en marge de ses concerts.
Mais surtout, le problème des déplacements reste entier pour les autres membres de son groupe actuel. "Je vais devoir partager leur sort", explique le musicien, connu pour avoir fait partie du groupe Matt Bianco dans les années 1980. "Avec l'augmentation de la paperasse, des frais administratifs et éventuellement des visas individuels pour chaque pays", cela pourrait rendre les tournées en Europe "non rentable", se désole-t-il.
A 56 ans, Dave O'Higgins est surtout préoccupé par l'impact que cette situation aura sur la nouvelle génération, se disant "désespérément triste" pour les jeunes artistes britanniques touchés d'abord par la pandémie, puis par les retombés du Brexit. Les frais pour obtenir un visa sont parfois plus élevés que le cachet attribué pour un premier récital sur le continent, souligne le ténor lyrique Nicky Spence, jugeant cette situation "très difficile financièrement" pour les jeunes.
"Les opportunités sont déjà très rares. C'est pour cela qu'on travaille avec passion", a affirmé l'Écossais, "Mais ça ne devrait pas être aussi difficile d'essayer d'avoir cette carrière".
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