Législatives 2024 : face à la menace d'une majorité d'extrême droite, l'industrie du jeu vidéo s'inquiète

Dirigeants de studios, créatifs, travailleurs et associations craignent que certains droits acquis puissent être remis en cause à terme par de futures décisions politiques si le Rassemblement national obtient une majorité aux élections législatives.
Article rédigé par Mehdi Magueur
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des visiteurs jouent avec une Nintendo Switch lors du salon du jeu vidéo "Paris Games Week", à Paris, le 1er novembre 2023. (BERTRAND GUAY / AFP)

Elles ont été les premières à s'exprimer. Au lendemain de la dissolution de l'Assemblée nationale et d'une percée du Rassemblement national aux élections européennes, plusieurs associations ont démarré une mobilisation contre l'extrême droite. L'initiative, intitulée "Ni dans nos vies, ni dans nos jeux", a été lancée par l'association Afrogameuses, qui œuvre pour plus de mixité et de diversité dans le milieu des jeux vidéo.

Derrière l'hypothèse d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite, la première industrie culturelle et créative en France s'interroge et s'inquiète. En 2023, le secteur, en croissance permanente, a enregistré un chiffre d'affaires de 6,1 milliards d'euros selon le bilan du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs (SELL) daté de mars 2024. De futures orientations politiques défavorables au secteur pourraient venir entraver cette bonne santé.

Des aides publiques qui accompagnent le secteur

"Le jeu vidéo français a une spécificité, il bénéficie de systèmes d'aides importants, notamment via le CNC, les régions et le crédit d'impôt sur le jeu vidéo", contextualise Julien Moya, co-créateur du studio Rundisc. Le marché n'est pas sous perfusion pour autant. "C'est une industrie où l'on prend des risques, car on produit des années à perte avant éventuellement d'en tirer des profits si le jeu marche. Le crédit d'impôt permet souvent à ces studios de sauvegarder leur trésorerie entre plusieurs projets", détaille Julien Moya.

"En tant que dirigeant d'un tout petit studio, je suis convaincu que sans ces dispositifs, le paysage du jeu vidéo serait très différent aujourd'hui", estime le directeur créatif. Avec son binôme Thomas Panuel, ils sont les créateurs de Chants of Sennaar, jeu sorti en septembre 2023 et sacré meilleur jeu vidéo français de l'année 2023 lors de la cérémonie des Pégases.

En cette période politique sous tension, Julien Moya a aussi tenu à prendre la parole sur le réseau social X. "Si vous avez aimé Chants of Sennaar et que vous avez l'intention de voter RN dimanche, vous n'avez RIEN compris au jeu", a-t-il lâché le 28 juin dernier. "Chants of Sennaar, c'est une fable qui tourne autour de l'ouverture à l'autre. Si on prend le temps de s'écouter et de se parler, on se rend compte qu'on se ressemble beaucoup plus que ce qu'on imagine", détaille Julien Moya.

En ce qui concerne le sujet, que dit le programme du Rassemblement national ? Le champ culturel n'est pas très investi par la formation politique. Et, comme dans la majorité des programmes politiques, la mention d'une éventuelle stratégie entourant le marché du jeu vidéo est absente.

Le contrôle de la culture à l'échelle municipale

"Il y a beaucoup d'incertitudes dans cette histoire. En réalité, on ne sait pas vraiment. Il faut composer avec les discours, les précédentes expériences politiques du Rassemblement national dans les municipalités", expose Vincent Guillon, politologue, professeur associé à Sciences Po et auteur d'un article intitulé "La culture à l'épreuve de l'extrême droite : des discours au passage à l'acte" pour l'Observatoire des politiques culturelles.

Dans celui-ci, il s'intéresse notamment aux villes qui ont été dirigées par des membres issus du parti fondé par Jean-Marie Le Pen. "Dans les années 1990, le RN a investi le domaine de la culture municipale en créant des scandales. C'était l'objet d'une démarcation, d'ailleurs jugée contre-productive a posteriori par le parti. On voyait beaucoup d'entrisme municipal, beaucoup d'ingérence dans la gestion des bibliothèques, par exemple".

Puis, lors de l'arrivée de nouvelles municipalités conquises par le parti d'extrême droite en 2014, la stratégie évolue. "On voit plutôt une dépriorisation de la politique culturelle dans les villes RN, avec des adjoints à la culture qui s'en mêlent moins frontalement ou qui poursuivent et accompagnent des partenariats déjà mis en place avec des institutions ou événements. Mais de l'autre côté, de manière plus discrète, ça n'empêche pas la suspension de subventions à des associations culturelles moins en vue, mais qui ne plaisent pas aux municipalités", observe le chercheur.

"On peut imaginer que le jeu vidéo soit instrumentalisé"

Le jeu vidéo, en tant qu'objet culturel, est ainsi vecteur de valeurs, de messages, politiques. Pour diffuser un récit, il peut être tentant de l'utiliser. "On a encore peu d'éléments qui laissent présager de volontés concrètes. Mais on peut facilement imaginer que le cinéma ou le jeu vidéo français soit instrumentalisé, afin de promouvoir et financer plus favorablement des œuvres compatibles avec l'histoire et le récit national que le parti veut renvoyer de la France", suggère le chercheur.

Pour Florent Maurin, fondateur du studio de jeu vidéo parisien The Pixel Hunt, ces attaques directes pourraient égratigner en premier lieu les minorités qui composent le secteur. "Dans les discours de l'extrême droite, on entend une rhétorique qui sépare, qui veut s'en prendre à toutes les personnes qui s'éloignent de la norme prônée par le parti. Ça viendrait mettre en péril les projets qui mettent en avant d'autres idées, et les personnes qui travaillent dessus, par exemple les personnes queer", craint-il.

En 2017, le studio fait paraître Enterre-moi, mon Amour, aventure narrative qui plonge le joueur dans l'exil de Nour, une infirmière syrienne de 27 ans qui prend la route pour rejoindre l'Allemagne. Une œuvre via laquelle ses créateurs voulaient offrir un autre regard sur la crise des réfugiés. Qui saurait prédire si ce type d'histoire continuerait, demain, à entrer dans les standards narratifs des décideurs politiques ?

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