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"J'ai pensé au pire" : après la mort de Johnny Hallyday, il cherche une nouvelle "raison de vivre"

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Jean-Pierre Matthey est attablé dans un bar du 19e arrondissement de Paris, le 12 décembre 2017. (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Surnommé "Johnny" dans son quartier parisien, Jean-Pierre Matthey peut compter sur ses amis de bistrot pour surmonter l'épreuve du vide.

Lorsqu'elle a appris la mort de Johnny Hallyday, mercredi 6 décembre, Elina Dumont n'a pas été triste, mais préoccupée. "J'ai tout de suite pensé à notre Johnny, raconte cette habitante du quartier de Jaurès, dans le 19e arrondissement de Paris. C'est le surnom de Jean-Pierre, mon voisin : il ne voyait que par Johnny. Dès qu'il avait un coup dur, il me disait 'Au moins, il y a Johnny...'. Et maintenant ?"

De retour d'un déplacement à Bordeaux (Gironde), le soir de la disparition du rockeur, Elina s'est précipitée au Saint-Malo, le bar où elle a, comme "Johnny", ses habitudes. "Comment il va ?", a-t-elle lancé au patron. "Il est effondré." "Il m'a dit qu'il allait picoler et prendre des médocs", se souvient le tenancier, Farid Sellam, quelques jours plus tard. Lorsqu'elle finit par voir "JP", le lendemain du décès de la star, Elina entend le fan endeuillé lui parler de "faire une connerie".

Mardi 12 décembre, Jean-Pierre Matthey est bien là à notre rendez-vous, en avance même. Il a choisi un autre bar pour se confier, pour plus de discrétion, même si tous les serveurs ici aussi viennent saluer "Johnny".

J'ai perdu celui qui me donnait le goût de vivre. (...) C'est vrai, j'ai pensé au pire.

Jean-Pierre Matthey

à franceinfo

"Le personnage de Johnny Hallyday permettait de se sentir bien, d'oublier les soucis, d'espérer, explique-t-il, marqué, en se frottant le visage. Sa présence va nous manquer. Mais en finir n'est pas la solution."

"Barjot pour Johnny"

A 55 ans, l'homme à la veste de motard américain retrouve le sourire quand il évoque ses nombreux souvenirs. Cet inconditionnel du "taulier" l'a vu sur scène pour la première fois à 18 ans, à Portes-lès-Valence, dans la Drôme. Monté à Paris, il devient alors "barjot pour Johnny", chante ses chansons debout sur les sièges du métro, rejoint le fan-club officiel, accumule les tee-shirts, morceaux de chemises et paquets de cigarettes ayant appartenu au chanteur, le traque à la sortie des studios de radio ou de télévision. "Un jour, après une émission, on l'a suivi en voiture, raconte-t-il, amusé. Il s'est arrêté, il est venu nous voir et on s'est fait engueuler !"

A l'automne 1984, Johnny Hallyday se produit à 60 reprises au Zénith de Paris. "Tous les soirs, j'étais là-bas, assure Jean-Pierre. J'avais une vingtaine d'années, je bossais à l'hôtel Lutetia le matin, tôt. Trop tôt d'ailleurs, vu mes soirées. Alors j'ai fait le con."

J'ai laissé tomber mon boulot pour Johnny.

Jean-Pierre Matthey

à franceinfo

Un jour, son idole lui vaut même une convocation au commissariat. Sa faute : avoir écrit "Vive Johnny" sur un train à la gare de l'Est. Il est condamné à une amende de 8 700 francs, qu'il n'aura jamais à payer, grâce à une amnistie de François Mitterrand. Une autre fois, alors qu'il est barman dans le 15e arrondissement de Paris, "JP" voit le chanteur sortir de chez le médecin. Il réussit à obtenir un autographe mais, "trop timide", n'arrive pas à engager la conversation. Cela reste son meilleur souvenir avec l'artiste.

Né dans la rue

Parfois, la vie de Johnny la star fait écho à celle de Johnny le fan. "Si je me suis autant attaché, c'est parce que j'ai vécu comme lui, explique Jean-Pierre Matthey. Il a été abandonné par son père. Moi, je suis pupille de l'Etat, enfant de la Ddass des Bouches-du-Rhône. Je me demande si on ne m'a pas trouvé dans une poubelle." Les deux hommes n'ont pas eu le même destin, mais la vie de l'un a permis d'enchanter celle de l'autre.

Avec lui, on était heureux même si on ne l'était pas.

Jean-Pierre Matthey

à franceinfo

"C'est souvent toute une vie qui se construit autour de l'admiration pour la vedette", dont "la disparition peut créer un grand vide", analyse le sociologue Gabriel Segré, auteur de Fans de... Sociologie des nouveaux cultes contemporains (Armand Colin, 2014). "Le fan attribue souvent à la vedette une aide, un soutien, un réconfort, précise-t-il. Il développe un rapport de dette, du style 'Il m'a sauvé, je lui dois tout !'"

Derrière la passion de Jean-Pierre pour le rockeur se cache une vie de galères. Il a connu la rue, ce qui lui a d'ailleurs valu de perdre ou de se faire voler de précieux disques et tee-shirts. Il vit aujourd'hui de l'allocation d'aide au retour à l'emploi et de missions d'intérim dans le secteur du déménagement, malgré des douleurs au dos et à la jambe. "Je n'ai pas pu voir les derniers concerts de Johnny, trop chers, glisse-t-il entre ses dents abîmées. Pas les moyens non plus de faire de la moto, ou d'avoir un tatouage. J'aurais aimé avoir un motif d'aigle, symbole de liberté."

Depuis un peu plus de deux ans, ce timide au look affirmé habite dans un 10 m² géré par le Samu social, à deux pas du Saint-Malo. Impossible de rater sa porte, décorée avec une image de Johnny Hallyday. L'étroite chambre trahit également la passion de l'occupant, à grand renfort de photos, de miroirs, de drapeaux et même d'un buste à échelle réelle du chanteur – qu'il a failli se résoudre à vendre un jour où il avait besoin d'argent.

D'habitude, ce buste de Johnny est sur mon balcon. Je ne sais pas pourquoi, mais je l'ai rentré à l'intérieur le soir avant sa mort...

Jean-Pierre Matthey

à franceinfo

"Se raccrocher à autre chose"

Depuis l'annonce de la maladie de la star, "Johnny" avait commencé à décrocher quelques affiches. "Démoralisé", Jean-Pierre n'écoutait plus sa musique. Une semaine après sa mort, il peine à digérer cette disparition. "Et s'il y avait un truc pour respirer dans le cercueil ?", en est-il venu à se demander, imaginant une fausse mort. Il n'est pas allé à la cérémonie officielle sur la place de Madeleine, samedi, pour ne pas "pleurer avec tout le monde". Il était devant sa télévision, sur son petit lit, quand Emmanuel Macron a prononcé son hommage et évoqué ceux qui "découvrent une solitude étrange". Désormais, l'homme aux rouflaquettes maudit les proches du chanteur qui l'ont inhumé à Saint-Barthélemy, où il ne pourra jamais aller se recueillir.

"Y a un truc en moi qui est parti, répète-t-il. Les gens me disent qu'il reste les CD, mais c'est pas pareil. C'était ma raison de vivre, ma religion. Quand t'as une passion et que tu la perds, c'est dur. Mais il faut être solide, se raccrocher à autre chose. Heureusement qu'il y a les copains et le boulot, sinon je ne sais pas si je serais encore là."

Le Saint-Malo, le 12 décembre 2017, à Paris. (YANN THOMPSON / FRANCEINFO)

Pour l'aider à tourner la page, Jean-Pierre peut compter sur ses amis du Saint-Malo. Farid et Nafa, les deux cousins qui ont repris l'affaire il y a vingt ans. Karim, le pâtissier bègue qui vient boire une bière chaque après-midi après le travail. Pierre, le Ch'ti à la casquette, "cousin de Marie Desplechin". Odette, la veuve élégante qui boit des whiskies "baby" et tient à faire savoir qu'elle ne dit "jamais de vacheries sur les autres". Et tant d'autres... "Quand il manque quelqu'un, on s'inquiète", affirme Karim, entre deux parties de cartes sur le comptoir.

"Ça fait plaisir de savoir qu'il y a des Farid et des Nafa dans ce monde", lance Elina. Cette ancienne sans-abri devenue comédienne, qui partage avec "Johnny" la même "gouaille venue de la rue", estime que, sans ce bar populaire, "tous les habitués resteraient chez eux, sans lien social".

C'est ici qu'on trouve de l'humanité.

Elina Dumont

à franceinfo

C'est d'ici que "Johnny" va "essayer de remonter la pente", bien entouré. "Au Saint-Malo, 'JP' est un habitué, tout le monde l'apprécie, il ne sera jamais seul, assure Pierre Simon, qui vient tous les après-midi après le travail. On l'entoure, mais je ne m'en fais pas pour lui. On va l'aider à relativiser."

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