"Nous voulions faire un jeu qui parle du deuil avec empathie et tendresse" : le jeu vidéo "Spiritfarer" apporte des couleurs au mythe du passeur d'âmes
Le studio Thunder Lotus revisite le mythe grec du passeur d'âmes Charon dans un jeu vidéo de "management cosy". Son pari est audacieux : parler d'un sujet grave, la fin de vie, avec douceur.
Le mythe de Charon, des décors flamboyants inspirés de Hayao Miyazaki et un bateau à aménager : c'est ce que propose Spiritfarer, le dernier jeu vidéo du studio canadien Thunder Lotus. Le joueur y incarne Stella, une jeune fille au look androgyne et au sourire éclatant, accompagnée de son chat Dafodill. Cette dernière doit remplacer Charon, démon dantesque issu de la mythologie grecque, dans sa mission de faire passer les âmes vers l'au-delà.
Mais dans Spiritfarer, le voyage ne se résume pas à une traversée du Styx, le fleuve qui mène aux Enfers. Stella doit accueillir les esprits sur son grand bateau, les nourrir, leur faire des câlins, avant de les accompagner vers le "Seuil Eternel". Surtout, elle devra satisfaire leurs dernières volontés, ce qui l'amènera à voguer jusqu'aux confins de l'univers du jeu. Ces voyages vont également permettre aux esprits de raconter leurs histoires. "Nous voulions faire un jeu qui parle du deuil et des gens en fin de vie, avec empathie, compréhension et tendresse", résume Nicolas Guérin, directeur créatif chez Thunder Lotus.
Ambiance cosy et décors Ghibli
Stella et ses passagers évoluent dans une sorte d'archipel, avec de nombreuses îles à explorer. Comme le graphisme des personnages, les décors sont le plus souvent chaleureux, colorés et vont chercher leurs inspirations du côté des films du studio Ghibli. "La référence était le film Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki", explique Nicolas Guérin. Tout est dessiné à la main, de l'animation en premier plan aux paysages en 2D. Une ambiance visuelle fantastique qu'on retrouve également avec la représentation des esprits sous forme animale. Mais ce sont avant tout "des vrais gens avec une vraie histoire", détaille le directeur créatif, leur forme dans le jeu étant "une représentation allégorique de ce qu'ils étaient de leur vivant".
Et pour satisfaire les besoins de ces esprits/animaux, Stella doit récolter des matériaux (légumes, céréales, bois, minéraux, fibres) et les transformer pour pouvoir construire des objets et améliorer son bateau. Ce qui lui permettra d'avancer dans ses quêtes et d'accroître le confort de ses invités. Ce dernier paramètre peut d'ailleurs être évalué grâce à une jauge de bonheur, consultable pour chaque personnage.
D'autres fonctionnalités viennent ajouter un côté relaxant à cet univers tout en douceur, comme la possibilité de câliner Daffodil, le chat qui suivra le joueur dans toutes ses aventures. "Une des approches de Spiritfarer était de parler de la mort à travers les petits gestes du quotidien, pas les grandes déclarations ou la dernière phrase épique qu'on pourrait dire avant de trépasser. L'idée était de montrer que ça se passe dans les petits moments, dans la simple idée de la routine : se faire un café le matin, faire pousser des carottes…", développe Nicolas Guérin. Le jeu implique donc une série d'actions répétitives - pêche, récolte, cuisine - à la Animal Crossing, qui peuvent se révéler lassantes mais que le joueur pourra finalement vite délaisser. On regrettera également pour les dialogues une traduction française moins soignée que la version originale en anglais.
"Être le plus authentique possible"
Qui dit relaxant, ne dit pas forcément léger car le sujet, porté notamment par les histoires personnelles de chaque esprit, reste grave et certaines scènes se révèlent même carrément déchirantes. "L'approche créative était celle d'être le plus authentique possible", explique le directeur créatif. Pour cela, plusieurs mois de recherche ont été nécessaires auprès de personnes en fin de vie, d'aides-soignants et de psychologues. "Pour construire les personnages, on s’est beaucoup inspirés de proches à nous disparus. Des membres de l’équipe ont confié leurs histoires, celles d'oncles, de tantes, de frères, sœurs, amis, parents… Cela a nourri tout un recueil d'anecdotes, de moments et d'impressions", raconte-t-il, évoquant sa grand-mère, décédée en Ephad lors du développement du jeu, comme modèle d'un des esprits.
Si Stella représente un modèle de bonté, entièrement dévouée aux âmes dont elle s'occupe, ces dernières - comme les multiples personnages secondaires que le joueur va rencontrer - se révèlent être de simples mortels, avec des qualités, des défauts et des fêlures. "On voulait montrer des vrais gens dans leur contexte et pas juste des histoires fantasmées. C'était compliqué de créer des personnages vrais avec de fausses vies. Finalement ils ont des fausses vies remplies de vraies vies", avance Nicolas Guérin.
Mais un jeu parlant du deuil trouvera-t-il son public dans une période de pandémie aussi anxiogène que celle que nous vivons ? Cette question, l'équipe de Thunder Lotus se l'est posée, alors que la sortie de Spiritfarer avait été fixée bien avant que la Covid ne frappe le monde entier. "Je pense que malgré tout cela fait du bien aux gens d'avoir cet univers 'enveloppant', même s'il parle de la mort", estime le directeur créatif. "Paradoxalement, à cause de la Covid, il y a des gens qui n’ont pas pu vivre de deuil. Des personnes m'ont dit 'le deuil que je n'ai pas pu vivre avec mon grand-père, je l'ai fait dans le jeu'", rapporte-il.
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