"Mozart des échecs" et mannequin à ses heures perdues : qui est Magnus Carlsen ?
A 26 ans, ce Norvégien affiche trois titres mondiaux au compteur et a battu le record du meilleur classement de son sport.
Les clichés ont la vie dure. Tapez le nom de Magnus Carlsen sur Google, et le moteur de recherche y associera les mots "autiste", "QI" et "Kasparov". Pourtant, le juvénile n°1 mondial des échecs, triple champion du monde en titre, est en train de dépoussiérer son sport à vitesse grand V.
Depuis le 12 novembre (et jusqu'au 30), il défend son titre dans un match en douze manches face au Russe Sergueï Kariakine, à New York. Franceinfo vous propose de faire plus ample connaissance.
Déjà un crack à 8 ans
"Je ne suis pas un génie." C'est ainsi que Magnus Carlsen débuterait son autobiographie, dit-il à un podcast américain. Pourtant, les doutes sont permis. A 2 ans, bébé Magnus terminait des puzzles de 50 pièces destinés à des enfants trois fois plus âgés. A 4 ans, il connaissait le nom et la population de près de 400 villes norvégiennes. A 6 ans, il passait sagement des heures à construire des Lego destinés à des adolescents, en tournant calmement les pages du mode d'emploi pour empiler les petites briques.
Un an plus tôt, son père, consultant en informatique, a déjà essayé de l'initier aux échecs. "Il a commencé avec un pion, et moi l'ensemble des pièces. Comme ça, je parvenais à le battre. Ensuite, il est passé à deux pions, et ainsi de suite. Il a rendu le jeu plus difficile au fur et à mesure que je m'améliorais", raconte Magnus au Guardian. A l'époque, le jeu ne le passionne pas plus que ça. Le déclic se produit quand Magnus a 8 ans, et qu'il est, de son propre aveu, "plus mature". Principale motivation : battre sa grande sœur. Un objectif rapidement atteint. De toute façon, ce qui le vexe vraiment, c'est quand ses sœurs se liguent contre lui pour le battre à plates coutures au Monopoly. "Ça me met hors de moi !" grommelle-t-il dans le New York Times.
Le jour où il a tenu Kasparov en échec
Magnus atteint le statut de grand maître à 13 ans. Quatre ans plus tôt que Garry Kasparov, douze de mieux que Bobby Fischer... Après une année passée autour du monde avec ses parents à arpenter les tournois d'échecs, le jeune Magnus se retrouve à défier le maître Kasparov lors d'un tournoi à Reykjavik, en 2004. Blasé, celui qui est alors le joueur le plus connu au monde fait attendre le jeunot trente minutes et ne le salue pas en s'asseyant.
Le match se joue en blitz, c'est-à-dire sur la vitesse, mais Kasparov commence à ralentir entre chaque coup. Magnus s'ennuie, et se lève pour jeter un œil aux autres parties en cours. Le match se termine sur un nul. Kasparov serre la main de son adversaire et s'en va sans un regard. Même pas un "bien joué gamin" qui n'aurait pas été volé. La famille Carlsen s'en va fêter ça… au McDonald's le plus proche. "C'est moi qui avais choisi", se souvient en rougissant Magnus, sur CBS.
Donald Duck et Napoléon comme armes secrètes
Une place de n°1 mondial et un record absolu au classement ELO plus tard, et voilà le Washington Post qui le surnomme le "Mozart des échecs". Le jeune Norvégien esquive habilement la comparaison avec le compositeur autrichien : "J'aurais été très impressionné si Mozart avait su situer l'origine de son talent. Il aurait probablement dit que ça lui venait naturellement." Magnus est un joueur inclassable. Alors que ses rivaux sont formatés par les programmes informatiques, il détonne par sa capacité à improviser et à ne pas préparer pendant des semaines son ouverture. "Ce n'est pas un secret que je la prépare beaucoup moins en profondeur que nombre de mes adversaires", reconnaît-il dans le New Yorker.
Il se définit lui-même comme "paresseux" : il lui arrive souvent de dormir jusqu'à une heure avant le match. Contre Kasparov, il s'était préparé en dévorant des BD de Donald Duck, son personnage favori. Magnus explique aussi au Financial Times puiser des idées dans l'histoire militaire, de la stratégie de la Blitzkrieg d'Hitler aux campagnes napoléoniennes. Kasparov, qui l'a coaché pendant un temps, estime que son principal atout est d'"accentuer la pression" sur l'adversaire. Une carte maître dans un jeu où le but est de détruire mentalement son rival lors de parties longues de plusieurs heures.
D'où une préparation physique très poussée pour un sport qui se joue assis en costume trois pièces. Le Norvégien a ainsi passé plusieurs semaines à jouer au basket dans les Caraïbes pour préparer le championnat du monde. Pendant une rencontre, Magnus ne tient de toute façon pas en place – "je ne supporte pas de rester sept heures vissé sur une chaise" – et évite d'exprimer toute émotion – "si vous donnez un indice à votre adversaire, il s'en servira".
Fils de pub, pas encore de cinéma
Le beau gosse des échecs, aux faux airs de Matt Damon, a permis d'ouvrir à son sport des horizons insoupçonnés. Il figurait dans la liste des hommes les plus sexy de 2013 établie par Cosmopolitan. Il a refusé un rôle de maître des échecs dans Star Trek, raconte le site spécialisé Chessbase. Il a joué les mannequins pour la marque de vêtements néerlandaise G-Star Raw aux côtés de Liv Tyler (si, si, la fameuse Arwenn du Seigneur des Anneaux) ou partagé la vedette d'une pub pour Porsche avec Mohamed Ali et Maria Sharapova. Il a battu Bill Gates en neuf coups lors d'un match diffusé en prime time à la télé norvégienne et a récemment taquiné les pions contre Henry Kissinger. Cette starisation, il en a fait un atout. "Ça impressionne un peu plus mon adversaire", fait-il remarquer.
Sur sa tenue de compétition, on trouve les noms d'un cabinet d'avocats, d'une compagnie d'assurances ou d'un journal d'Oslo, autant de sponsors attirés par l'image proprette des échecs. Des partenariats qui lui rapportent un million d'euros annuels, hors gains dans les compétitions. Comme ce championnat du monde 2016 de New York, avec 700 000 euros de gains promis au vainqueur.
Les enjeux sont tels que le camp Carlsen a fait pression sur Microsoft pour éviter toute intrusion dans l'ordinateur du champion, raconte le Telegraph. De la part de hackers russes comme les Fancy Bears, qui ont piraté les serveurs de l'Agence mondiale antidopage récemment, par exemple. Vu le profil de l'adversaire, c'est crédible : Sergueï Kariakine, né en Ukraine, est devenu russe à la faveur d'un décret présidentiel de Dmitri Medvedev en 2009. Ce grand fan du régime a posé sur Instagram devant le Kremlin avec un t-shirt à la gloire de Vladimir Poutine. Comme au bon vieux temps de la guerre froide et des matchs Fischer-Spassky.
L'homme qui rend les échecs cool
"Magnus est une star. Il est jeune, et il n'est pas russe, fait remarquer, un brin perfide, le joueur britannique Nigel Short au Guardian. Ça aide qu'il soit un mannequin. Il rend les échecs cool." Une belle revanche pour celui dont les camarades de classe se moquaient car "c'est difficile d'être cool quand on joue aux échecs". Dans les locaux de l'université d'Harvard, il a battu dix joueurs simultanément en jouant en aveugle, le dos tourné aux dix échiquiers. Soit 320 pièces à gérer en même temps et une myriade de combinaisons possibles. "C'est quelque chose que les meilleurs joueurs du monde peuvent faire, tempère-t-il dans le Financial Times. On s'entraîne en aveugle tout le temps, pour visualiser le jeu dans notre tête. Ce n'est pas inhabituel, mais évidemment, l'effet est très spectaculaire."
En privé, Magnus mène tout sauf une vie de rock-star. Ce grand ado loue le sous-sol de la maison familiale, située dans un quartier cossu d'Oslo, et payait même sa sœur pour qu'elle fasse la vaisselle à sa place. Sa crise d'adolescence a été assez sage : il s'est laissé pousser la barbe. Enfin, il a essayé, pour un résultat peu concluant.
Le jeune Norvégien vit, dort et mange échecs. Ce n'est pas faute d'essayer de faire autre chose. Mais il n'arrive pas à voir un film, encore moins à lire un roman. "Je lis deux minutes, et je réalise que j'ai pensé tout du long aux échecs. Résultat, je reviens en arrière et je relis ce que je viens de parcourir." Dans les rues d'Oslo, il lui arrive de se faire aborder par des groupies. "C'est à la fois une contrariété et un bonheur", résume-t-il, diplomate. Hors de question pour lui de s'incruster aux parties en plein air comme à Washington Square, à New York, et d'aligner tous les badauds un par un, incognito. La grosse tête, connaît pas : "Nous, les Norvégiens, on nous apprend dès le plus jeune âge qu'on ne doit pas se la raconter." Il aurait pourtant de quoi.
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